Amnesty International publie aujourd’hui son rapport 2016-2017. Régression des droits humains sur le continent, répressions de manifestations, incarcérations d’opposants politiques et de journalistes, centaines de milliers de déplacés à cause de conflits, Union africaine qui ne prend pas la mesure des événements tragiques qui secouent l’Afrique, communauté internationale qui ferme les yeux… le tableau est noir. Samira Daoud, directrice régionale adjointe Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International, est notre invitée aujourd’hui. Elle répond aux questions de Jean-Jacques Louarn.
Un mot tout d’abord sur le décès du colonel Marcel Ntsourou dans sa prison à Brazzaville. De grosses zones d’ombre persistent sur cette mort ?
Samira Daoud : Effectivement, la situation au Congo-Brazzaville est extrêmement préoccupante pour nous. Et malheureusement, les autorités congolaises nous refusent l’accès dans le pays, donc nous n’avons pas la possibilité d’aller enquêter sur place. Ce que nous avons déjà constaté depuis plusieurs mois, c’est que le droit d’exprimer les opinions politiques divergentes et le droit de manifester, ne sont manifestement ni respectés, ni protégés. Il y a de nombreux prisonniers que nous considérons comme des prisonniers d’opinion, qui ont été arrêtés et pour lesquels nous demandons la libération, comme Paulin Makaya par exemple, ou d’autres pour lesquels nous sommes particulièrement inquiets quant à leur état de santé. Donc nous demandons aux autorités congolaises d’une part de libérer les prisonniers d’opinion, et par ailleurs que la lumière soit faite sur les conditions de décès de monsieur Ntsourou.
Paulin Makaya qui est emprisonné depuis juillet 2016 et pour deux ans, pour avoir organisé et participé à une marche contre le référendum constitutionnel d’octobre 2016. Une réforme qui a permis à Denis Sassou-Nguesso d’être réélu ?
Tout à fait. Nous attendions la procédure d’appel hier et le procès a été ajourné. Pour nous, Paulin Makaya n’aurait jamais dû être arrêté.
Pas très loin du Congo-Brazzaville, il y a le Cameroun avec un cas tristement emblématique, Ahmed Abba, le correspondant de RFI en langue haoussa au Cameroun donc. Il est détenu depuis le 30 juillet 2015. Ahmed Abba, véritable symbole des atteintes aux libertés, notamment d’expression…
Le cas d’Ahmed Abba. Pour moi nous sommes typiquement dans un système de répression, sans discernement et avec un système policier et judiciaire qui sont largement dysfonctionnels. Ce cas est emblématique parce qu’il est journaliste, parce qu’il travaille pour RFI. Mais vous savez, vous avez des centaines d’Ahmed Abba dans les prisons camerounaises, des personnes qui sont arrêtées sur la base d’accusations extrêmement minces, voire des dénonciations anonymes, qui sont détenus au secret, sans accès à leur avocat, ni à leur famille durant des semaines, voire des mois. Ce qui était le cas d’Ahmed. Ils subissent des actes de tortures pour certains, comme Ahmed nous les a rapportés lui-même lors d’une visite que j’ai pu effectuer à la prison de Yaoundé. Les procès sont systématiquement renvoyés pour des raisons totalement fallacieuses. Il n’y a rien dans le dossier. Et les cas comme celui d’Ahmed sont nombreux. Vous avez maître [Abdoulaye] Harissou, Aboubakar Sidiki qui subissent le même sort depuis des années, qui croupissent en prison attendant un procès qui ne vient pas.
Restons en Afrique centrale. La RDC et le blocage du processus de transition vous inquitète…
C’est pour nous vraiment le moment de rappeler que ces gouvernements doivent cesser de voir la contestation ou l’opposition des pacifiques, dans la plupart des cas comme une menace et respecter l’Etat de droit. Nous appelons vraiment tous les partenaires et la communauté internationale à maintenir la pression sur la République démocratique du Congo pour que cesse cette répression et que l’Etat de droit prévale.
Répression, assassinats, atteintes graves aux libertés. Pas très loin de la RDC, il y a le Burundi qui s’isole de plus en plus, s’enfonce dans une crise politique majeure ?
Oui, le Burundi avec la décision du gouvernement de se retirer de la CPI [Cour pénale internationale] qui laisse peu d’espoir pour que justice soit faite un jour quant aux atteintes extrêmement graves qui ont été commises dans ce pays. Mais cette année a été marquée en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale par l’omniprésence de répressions extrêmement violentes et arbitraires contre toute forme de rassemblement et de manifestations. Le Burundi a été un exemple extrême, le Nigeria aussi. Les Etats sont de plus en plus intolérants à toute forme de dissidence ou de critiques. Je rentre tout juste de Côté d’Ivoire où tout récemment encore des journalistes ont été arrêtés simplement pour avoir fait leur travail, en l’occurrence avoir informé leurs lecteurs sur la manière dont le gouvernement avait transigé avec les mutins. Toute manifestation là-bas est interdite ou réprimée.
Le Burundi claque la porte de la CPI. Faut-il parler de divorce entre l’Union africaine, disons l’Afrique, et la CPI ?
Il est vrai qu’un certain nombre de pays au sein de l’Union africaine poussent de manière très active pour un retrait de la CPI pour des raisons politiques qui les concernent. Mais il est important de souligner qu’il y a de nombreux pays qui ont réaffirmé leur soutien à la CPI et notamment je peux citer la Gambie par exemple qui s’était retirée sous Yahya Jammey et qui vient par la voix de son nouveau président d’annuler officiellement son retrait de la CPI. Je pense que c’est important.
Le rapport n’épargne pas l’Union africaine. Vous pointez la réaction que vous dites « lente, incohérente, et limitée de l’organisation face aux violations des droits humains » ?
Les réponses de l’Union africaine aux violations ont été effectivement assez lentes et limitées. L’UA a souvent été très lente à réagir que ce soit au Burundi ou ailleurs.
Par Jean-Jacques Louarn -RFI