«Le Cameroun est un et indivisible». C’est là une déclaration qui est censée avoir un retentissement solennel. Cependant, il se passe tellement de choses au Cameroun aujourd’hui qu’un tel discours suscite désormais plus de questions que de réponses. Au fait, parlant de ce Cameroun, s’agit-il d’un territoire ou d’un peuple?
UN TERRITOIRE?
Le Cameroun en tant que pays, ou des fragments d’un pays, a été connu sous plusieurs dénominations telles que:
Kamerun, Cameroun méridional (Southern Cameroons) et Cameroun septentrional (Northern Cameroons), République du Cameroun, République fédérale du Cameroun, Cameroun occidental, Cameroun oriental, République unie du Cameroun et la deuxième République du Cameroun. Seule la Constitution de la République Fédérale du Cameroun de 1961 désigne le territoire sous l’appellation de «Cameroun». Cette loi fondamentale dispose en effet en son article premier que:
La République fédérale du Cameroun est formée, à compter du 1er octobre 1961, du territoire de la République du Cameroun, désormais appelé Cameroun oriental, et du territoire du Cameroun méridional, anciennement sous tutelle britannique, désormais appelé Cameroun occidental.
Les Constitutions qui ont suivi ne définissent pas les territoires mais changent plutôt la dénomination du pays. En effet, alors que la Constitution de 1972 essaie de garder la notion de deux territoires qui se mettent ensemble pour former un Cameroun uni, la Constitution de 1984 quant à elle doit être vue comme celle qui a créé une énorme confusion dans la dénomination du territoire du Cameroun. Cette Constitution en son article 1 (1) dispose que:
La République unie du Cameroun prend, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, la dénomination de République du Cameroun (loi n ° 84-1 du 4 février 1984).
En revenant à l’appellation «République du Cameroun », déjà défini par la Constitution de la République fédérale du Cameroun comme étant le Cameroun oriental, l’éternelle question a toujours été la suivante: qu’est devenu le « Southern Cameroons » ou alors Cameroun occidental? Dès lors, quand l’on affirme que la République du Cameroun est une et indivisible, s’agit-il aussi du « Southern Cameroons »?
Si jamais il avait été nécessaire de changer le nom du pays, il aurait fallu revenir plutôt à l’appellation allemande «Kamerun». Tous les principaux partis politiques du « Southern Cameroons » utilisaient en fait le mot Kamerun dans leurs appellations, à savoir: KNDP (Kamerun People’s Democratic Party), KNC (Kamerun National Party) KPP (Kamerun People’s Party) et OK (One Kamerun). Ainsi, alors qu’il existe une claire détermination du peuple du « Southern Cameroons » pour une véritable reconstitution de l’ancienne entité coloniale, basée sur les deux héritages culturels sous la forme d’une fédération, l’intention de la République du Cameroun demeure pour le moins opaque.
Le changement constant de nom est ce qui a engendré plus de suspicion. Le «problème anglophone», comme il est malheureusement appelé, est en effet un problème camerounais. Nous semblons renier notre histoire et notre passé. Tous les écrits sur l’indépendance de la République du Cameroun ou alors du Cameroun oriental nous imposent de regarder notre histoire en face, une fois pour toute, et de faire les ajustements nécessaires. Qu’il s’agisse du livre «Kamerun», ou des publications plus récentes comme «La guerre du Cameroun» ou «La France Afrique» dans lesquelles le Cameroun oriental est présenté comme le laboratoire de la politique «France-Afrique», il ne se fait pas de doute qu’il y a des problèmes qui doivent être examinés.
Certains d’entre nous sont encore traumatisés par le souvenir des têtes humaines exposées sur des piquets dans les carrefours, lorsque nous voyagions à travers la région bamiléké pendant les années de la lutte pour l’indépendance. J’ai personnellement encore en mémoire l’image des villages entiers incendiés parce que le seul tort de leurs habitants était la quête de la liberté. L’UPC, parti historique, a dû subir la suspicion, l’humiliation et la persécution. Un acteur français très connu, témoin de ce processus, a en effet affirmé que l’indépendance n’était «donnée» qu’à ceux qui le voulaient le moins.
Aujourd’hui, les ONG en Namibie veulent intenter un procès contre l’Allemagne; les Kenyans ont poursuivi la Grande-Bretagne pour répression à l’époque des Mau Mau et ont obtenu une compensation. Les ONG au Cameroun à leur tour vont bientôt, suite à la libération des archives de la période coloniale et postcoloniale par le gouvernement français, exiger une compensation. Des groupes de pression se penchent actuellement sur tous les accords de tutelle pour voir quelles s’il y a des clauses qui auraient été violées.Par ailleurs, un important débat a cours sur les paiements effectués par les colonies francophones dans le trésor français, en même temps que les gens redoutent les implications politiques de l’existence du franc CFA.
Si dans ce labyrinthe complexe, tout ce que nous pouvons retenir est qu’il s’agit d’un «problème anglophone», que nous ne reconnaissons qu’à de mi-voix et sous pression, alors je me sens profondément chagriné pour mon pays. Ce refus constant de faire face à notre histoire coloniale doit cesser. Nous devons revisiter cette histoire, la comprendre et tirer les conclusions qui nous permettront de tracer la voie du futur. Mais si nous devons simplement réhabiliter des figures pour les appeler héros nationaux, sans prendre des mesures concrètes visant à corriger les torts, si nous devons faire allusion aux pères fondateurs sans toutefois les nommer, alors, il ne s’agit là qu’un jeu de ruse.
C’est ainsi que ni les rues, ni les monuments, encore moins les timbres, ne portent les noms de ces héros, et qu’il n’existe pas de journée pour commémorer les héros nationaux. Juste des mots anonymes à l’endroit de quelques personnes ne nous mèneront nulle part. En plus, quand un citoyen du pays rend hommage a un Père de la Réunification, en érigeant une statue à Douala, celle-ci est cassée et trainée dans la rue sous le regard des citoyens totalement scandalisés et stupéfait. Le soi-disant «problème anglophone» n’est en fait que le résultat de cette situation de déni dans laquelle nous nous trouvons.
UN PEUPLE?
En tant que peuple, sommes-nous donc un et indivisibles? Il est intéressant de lire ce qu’a écrit un chroniqueur de «Le Monde Afrique», Yann Gwet, en commentant le discours de vœux de Nouvel An prononcé par le président du Cameroun:
«En écoutant le président Biya, 82 ans, parler de cette jungle comme d’un «pays démocratique et État de droit», se poser en protecteur des «fondements de notre vivre ensemble», invoquer avec solennité la Constitution du pays alors qu’il est au pouvoir depuis trente-trois ans, réaffirmer avec force l’unité et l’indivisibilité du Cameroun en réponse aux «préoccupations» des enseignants et des avocats en grève dans la partie anglophone du pays et rebaptisés pour l’occasion «manifestants extrémistes manipulés et instrumentalisés», j’ai eu la confirmation de ce que je sais déjà. Il y a deux Cameroun : un officiel et un réel».
Si nous voulons consolider notre unité, c’est le vrai Cameroun que nous devons affronter. Nous devons nous parler en face, en toute franchise, en toute honnêteté et sans détours. Si nous continuons à renier l’histoire, alors nous ne serons jamais unis, les divisions persisteront, et nous perdrons la paix qui nous est si chère.