Pour information William Etéki Mboumoua fut non seulement le premier chef de département ministériel (éducation nationale) dans lequel Paul Biya a travaillé à son retour au Cameroun, mais aussi un des camerounais dont la carrière dans la diplomatie internationale est certainement la plus prestigieuse: vice-président de l’Unesco, Secrétaire Général de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA), emblématique ministre des affaires étrangères de son pays sous les Présidences Ahidjo et Biya, puis Président de la Croix Rouge nationale…
C’est dire si le parcours exceptionnel du défunt pouvait heurter la susceptibilité et le complexe pathologiques d’un dictateur si imbu de sa personne.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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PAUL BIYA : LE GÉNÉREUX ET LE RANCUNIER ? :Enquête.
A 84 ans, principalement reclus dans son palais situé sur les collines d’Etoundi, à Yaoundé, Paul Biya laissera certainement à ses collaborateurs deux facettes de lui : le rancunier, mais aussi le généreux. Oui généreux. Les exemples peuvent être rares, mais ils existent. Comme le maintient auprès de lui depuis plus de 30 ans de deux personnes : le général Ivo Descencio Yenwo et le colonel Etienne Holong. Tous deux ne sont pas issus du Dja et Lobo comme le chef de l’Etat, mais sont pourtant ceux qui veillent au quotidien sur lui et sa famille.
Pour comprendre ces rapports, il faut remonter entre 1983 et 1984. Déjà en 1983, certaines langues racontent que c’est Holong qui aurait déjoué une première tentative de coup d’Etat contre Paul Biya qui devait avoir lieu au stade omnisport. Ce qui avait valu à Ahmadou Ahidjo une condamnation par contumace. Une accusation rejetée en bloc par lui et ses proches. En 1984, lors du 6 avril c’est encore l’adjudant chef Holong et le capitaine Ivo Descencio qui assurent la sécurité de Paul Biya pendant la tentative de coup d’Etat et l’auraient empêché de se rendre aux putschistes. Jusqu’à ce jour, Paul Biya ne les quittent plus des yeux. Mais Eteki Mboumoua qui a pourtant été le patron de Biya puis son collaborateur a-t-il eu cette chance ? Les révélations sur ses obsèques montrent peut-être la deuxième face de « l’homme lion » : le rancunier. Enquête.
Jeudi, 24 novembre 2016, un peu après 10h, la direction du protocole du ministère des Relations extérieures est saisie par le secrétariat général dudit ministère pour assurer le cérémonial lors de la levée de corps de William Aurélien Eték’a Mboumoua prévue ce même jour à 12h à l’hôpital général de Yaoundé. Une petite équipe se forme aussitôt pour effectuer le travail. Elle se rend à l’hôpital général quelque temps après pour matérialiser et prendre possession des lieux. Toutefois elle va se heurter à l’opposition de la veuve de Eteki Mboumoua, qui va refuser le dispositif protocolaire prévu pour les membres du gouvernement et assimilés. Pour une raison : rendu au jour de la levée de corps de son mari, des obsèques officielles n’avaient toujours pas été décidés pour William Eteki Mboumoua. En tout cas aucun communiqué signé par le directeur du cabinet civil de la présidence de la République comme il est de tradition en de pareille circonstance n’avait été rendu public. Pourtant Eteki Mboumoua a servi le Cameroun pendant de nombreuses années au plan national et international. Face à cette situation, Yvette Eteki Mboumoua, la veuve, comprenait mal qu’on vienne lui imposer un ordre protocolaire pour les membres du gouvernement « alors même que l’Etat du Cameroun pour lequel son mari s’est sacrifié une bonne partie de sa vie est incapable de rendre un hommage mérité à son époux », confie une source MINREX.
A quelques minutes de la levée de corps, une vive tension était perceptible à l’hôpital général de Yaoundé. La veuve a due être calmée par les siens. Le protocole a pu se déployer. Sans avoir véritablement du boulot. Car très peu d’officiels avaient fait le déplacement de l’hôpital général. Faut-il y voir le fait que le « grand patron » n’avait pas (encore) donné « une conduite à tenir officielle » à « ses créatures » pour se rendre à ce deuil ? A l’observation des usages de nos dirigeants camerounais on pourrait effectivement s’y avancer. En tout cas les rares officiels aperçus à la levée de corps arboraient davantage leur casquette d’individu, ami du défunt ou de la famille plutôt qu’autre chose.
