Au Gabon, fini le football. L’heure est à la politique. Cinq mois après sa réélection très controversée, Ali Bongo sort-il renforcé ou affaibli par la CAN 2017 ? Marc Ona est une grande figure de la société civile. Au Gabon, il est le coordonnateur de la campagne internationale « Tournons la page », qui a appelé au boycott du tournoi de football. En ligne d’Oyem, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Rfi : Marc Ona, les autorités gabonaises se félicitent du bon déroulement de la Coupe d’Afrique des Nations 2017. Vous êtes d’accord ou pas ?
Marc Ona : Mais c’est le contraire qui aurait surpris de la part des autorités gabonaises, parce qu’elles ont toujours été dans les opérations de communication, alors que la réalité est là. Ce fut un fiasco. Un fiasco au niveau de l’organisation. Nous avons suivi les plaintes de l’entraîneur du Togo, de la délégation de la RDC et du Maroc. Même au niveau de la population ce fut aussi un fiasco.
Le Haut-commissaire au Comité d’Organisation de la CAN 2017, Christian Kerangal, affirme que le taux de remplissage moyen des Coupes d’Afrique des Nations est autour de 40 % et que cette année au Gabon il a avoisiné les 66 %.
Mais les images sont claires ! Et les images sont là ! Ceux qui ont suivi la Coupe d’Afrique des Nations dans les différents stades : Oyem, Port-Gentil, Libreville et Franceville, ne peuvent pas se satisfaire d’un échec. Nous avons lancé un mot d’ordre de boycott et ce mot d’ordre de boycott a été très bien suivi. Je peux prendre par exemple le stade d’Oyem qui ne s’est jamais rempli pour ne serait-ce que 30 %. Le stade de Port-Gentil c’est la même chose. Et nous savons aussi que pour remplir les stades, Ali Bongo et son équipe ont dû distribuer gratuitement des billets d’entrée et les élèves ont été sollicités. Même les élèves de la maternelle ont été sollicités pour aller remplir les stades ! Les militaires également.
Alors vous parlez du stade d’Oyem. Le problème c’est peut-être qu’il est à 17 kilomètres de la ville et que les gens n’ont pas les transports en commun pour y aller, non ?
Il y avait moins de monde à Oyem parce que la population ne voulait pas y aller. Ils ont mis à la disposition des bus pour transporter les populations jusqu’au stade. A Libreville, par exemple, c’est un stade où le problème des transports en commun ne se pose pas. Ce stade de Libreville ne s’est jamais rempli à 100 % ! Les Gabonais ne pouvaient pas être mobilisés tout simplement parce qu’un gadget comme la Coupe d’Afrique des Nations de Football n’est pas au-dessus des revendications des populations.
Les écoles sont fermées, toutes les administrations sont paralysées, les revendications sectorielles se multiplient. Même les magistrats sont dans la rue. Comment voulez-vous que les Gabonais aillent au stade juste pour une fête de football alors qu’ils n’ont rien à manger ? On ne peut pas demander aux Gabonais d’aller au stade, juste pour applaudir Ali Bongo avec son ami Issa Hayatou qui sont venus faire un show, un show pour atténuer la colère des Gabonais. Mais ça n’a pas marché.
Le but du pouvoir gabonais c’était de prouver que cinq mois après la présidentielle le Gabon était revenu à une vie normale. Est-ce que de ce point de vue il a réussi ou pas son objectif ?
Est-ce qu’on peut parler d’une vie normale quand tous les établissements secondaires et primaires sont fermés parce que les enseignants sont en grève ? Est-ce qu’on vit une vie normale quand tous les jours que Dieu fait il y a les délestages ? Il n’y a pas l’eau à l’hôpital ?
Le pouvoir est passé à côté de la plaque parce que le pouvoir misait sur les performances de l’équipe nationale, mais l’équipe nationale est sortie au premier tour. Et du coup, tous les calculs ont été mis en place par le pouvoir pour essayer de faire passer le football comme étant une sorte de remède au malaise des Gabonais à l’issue du coup de force électoral du mois d’août. Mais c’est une douche froide pour Ali Bongo. C’est une douche froide et nous sommes satisfaits du boycott que nous avons lancé.
Depuis cinq mois la stratégie de l’opposition et de la société civile, c’est de prouver que le Gabon est paralysé. Malgré tout, la Coupe d’Afrique des Nations a pu se dérouler jusqu’à la finale Cameroun-Egypte sans difficulté.
Est-ce qu’un pays ne fonctionne qu’avec le match de football ? Est-ce que la vie d’un Etat se résume à organiser des manifestations sportives qui vont jusqu’au bout ?
Alors aujourd’hui, au lendemain de la CAN, le pouvoir veut reprendre l’initiative sur le terrain politique en organisant un dialogue auquel est invitée l’opposition. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Le pouvoir n’a pas le monopole du dialogue. Avant la présidentielle nous avons exigé le toilettage du fichier électoral et surtout la réforme de toutes les institutions. Ali Bongo a refusé. Mais c’est après le coup de force électoral qu’il essaie d’organiser un dialogue. Mais ce n’est pas un dialogue du tout. C’est toute une opération pour légitimer son coup de force électoral. Mais tout le monde a suivi la résolution qui a été votée au niveau du Parlement européen, une résolution qui dit clairement qu’Ali Bongo n’est pas légitime, parce que les résultats issus de cette élection ne sont pas fiables.
A quelles conditions pourriez-vous aller à un tel dialogue ?
Je vous rassure tout de suite, je n’irai pas au dialogue proposé par Monsieur Ali Bongo parce que nous ne pouvons pas cautionner un tel acte de légitimation d’un pouvoir usurpé.
Et donc pour vous il ne sert à rien d’aller aux élections législatives du mois de juillet prochain ?
Si Ali Bongo a envie de s’octroyer une majorité à l’Assemblée nationale sans tenir compte des résultats issus des urnes, il va s’imposer par la force. Il n’y aura pas d’élections législatives. Il y aura tout simplement des nominations législatives. Et si le choix du peuple n’a jamais été pris en considération à quoi ça sert d’organiser les élections ?
Et quelle est pour vous la priorité aujourd’hui ?
La priorité pour moi c’est la libération sans condition du député Bertrand Zibi et de Yeo Sifowa, cet informaticien ivoirien qui est détenu arbitrairement dans les geôles de la prison centrale, tout simplement pour avoir fait son travail de compilation des résultats, bureau de vote par bureau de vote, au QG de Jean Ping. Il faut absolument qu’on libère ces personnes. Et à partir de cet instant on va s’asseoir pour discuter. On ne peut pas discuter tant que les citoyens sont de manière arbitraire détenus et dans des conditions lamentables que tout le monde connaît, au niveau de la prison centrale de Libreville qui n’est pas une prison. C’est une sorte de mouroir.