Parmi les sujets qui divisent au sommet de l’Union africaine figure le retrait, ou non, de la Cour pénale internationale, accusée par certains Etats de ne s’en prendre qu’aux Africains. Il faut savoir que, sur le continent, il existe une juridiction pour examiner les plaintes des victimes de violations des droits de l’homme : la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui siège à Arusha, en Tanzanie. Depuis quatre mois, son président est un magistrat ivoirien, Sylvain Oré. Il est l’invité ce matin de Christophe Boisbouvier.
RFI : Après son départ en exil, Yahya Jammeh espère échapper à toute poursuite judiciaire. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Sylvain Oré : Je pense que c’est peut-être aux politiques de pouvoir répondre à cette question, mais à mon avis, en tant que juge, en tant que personnalité avec pour mandat de protéger les droits de l’homme, lorsqu’on est justiciable de quelques infractions, de quelques crimes, je pense que l’on doit pouvoir y répondre.
Est-ce que vous ne craignez pas que Yahya Jammeh en échange de son départ du pouvoir ait négocié avec la Cédéao et l’Union africaine, une immunité ?
C’est possible pour répondre de façon ponctuelle à la stabilité de la Gambie. En ma qualité de juge à la Cour africaine, il ne m’appartient pas peut-être d’apporter un jugement de valeur, ou une appréciation sur des accords politiques pour pouvoir permettre d’avancer dans une situation bien précise.
Concrètement, est-ce qu’on peut imaginer que le fils de notre confrère Deyda Hydara, qui a été assassiné en décembre 2004, puisse porter plainte devant votre Cour ?
Si les investigations n’ont pas été menées, même après la saisine de la Cour, la Cour peut décider qu’il y a violation et que les investigations puissent peut-être reprendre, ou alors puissent être entamées pour pouvoir trouver les auteurs de cet assassinat. C’est d’ailleurs la situation qui a prévalu lorsque le journaliste Norbert Zongo a été assassiné au Burkina Faso et que la Cour a été saisie de ce cas-là. Les investigations n’ont pas été menées jusqu’au bout et que cela demeurant en l’Etat, il était possible donc de pouvoir indexer cet Etat-là comme ayant commis une violation et donc de pouvoir obliger cet Etat à commencer les investigations. Ce qui a d’ailleurs été fait puisque les investigations, les enquêtes ont repris et que même les familles ont pu bénéficier de dommages et intérêts.
Alors il y a une affaire qui a beaucoup défrayé la chronique ces derniers mois, c’est une saisine de votre Cour par l’Association ivoirienne pour la protection des droits de l’homme, concernant l’indépendance et l’impartialité de la CEI, la Commission électorale indépendante de Côte d’Ivoire. Vous avez rendu un jugement qui a beaucoup fait parler ?
Je tiens à préciser que, en tant que moi-même ressortissant de la Côte d’Ivoire, je devais me récuser conformément bien sûr au protocole. La Cour a estimé qu’il y avait un déséquilibre entre la représentation présidentielle et l’opposition qui ne permettait pas d’affirmer l’indépendance de la Commission, donc elle a simplement demandé à l’Etat défendeur de pouvoir revoir sa copie.
Ne craignez-vous pas que certains disent que vous êtes Cour africaine des droits de l’homme, pas Cour africaine des droits politiques et que vous avez peut-être débordé de votre champ de compétence ?
Oui, on aurait pu le penser ainsi. En fait, la décision a été rendue sur la base d’un protocole sur la bonne gouvernance. Donc nous sommes parfaitement dans notre rôle, nous exécutons parfaitement notre mandat.
Est-ce que comme le voudrait un certain nombre de chefs d’Etat africains, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pourrait remplacer dès la semaine prochaine la Cour pénale internationale ?
Cela n’est pas possible parce que cela répond à un processus bien déterminé. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a un mandat des droits de l’homme exclusivement, pas un mandat en matière criminelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un protocole a été envisagé pour étendre la compétente de l’actuelle cour en lui incluant des domaines en matière de répression des crimes internationaux. Mais à présent, nous n’avons pas cette compétence, nous avons les mêmes compétences à valeur comparative que la Cour européenne des droits de l’homme.
Par Christophe Boisbouvier – RFI