C’est comme si le corps d’Etienne Tshisekedi qui repose dans un cercueil recouvert du drapeau congolais diffusait encore l’énergie de l’histoire, de la lutte pour la démocratie, de l’espoir. A Bruxelles, dimanche 5 février, des milliers de Congolais de la diaspora sont venus capter les dernières ondes du « sphynx de Limeté » qui s’est éteint le 1er février, à l’âge de 84 ans. Son aura dépassait les frontières du plus grand pays d’Afrique francophone, traversées par des milices armées venues de pays voisins pour y faire deux guerres et des millions de morts. La lutte armée, Etienne Tshisekedi s’y est toujours refusé. Ce qui a contribué à faire de lui une figure africaine, une icône congolaise, un redoutable politicien redouté par le pouvoir de Mobutu Sese Seko puis de Laurent-Désiré Kabila et enfin de Joseph Kabila.
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Au palais des expositions du Heysel, dans la capitale de l’ancienne puissance coloniale, dans les premiers rangs, on a vu un homme discret semble mesurer le poids de l’héritage politique qu’il doit désormais assumer. Felix Tshisekedi, les yeux masqués par de fines lunettes de soleil, casquette de gavroche vissé sur la tête tel un clin d’œil à son père. Avec son costume de bon faiseur et son allure chic, le fils, âgé de 53 ans semble méditer l’ampleur de la tâche qui lui revient.
« Jamais je ne trahirai l’héritage de mon père, ses combats et la lutte continue », confiait-il au Monde à Kinshasa courant décembre, en marge des discussions avec la majorité présidentielle dans le cadre du dialogue entamé sous l’égide de l’église catholique. Alors en lien permanent avec son père affaibli qui avait accepté ce dialogue, Félix a participé à ces âpres négociations avec les stratèges du président Joseph Kabila. Malgré l’accord scellé le 31 décembre, les échanges se sont poursuivis, interrompus par la mort d’Etienne Tshisekedi qui vient bouleverser le paysage politique et le rapport de force dans un contexte de crise politico-économique.
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A Kinshasa, les adorateurs de « Papa Tshi » s’impatientent, devant le siège de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti qu’il a co-fondé en 1982. Bruxelles est loin, très loin et le rapatriement du corps tarde. A Kinshasa, les rassemblements avaient été interdits en prévision d’éventuels débordements le 19 décembre 2016, date de la fin du second et dernier mandat de Joseph Kabila. Le retour de la dépouille d’Etienne Tshisekedi donnera lieu à un raz-de-marée d’opposants au régime, ce qui inquiète les autorités. Si les évêques ont annoncé une trêve dans le dialogue politique, les tractations se poursuivent mais cette fois autour du corps du chef historique de l’opposition.
« Honorer la mémoire d’Etienne Tshisekedi »
« On ne veut pas que le peuple casse la baraque mais c’est lui qui décide de ce qu’on doit faire, affirme de Kinshasa l’opposant Martin Fayulu. Or, la population nous dit qu’elle exige l’application de l’accord du 31 décembre qui prévoit la nomination d’un premier ministre de l’opposition. C’est une condition posée par le peuple qui n’acceptera jamais que l’actuel premier ministre accueille la dépouille d’Etienne Tshisekedi. »
Les évêques congolais ont appelé la classe politique à « honorer la mémoire d’Etienne Tshisekedi en prenant en considération sa dernière volonté politique exprimée par son adhésion à l’accord politique signé le 31 décembre 2016 ». Mais pouvoir se recueillir autour du corps d’Etienne Tshisekedi à Kinshasa sera le fruit d’un nouveau combat, veulent croire les militants de l’UDPS. Le retour du corps représente un dernier levier de négociation dans cette longue bataille contre le pouvoir qui augure une lutte contre soi-même au sein de l’opposition et d’abord de l’UDPS.
Ce « parti magique et compliqué », selon les mots d’un proche du fondateur, risque de voir les querelles internes s’amplifier. Plusieurs courants ont émergé autour de rivalités personnelles et des alliances pourraient se nouer pour la succession. Félix Tshisekedi autrefois critiqué par certains qui moquaient son côté « fils à papa » a fini par acquérir une stature ces derniers mois, selon plusieurs caciques de l’UDPS. Ce communicant n’est certes pas coutumier des affrontements avec les forces de sécurité et des manifestations qui ont rythmé la vie du parti, mais c’est bien à lui que l’on songe désormais comme premier ministre. C’est aux militants que devrait revenir le dernier mot. Comme l’a rappelé Valentin Mubake, le secrétaire général adjoint du parti, « l’UDPS n’est plus un parti politique mais un état d’esprit ». Une manière de rappeler l’axiome du défunt : « le peuple d’abord ».