Pendant des années depuis l’indépendance du pays, le Cameroun a réussi à construire une technocratie efficace et instruite, incarnée par des professionnels comme Pierre Désire Engo qui est passé de la pauvreté aux échelons supérieurs de la haute administration camerounaise essentiellement grâce à ses mérites intrinsèques. La conséquence logique qu’on aurait pu attendre de cette forme d’ascension sociale et professionnelle au mérite serait qu’elle se traduise par une pratique politique assise principalement sur la persuasion, la raison, et l’intellect. Or il semble malheureusement avec le temps que l’état de droit, l’usage de la raison critique, l’expansion des libertés individuelles, et même la tolérance de la différence voire de la diversité ne soient toujours pas une réalité dans ce pays toujours en construction.
Le Cameroun est ainsi le seul pays au monde à avoir l’équivalent d’un gouvernement en prison.
L’idée consistant à considérer cette incarcération massive d’une magnitude inégalée comme LA preuve que toutes ces personnalités manquent d’intégrité et ne sont pas dignes de respect est en soi un non-sens. Car loin de résoudre le problème de la corruption dans ce pays – puisqu’il fait toujours partie des plus corrompus de la planète – la vraie question demeure de savoir pourquoi tous ces hauts fonctionnaires sont en prison? Le despotisme légal semble la réponse appropriée.
En effet cette forme légale de despotisme est une tactique courante dans les régimes autoritaires du monde entier, et le Cameroun n’en fait pas exception hélas. De nos jours, les citoyens ordinaires perçus comme des opposants à ces régimes meurent rarement dans des accidents suspects d’avion ou de voiture. L’objectif du despotisme légal est de discréditer et d’anéantir à jamais la compétence c’est-à-dire le mérite intrinsèque de ces professionnels pour lui substituer une logique de contribution.
Le spectre du despotisme légal se passe partout dans le monde, notamment dans les pays autoritaires comme le Cameroun où les dirigeants ne tolèrent aucune dissidence. Les citoyens ordinaires qui font de l’ombre à ces régimes sont tournés en dérision, brandis comme incompétents, politiquement motivés, séditieux ou corrompus. La catégorie d «opposant» devient un objet biopolitique et l’opposant est déchu de ses droits civiques et embastillés. En réalité le but du despotisme légal est d’intimider et de réduire au silence. Cette stratégie peut s’avérer particulièrement efficace, notamment dans la manière avec laquelle elle amène d’excellents professionnels à se conformer à un ensemble de règles non écrites. Au fil du temps ces normes implicites n’ont plus besoin d’être inculquées, elles sont intériorisées d’elles-mêmes pour des raisons de survie personnelle et professionnelle. Le dictateur n’éprouve même plus le besoin de les imposer au reste de la société. La docilité et la mendicité s’en chargent tout naturellement.
Il faut ainsi reconnaître que le véritable impératif est la construction d’une démocratie civique véritable qui prend en compte le caractère pluraliste du Cameroun contemporain.
De nos jours la «démocratie» Camerounaise est privatisée par une petite clique qui partage la conviction que la démocratie devrait fonctionner uniquement pour eux et eux seuls. Cette «démocratie» privatisée est circonscrite et contrôlée par cette élite égoïste, marginalisant l’écrasante majorité, et qui monopolise de la sorte de plus en plus le pouvoir que pour elle seule.
Étant donné que la mobilité professionnelle par l’ascension sociale ne fonctionne plus, l’exclusion devient rampante, l’élite façonnée par Paul Biya atteint donc un tel niveau d’extase du pouvoir qu’elle finit par penser que son monopole est un don de Dieu. Le Cameroun a atteint le point où l’État sert ou est au service uniquement de quelques familles, et c’est le prélude d’un désastre annoncé.
Par Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur du CL2P
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English version:
Legal Despotism and the Professional Elite Class in Cameroon.
By Olivier Tchouaffe PhD, CL2P Contributor
Over the years since the independence of the country, Cameroon has managed to build an efficient and educated technocracy epitomized by the like of Pierre Desire Engo who rose from poverty into the higher rungs of the Cameroonian professional class. The expectations produced by these institutional processes came from the knowledge that politics must be approached primarily through intellect, reason and persuasion. It appeared only a matter of time that the rule of law, the enhanced use of critical reason, the expansion of individual freedom and the tolerance of diversity become an effective reality in a nascent country.
Cameroon, however, is the only country to have an entire government in prison.
To consider this mass-scale imprisonment as evidences that all these prisoners lack integrity and self-respect is non sense. Far from solving any corruption problem, since the country still rank higher in term of corruption on the global scale, the veritable question seems to what purpose all these officials are in prison for? The most evident answer is legal despotism. This legal form of despotism is a tactic ripped from the playbook of authoritarian regimes around the world including Cameroon. Today, ordinary citizen perceived to be on the opposing side of the regimes seldom die in suspect car or airplane crashes. Legal despotism’s goal is to discredit and undermine a capable professional class ability to enter into a logic of contribution.
The specter of legal despotism happens all over the world in authoritarian countries, such as Cameroon, where leaders brook no dissent. Folks who don’t toe the line are derided as incompetent, politically-motivated, seditious or corrupt. The word “opponent” is turned into a biopolitical category. Hence, the goal of legal despotism is to intimidate and silence. These tactics can be highly effective, particularly, for the ways they train the professional class to comply with a set of implicit rules. And, after a while, these implicit rules no longer need active enforcement because people come to internalize them for their own survival.
We have to recognize that the real imperative is the building of a real civic democracy that takes into account the pluralistic nature of contemporary Cameroon.
Now, Cameroonian «democracy» is privatized by a small clique who share the belief that democracy should work for them, and them alone.
This privatized “democracy” is constricted and controlled by a self-serving elite sidelining the vast majority in order to grab more and more power for themselves. Upward mobility no longer works, exclusion ran rampant, and the Biya’s elite reach such a stage of self-entitlement that they now think that their monopoly is a God given right. Cameroon is reaching a stage where it only serves few families and that is a recipe for disaster.
Olivier Tchouaffe PhD, CL2P Contributor