Après la première étape de ces obsèques à l’hôpital général le corps de William Eteki Mboumoua s’est dirigé à la paroisse de la briqueterie I de l’église évangélique du Cameroun pour l’office religieux. Ici, Laurent Esso, ministre de la Justice, y est venu à titre personnel. D’aucun ont toutefois pensé qu’il représentait le chef de l’Etat. Mais il n’en était rien. Après la veillée à la Croix-rouge, vendredi matin la dépouille a été conduite à Douala. Des obsèques officielles pour l’ancien ministre des Affaires étrangères du Cameroun et ancien secrétaire général de l’Oua, pour ne citer que ces fonctions, n’avaient toujours pas été décidées.
Laurent Esso.
20h. Veillée à la salle des fêtes d’Akwa. La presque totalité des autorités traditionnelles Sawa ont fait le déplacement. Quelques élites sawa, parmi lesquelles, on a reconnu Ebenezer Njoh Mouelle, Etonde Ekoto, Pokossy Doumbe un ami de 65 ans du défunt, Louis Roger Manga, Ngobo Ekotto, pour ne citer que ceux-ci. Le gouverneur de la région du Littoral, le préfet du Wouri et leur forte délégation viendront s’ajouter à ces quelques élites. C’est en pleine veillée qu’on commence à avoir des signes avant coureur de probables obsèques officielles, notamment lorsqu’on aperçoit Alain Moukouri en service au protocole d’Etat de la présidence de la République s’entretenir avec le pasteur officiant. Alain Moukouri a souvent officié aux cotés de Laurent Esso, notamment quand celui-ci avait été désigné représentant personnel du chef de l’Etat lors des obsèques officielles de Robert Mbella Mbappe. Sa présence très affairée ce vendredi soir à la veillée ne pouvait pas être anodine. Mais Laurent Esso, lui, ne s’est pas trop avancé et visiblement a préféré ne pas se rendre à la veillée. Yaoundé ne lui avait-il pas encore donné une autorisation formelle de représenter le chef de l’Etat à ces obsèques ? Ceci est fort probable. Car, d’après nos sources c’est seulement ce vendredi soir, tard dans la nuit que Paul Biya a décidé de décréter des obsèques officielles pour Eteki Mboumoua. Alors que son inhumation avait lieu le lendemain. L’Etat du Cameroun était représenté par Laurent Esso. Biya a-t-il fait payé quelque chose à Eteki jusqu’à sa mort ?
En 1961 lorsqu’il est ministre de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports, des arts et des lettres Eteki Mboumoua fait appel à un de ses amis et camarades en la personne de Dooh Kingue pour diriger son cabinet. Mais quelques temps après, Dooh Kingue est appelé à l’Unesco. Il faut donc le remplacer. Avant de partir Dooh Kingue avance le nom de Paul Biya pour le succéder auprès de Eteki Mboumoua. A l’époque, le jeune Biya officiait à la présidence de la République. Eteki Mboumoua demande l’autorisation à Ahidjo à pouvoir travailler avec ce collaborateur au ministère. Ahidjo lui a demandé s’il le connaissait. « Non », lui a répondu Eteki Mboumoua. Paul Biya a ensuite été mis à la disposition de Eteki Mboumoua. Pendant trois ans l’actuel chef de l’Etat camerounais a été le directeur de cabinet de Eteki Mboumoua. Ahidjo rappellera ensuite Biya à la présidence. Eteki Mboumoua y retrouvera Biya lorsqu’il quitte l’Education nationale. Lui comme étant conseiller du président Ahidjo et Paul Biya comme secrétaire général de la présidence qui deviendra de ce fait son patron hiérarchique. Eteki Mboumoua retrouvera le gouvernement en 1980 comme ministre chargé de mission. Il sera conservé à ce poste par le successeur du président Ahidjo jusqu’en 1984.
Paul Biya va ensuite lui confier la diplomatie camerounaise en le nommant ministre des Affaires étrangères. Il y passera trois ans. Il est débarqué du gouvernement en 1987 pour avoir signé un communiqué sanctionnant des travaux avec une délégation hongroise conduite par leur ministre des Affaires étrangères d’alors. Le document signé par Eteki Mboumoua indiquait que les deux pays étaient disposés à entretenir des relations diplomatiques. « Faute lourde », a estimé Etoudi. Viré un vendredi, le lundi, un communiqué de la présidence expliquait à l’opinion les raisons de ce limogeage. C’était la première et la dernière fois qu’on expliquait pourquoi on avait enlevé un ministre. Ce qu’Eteki Mboumooua a vécu durement tout au long de sa vie. Mais à cela, certaines langues parlent également d’un rapport rédigé par le défunt adressé à Ahidjo où il ne livrait pas une très bonne opinion au sujet de Paul Biya. Peut-être l’homme d’Etoudi ne l’avait pas oublié.
Boris Bertolt, Journaliste