Pas de connexion depuis un mois : à la demande du gouvernement du Cameroun, les fournisseurs d’accès à Internet ont suspendu leurs services depuis le 17 janvier 2017 dans deux des dix régions du pays, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, soit 20 % de la population coupée du web. Les autorités craignent que les réseaux sociaux ne soient utilisés pour animer et organiser un mouvement de contestation qu’elles ne pourraient contenir. Edward Snowden a fait partie de ceux qui se sont émus de cette décision radicale, relayant le hashtag #BringBackOurInternet (« Rendez-nous notre Internet »), utilisé depuis sur les fils d’actualité.
Les deux régions sanctionnées ont la particularité d’être anglophones – alors que les huit autres sont francophones – et sont en ébullition depuis novembre 2016 : un antagonisme profond oppose une partie de leurs habitants, qui s’estiment marginalisés et mal représentés, au gouvernement. Manifestations, répression, arrestations, grèves, « villes mortes » se sont succédé ces dernières semaines. Il y a eu au moins deux morts, mais certaines sources parlent de six personnes tuées.
D’une certaine manière, ce sont les fantômes du passé colonial très particulier du Cameroun qui sont en train de resurgir. Colonisé d’abord par l’Allemagne, le pays s’est retrouvé placé, à l’issue de la Première guerre mondiale, sous la tutelle de la Société des nations. Il a alors été divisé en deux : une partie, frontalière avec le Nigeria, a été confiée provisoirement à la Grande-Bretagne et l’autre partie à la France. En 1960, le territoire géré par Paris est devenu officiellement indépendant, prenant le nom de « République du Cameroun », avec Ahmadou Ahidjo comme président. En 1961, une portion de la zone administrée par les Britanniques, le Southern Cameroons, a choisi de rejoindre le Cameroun dirigé par Ahidjo. Le Northern Cameroons a, quant à lui, préféré intégrer le Nigeria. Ainsi est née la « République fédérale du Cameroun » comprenant deux États fédérés : le Cameroun oriental, francophone, et le Cameroun occidental, anglophone. En 1972, le système fédéral a été supprimé après un référendum : le pays est devenu la « République unie du Cameroun », avec toujours Ahidjo comme chef de l’État. En 1984, l’adjectif « unie » a disparu : on parle depuis de « République du Cameroun ».
Le Cameroun a cependant conservé des restes de son double héritage colonial : la Constitution fait de l’anglais et du français des « langues officielles d’égale valeur » et « garantit la promotion du bilinguisme sur toute l’étendue du territoire ». Le Sud-Ouest et le Nord-Ouest (qui composent l’ancien Southern Cameroons) appliquent toujours la Common Law britannique, tandis que les régions francophones suivent le droit civil français. Le système éducatif est, quant à lui, « organisé en deux sous-systèmes, l’un anglophone, l’autre francophone », chacun conservant « sa spécificité dans les méthodes d’évaluation et les certifications », précise la loi d’orientation de l’éducation.
Néanmoins, beaucoup d’anglophones ont le sentiment d’avoir été dupés et lésés par la « réunification » de 1961 et la fin du fédéralisme : ils ont l’impression de s’être fait absorber, sans contrepartie, par un État dont les ressources et le pouvoir politique sont majoritairement contrôlés par des francophones – aujourd’hui, au sein du gouvernement, qui est composé d’une soixantaine de membres, seuls le premier ministre et le ministre des forêts sont originaires des régions anglophones.
L’ensemble est d’autant plus frustrant que le pétrole, sur lequel repose une partie du budget du Cameroun, est extrait au large des côtes du Sud-Ouest. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’abolition du fédéralisme est intervenue quelques années seulement avant le début officiel de la mise en production des puits de pétrole par le groupe français Elf. Depuis 1985, des personnalités anglophones plaident pour le retour au fédéralisme, certaines revendiquant même l’indépendance de l’ancien Southern Cameroons. Sans résultat : les autorités ont neutralisé ces revendications par la force ou par l’entretien de divisions entre les élites politiques anglophones.
La crise actuelle a commencé par une simple mobilisation corporatiste : des avocats anglophones ont lancé mi-octobre 2016 une grève pour protester contre l’absence d’une version anglaise des textes de base du droit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), contre l’application de plus en plus courante du Code civil francophone et la nomination de magistrats francophones dans les régions anglophones. Au fil des jours, le mouvement s’est amplifié : des étudiants, mais aussi des enseignants du Sud-Ouest et du Nord-Ouest se sont mis à leur tour en grève, accusant les autorités de manquer de considération pour leur système éducatif.
Il y a eu, à de nombreuses reprises, des manifestations dans plusieurs villes, dont les plus importantes, Buea et Bamenda. Comme c’est souvent le cas au Cameroun, les forces de sécurité ont réagi de manière violente et il y a eu des affrontements. Plusieurs dizaines de personnes, en majorité des jeunes, ont été arrêtées. Pour le pouvoir, il n’est évidemment pas question de remettre en cause l’actuelle organisation institutionnelle de l’État : « Le Cameroun est un et indivisible. Il le demeurera », a insisté le président Paul Biya, fin décembre. Le patron du Conseil national de la communication, un organe dont les membres sont nommés par le président de la République, a, quant à lui, menacé de suspendre les médias qui diffuseraient des propos faisant « l’apologie » de la sécession ou du fédéralisme.
