Cameroun-Crise anglophone et coupure intentionnelle d’internet: Qui indemnisera les entrepreneurs de la “Sillicon Mountain”?
C’est une catastrophe économique que vivent les entreprises de la partie anglophone du Cameroun. Un véritable gouffre financier. Buea la sillicon Valley camerounaise est la plus touchée. L’organisation Internet sans frontière estime que c’est le record de faillites en Afrique qui frappe les stars-ups de la “Sillicon Mountain”
Le régime de Yaoundé en a-t-il seulement conscience? Ou considère-t-il que tous comptes faits, la ruine du tissus économique des régions anglophones est le prix à payer de l’anéantissement par la force brutale et aveugle de la désobéissance civile des populations.
Il appartiendra précisément aux institutions internationales compétentes de présenter la note intégrale – en termes de pertes humaines et financières occasionnées par l’acharnement répressif de la dictature trentenaire de Paul Biya, désespérément incapable d’entamer un dialogue avec les représentants légitimes de la société civile anglophone du Cameroun.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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Mambe Churchill Nanje : “Il faudra du temps pour se remettre de cette épreuve”
Au téléphone, ce début de février, Churchill Mambe Nanje, 30 ans, ne trouve pas les mots. Son silence déconcerte. L’échange est distant, courtois, mais assez expéditif pour nous marquer et nous donner l’envie d’en savoir plus sur ce qu’il se passe dans ces régions dites anglophones du Cameroun. Qu’est-ce qui peut rendre ce jeune entrepreneur, hyper médiatisé depuis qu’il a lancé Njorku, la plus grande plateforme d’offres d’emploi d’Afrique, aussi soucieux ?
Quelques jours plus tard, après lecture d’un rapport de l’ONG Internet frontières qui a évalué les pertes financières causées par les coupures de réseau dans les régions anglophones, on comprend pourquoi Churchill, toujours souriant sur les photos d’article ou vidéos, est préoccupé. “La coupure internet dans les deux régions anglophones a potentiellement fait perdre 1,35 million de dollars à l’économie du Cameroun”, écrivent les auteurs, dont Julie Owono, avocate à Internet sans frontières.
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Depuis plus d’un mois (et c’est désormais un record en Afrique pour la durée), sans qu’aucune explication officielle ne soit donnée par les autorités, les Camerounais situés dans deux villes clés : Bamenda, la capitale du Nord-Ouest, et Buéa, au Sud-Ouest, soit deux des dix régions anglophones du pays, sont coupés d’Internet.
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Tout a commencé en novembre 2016, par des manifestations d’enseignants dénonçant la marginalisation de la minorité anglophone, soit environ 20 % des quelque 22 millions d’habitants du Cameroun par rapport à la majorité francophone. Certains y réclament le retour au fédéralisme, voire l’indépendance pour une minorité d’entre eux. Dans ce moment assez confus, le gouvernement a lancé une campagne contre la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux, mais le 19 janvier dernier, des opérateurs annoncent à leurs abonnés dans ces deux régions la coupure du Net. Faut-il voir une concertation dans ces deux actes ? Qui a ordonné quoi ? Et quand ? Dans quel but ? Pour l’instant, les explications des uns et des autres et surtout des autorités ne convainquent pas. Sur Twitter, une campagne #Bringbackourinternet (rendez-nous notre Internet) en faveur des anglophones du Cameroun est lancée, suivie de loin par le lanceur d’alerte américain Edward Snowden.
Les premiers affectés par ces coupures du Net sont les entrepreneurs de Buéa, ville vibronnante d’innovation, de startups. Ils s’appellent Alain Nteff, créateur de Giftmom, ou Churchill Mambe Nanje, notre interlocuteur taiseux. Njorku qu’il a fondé est aujourd’hui l’un des plus grand moteurs de recherche d’emplois en Afrique. Avec plus de 50 000 visiteurs chaque semaine, le site est accessible en deux langues, le français et l’anglais, et permet de rechercher des emplois dans près d’une quinzaine de pays. Derrière cette plateforme archi-récompensée se cache le brillant Churchill Manmbe Nanje qu’on a décidé de relancer : à tout juste 30 ans, avec son équipe d’une dizaine de membres, il travaille 24 heures sur 24 pour faire évoluer son entreprise, qui vient tout juste de remporter le prix de l’entreprise la plus innovante du continent. Une reconnaissance qui lui permet de garder espoir. Il s’est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : plus d’un mois que deux régions dites anglophones du Cameroun sont coupées du reste du monde, quel impact ces coupures ont-elles sur votre activité ?
Churchill Mambe Nanje : Eh bien la coupure d’Internet dans ces deux régions est dévastatrice pour moi et mon entreprise ! Mon équipe et moi sommes forcés de voyager régulièrement et de travailler à Douala, où le coût de la vie est généralement plus élevé. Sans oublier les contraintes liées aux déplacements avec les interminables embouteillages. Et tous ces mouvements ont un coût, puisque nous devons louer des bureaux et des hôtels ou appartements sur place, à Douala.
Et je n’ai vraiment pas le cœur à commenter les pertes financières que nous avons constatées depuis ces coupures ! À cause de cela nous avons peur de signer de nouveaux clients qui représentent des milliers de dollars de chiffres d’affaires. Sans compter que cette coupure est en train de donner une mauvaise image des start-up camerounaises face aux investisseurs potentiels.
Que représente en termes d’activité économique la “Silicon Mountain” au Cameroun ?
