En anticipant ainsi de plusieurs mois l’annonce de sa décision, la plus haute juridiction camerounaise fait preuve d’une célérité inaccoutumée, qu’éclairent divers facteurs. D’abord, le Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire, saisi du cas Lydienne Eyoum, a transmis voilà une semaine aux autorités locales son avis. Ensuite, tout porte à croire que lors de son récent passage à Yaoundé, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, reçu au palais d’Etoudi, a évoqué avec le peu disert Biya le cas de l’avocate embastillée à la Centrale de Kondengui. Même si les communiqués officiels s’abstiennent, comme il se doit, d’y faire allusion. Sans doute la présidence, qui mise sur une visite prochaine de François Hollande, veille-t-elle à ne pas dilapider le regain de mansuétude que lui valent, sur les bords de Seine, l’engagement tardif mais résolu de son armée sur le front Boko Haram, ainsi que les intercessions de Sa Majesté Paul 1er en faveur de la libération d’otages français kidnappés dans l’extrême-nord du pays.
Dès lors, deux hypothèses. Ou la Cour suprême fait droit à la requête de la captive et ordonne son élargissement. Ou elle confirme la sentence, offrant ainsi à celui qui règne depuis 1982 sur l’ex-colonie britannico-germano-française l’occasion d’exercer son très régalien droit de grâce. « La deuxième formule m’apparaît, et de loin, la plus probable, avance Michel-Thierry Atangana. N’oublions jamais qu’il s’agit non de justice, mais de politique. » Ce Français d’adoption -depuis 1991- connaît la rengaine : il fut l’otage, 17 années durant, dont 15 à l’isolement, d’une vendetta clanique puis du rapace maison. Et ne dut la fin de sa longue nuit carcérale qu’au fait du prince.
Depuis son retour à la liberté, en février 2014, cet expert financier, relégué dans les oubliettes du secrétariat d’État à la Défense pour avoir prétendu diriger la campagne d’un candidat à la magistrature suprême, bataille bec et ongles -l’image s’impose au royaume de l’Épervier pour obtenir réparation. De l’écrasant préjudice moral bien sûr, mais aussi de la spoliation de ses biens, notamment immobiliers. Libre, donc, mais amer. « Mon sort a plus d’impact aux États-Unis que dans l’Hexagone, soupirait-il voilà peu, à son retour d’un voyage Outre-Atlantique. Là-bas, je suis attendu, accueilli, écouté. Un cas d’école. Ici, black-out total. Un exemple: mes demandes de rendez-vous avec Elisabeth Guigou [la présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale] sont restées sans réponse. Idem au PS. »
De fait, « l’Appel de Washington », lancé le 4 mai par une brochette d’ONG et de fondations, dont le Centre Robert F. Kennedy pour la Justice et les Droits humains et Freedom House, enjoint à la France et au Cameroun de se conformer aux décisions des Nations unies quant à la lutte contre l’impunité. Et l’ex-bagnard de Biya d’égrener la longue liste de ses déconvenues et autres vaines démarches. « J’ai été reçu le 14 septembre par Anne-Françoise Tissier, membre du cabinet de Laurent Fabius, précise le jeune quinquagénaire. Depuis, plus rien. On m’a promis un logement et une mission. En fait, je dois mon hébergement au sens de la solidarité de mes soutiens. Et il a fallu six mois pour que soit remboursé mon billet de retour Yaoundé-Paris. Le boulot ? Mon CV circule au Quai d’Orsay. On m’a en outre invité à pointer au RSA et au RMI. Mais je refuse l’assistanat. Ce que je veux, c’est retrouver ma dignité d’homme. Non à la double peine. » Autre grief, la formulation de l’attestation délivrée le 14 mars 2014 par le Quai d’Orsay : « Pas la moindre mention du caractère arbitraire de ma détention, regrette-t-il. Ce qui rend toute réinsertion impossible. »
Depuis 2012, Atangana et les siens tirent une autre sonnette : celle du Défenseur des droits. Hier Dominique Baudis, disparu en avril 2014 ; aujourd’hui Jacques Toubon. « Son dossier a bien été enregistré, confirme une collaboratrice de l’ancien ministre de la Culture puis Garde des Sceaux. Il est à l’instruction au sein du pôle des affaires judiciaires. Lequel déterminera si notre institution, une autorité administrative de rang constitutionnel qui n’a donc d’ordres ou de conseils à ne recevoir de personne, est compétente en la matière. Reste que la procédure risque de prendre environ une année. »
Une anecdote : rangé parmi les « prisonniers politiques » dès 2005 par le Département d’État américain, Atangana a reçu en 2013 une nouvelle carte nationale d’identité française, où figure, à la rubrique « Adresse », son lieu de détention à Yaoundé, au demeurant illégal… Pourquoi cette très diplomatique frilosité? L’ancien reclus soupçonne Paris de négocier en catimini avec Biya, et ce au nom raison d’État. « Hollande peut-il aller au Cameroun sans que soit résolu mon cas ? Ma force, je la puise dans la volonté d’épargner à Lydienne Eyoum ce que j’ai vécu. C’est aussi pour elle que je me bats aujourd’hui. » Dans un pays où l’espérance de vie avoisine le demi-siècle, conclut-il, « 25 ans de taule, c’est une peine de mort déguisée. »
Vincent Hugeux
Le blog de Vincent Hugueux, L’express