La Silicon Mountain est le surnom donné à notre écosystème numérique et tech qui est situé à Buea, une ville du Cameroun qui se situe au pied du mont Cameroun, capitale du sud-ouest du pays. Inspiré du modèle de la Silicon Valley, il emploie directement et indirectement plusieurs centaines de jeunes Camerounais.
C’est devenu une source de revenus pour des jeunes qui ont décidé de créer eux-mêmes leur emploi et d’en offrir à d’autres, sans compter sur l’État et surtout sans se plaindre. Ces jeunes diplômés développent chaque jour de nouvelles applications, des logiciels, investissent dans des start-up, des entreprises numériques qui ont des clients partout dans le monde, du Cameroun au Nigeria en passant par l’Europe et les États-unis pour beaucoup. Nous sommes dans une communauté dynamique.
Quel est le poids de l’économie numérique dans votre pays ?
À l’heure actuelle, la montagne Silicon est l’élément central de l’économie numérique au Cameroun. C’est le leader en termes d’expérience, d’innovation, de nombre de start-up, de qualité de produits et, globalement, c’est le cœur de notre économie numérique non pas parce que nous sommes les plus intelligents, mais parce qu’il a le meilleur environnement : sur le plan de la météo, c’est une ville universitaire et à proximité de Douala, la capitale économique pourvoyeuse de techniciens et d’ingénieurs.
À combien s’élèvent vos pertes à ce jour ?
À l’heure actuelle, je dépense personnellement plus de 300 000 FCFA par semaine pour vivre et travailler à Douala avec les quelques membres de mon équipe que j’essaie de soutenir. Mais comme je l’ai dit plus tôt, nous avons des pertes en termes de projets que nous ne pouvons pas livrer à temps, des projets que nous ne pouvons pas inscrire et l’intérêt des investisseurs que nous perdons à cause de cela et qui s’élève à des centaines de milliers de dollars.
Avez-vous la possibilité d’honorer tous vos contrats ?
Il est très difficile pour nous de satisfaire nos clients comme avant. Travailler à Douala est un peu difficile pour notre secteur d’activité. C’est surtout sur le plan logistique, et les conditions de travail ne sont pas aussi bonnes qu’à Buéa.
Comment allez-vous faire pour rattraper le travail ?
Eh bien déjà, il faut qu’on nous remette Internet. Ensuite, il nous faudrait des semaines pour rassembler les équipes, échanger avec nos clients sur le travail fait et surtout expliquer ce qui n’a pas été fait. Il ne faut pas s’imaginer que le retour à la normale se fera tout de suite ! Il faudra du temps pour se remettre de cette épreuve.
Que dit cette situation de la compréhension des États africains des enjeux numériques ?
Le Cameroun n’a pas été construit en une journée, je ne dis pas cela pour dédouaner qui que ce soit. Mais nos États africains ne sont pas encore pleinement conscients de ce nouveau monde numérique et je suis heureux qu’au Cameroun il y ait de plus en plus de jeunes qui poussent dans ce sens. De mon côté, je me concentre sur l’autonomisation des jeunes via les activités économiques numériques même si je pense qu’il reste encore beaucoup à faire et nous travaillerons en collaboration avec les gouvernements pour voir comment améliorer les choses et faire du Cameroun une grande puissance économique numérique en Afrique.
Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités du Cameroun ?
J’aimerais qu’ils trouvent un arrangement, un accord, et qu’ils distinguent ce qui relève de la sécurité nationale, puisque c’est le motif avancé et l’économie numérique au Cameroun. Ils peuvent toujours couper certaines applications tout en assurant que l’Internet fonctionne pour ceux dont c’est le cœur de métier. Nous devons continuer à servir nos clients et utilisateurs sans encourir des coûts évitables et supplémentaires comme nous le faisons maintenant.
Sur le long terme, comment éviter qu’une telle situation se répète ?
Nous discutons déjà avec les partenaires sur les moyens dont nous pouvons disposer pour qu’à l’avenir cela ne se reproduise pas. Nous pourrions procéder à la mise en place de lignes Internet de sauvegarde via un satellite ou nous pourrions configurer nos bureaux dans différents pays en Afrique de sorte que si le problème avait lieu dans un pays, cela n’affecte pas l’ensemble de l’entreprise.
Enfin dans ce contexte particulier, Njorku a été désignée comme la start-up “à la croissance la plus dynamique d’Afrique” par le magazine d’affaires américain Fast Company, comment prenez-vous cette marque de reconnaissance ?
J’ai été très heureux de voir figurer Njorku parmi les start-up les plus innovantes en Afrique aux côtés de grands noms comme Andela et Iroko. Notre ambition pour Njorku est de servir des millions de professionnels africains avec des solutions novatrices et à la pointe de la technologie. Sur notre métier, qui est le recrutement, Njorku.com est devenu plus qu’un moteur de recherche d’emploi, mieux que Google, mais concentré sur les sites d’emploi en Afrique. Notre équipe travaille 24 heures sur 24 pour trouver des solutions pour aider chaque Africain à trouver un meilleur emploi. À l’avenir, cela devrait aider toute entreprise en Afrique à trouver les meilleurs professionnels pour le poste. Je n’ai pas choisi de naître camerounais, alors je dois accepter mon héritage et tirer le meilleur parti de celui-ci. Donc, dans de telles situations, je me concentre davantage sur les solutions et la voie à suivre et jusqu’à présent je tiens bon. J’aime cette phrase : “Il y a toujours un moyen d’aller de l’avant !”