Source : Médiapart
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Batailles de positionnement et manœuvres politiques en vue de la succession de Biya
Les autorités ont tout de même ouvert des négociations avec les protestataires. Elles ont abouti à la levée du mot d’ordre de grève de plusieurs organisations syndicales d’enseignants, début février, et à une reprise timide des cours dans certains établissements scolaires. Mais tout en dialoguant, le gouvernement a décidé de couper la connexion Internet et a menacé les utilisateurs de SMS de poursuites s’ils relayaient de fausses nouvelles. Il a aussi déclaré illégales deux organisations : le Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (CACSC), un groupement d’avocats, d’enseignants et de membres de la société civile anglophone créé début décembre 2016, ainsi que le Southern Cameroons National Council (SCNC), un parti politique qui revendique depuis 1995 l’indépendance des régions anglophones.
Selon des sources proches des services de sécurité, les autorités soupçonnent certains des frondeurs de chercher, avec des appuis extérieurs, à manipuler les foules pour « déstabiliser » ou renverser le pouvoir du président Biya. Il faut reconnaître que le contexte se prête à toutes sortes de batailles de positionnement et de manœuvres politiques, et ce pour au moins deux raisons. La première est liée à la longévité au pouvoir de Biya : même s’il ne semble pas vouloir passer la main, il apparaît aujourd’hui évident que ses années à la présidence, qu’il occupe depuis 1982, sont de plus en plus comptées, alors qu’il vient de fêter ses 84 ans. Dans la perspective de son départ, de nombreux acteurs et groupes d’intérêts à la fois camerounais et étrangers se préparent et avancent leurs pions.
Au cas où le chef de l’État déciderait de se présenter à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2018, il aurait toutes les chances de la remporter, puisque son parti contrôle le processus électoral. Ses adversaires les plus impatients doivent donc trouver d’autres moyens pour le mettre en difficulté et le pousser vers la sortie. La partie est évidemment difficile : le président reste un redoutable stratège politique et est très bien informé par ses services de renseignements.
La seconde raison des mobilisations politiques actuelles est liée au fait que le pouvoir central est affaibli et moins capable de réagir, à cause des crises multiples auxquelles il est confronté depuis quelques années, dont les attaques de Boko Haram dans le Nord et celles de groupes armés venus de Centrafrique dans l’Est. Une grande partie des troupes militaires sont mobilisées pour faire face à ces défis sécuritaires et ce déploiement pèse lourd dans le budget de l’État, qui, par ailleurs, est handicapé par la chute des cours des matières premières et est mal géré.
En attendant que la situation s’améliore dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, les entreprises et populations de ces deux régions sont doublement pénalisées par l’absence d’Internet et de plus en plus en colère. « Je ne peux pas envoyer d’argent à mes pauvres parents parce qu’il n’y a pas Internet dans ma ville natale et que les opérations bancaires et les transferts d’argent ne peuvent pas se faire », explique par exemple un habitant de Yaoundé, originaire du Nord-Ouest. Selon lui, « peu de francophones comprennent vraiment l’histoire des deux régions anglophones », et, par conséquent, la plupart se montrent « indifférents » à ce que leurs concitoyens anglophones vivent aujourd’hui.
Il est vrai qu’un certain nombre de francophones ont du mal à réaliser à quel point leurs compatriotes ont le sentiment d’être devenus des « citoyens de seconde zone ». Certains relativisent ainsi la légitimité de leurs revendications en mettant en avant les nombreuses difficultés auxquelles sont aussi confrontés les habitants des autres régions, à commencer par celle du Sud, dont est originaire le président Biya et où les déplacements sont rendus difficiles par l’absence de routes. « Les soulèvements récents à Bamenda et à Buea sont des indicateurs d’un malaise national plus profond », a affirmé par exemple un conseiller de Biya, Christian Penda Ekoka, dans un texte écrit en anglais. Le problème vient d’un « système de gouvernance qui ne répond pas aux préoccupations et aux besoins du peuple camerounais, qu’il soit anglophone ou francophone », ajoute-t-il, parlant de « l’accès médiocre de la population aux services d’infrastructure de base tels que l’eau potable et l’assainissement, l’électricité, les transports, les soins de santé, l’éducation, le logement »…
Si le « problème anglophone », comme certains l’appellent pudiquement, a pu créer ou renforcer des divisions ces dernières semaines, le Cameroun a cependant connu aussi un moment d’unité nationale, grâce à la victoire des Lions indomptables, l’équipe nationale de football, à la Coupe d’Afrique des nations (CAN), le 5 février. Après avoir remporté le trophée, le gardien de but Fabrice Ondoa, héros de cette CAN et francophone de Yaoundé, a lancé : « C’est grâce à notre union que nous avons réussi à faire ça. […] My brothers, I am from Bamenda. Bamenda, I love you ! »
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Rétablir Internet Au Cameroun Anglophone
Au Cameroun, le pouvoir punit depuis cinq (05) semaines la minorité anglophone en coupant tout accès à Internet. Il s’agit d’après l’ONU d’une violation des Droits de l’Homme.
Ainsi pour combattre de prétendus « sécessionnistes », la dictature trentenaire en place a pris l’initiative d’une «sécession numérique». Qu’elle ne s’étonne pas qu’une partie grandissante des Camerounais anglophones en vienne à se radicaliser sous cet étouffement répressif. En effet aucun peuple ne peut ainsi être bâillonné, puis privé intentionnellement de tout accès à internet, sans revendiquer une forme de libération.
Nous, Camerounais francophones, avons encore la possibilité d’éviter que la libération de nos sœurs et frères anglophones ne se traduise en sécession définitive, simplement en veillant à la restitution de leur pleine et entière citoyenneté. Cela passe inévitablement en 2017 par le libre accès à internet.
«Aucun gouvernement au monde n’a vaincu la désobéissance civile par l’obscurantisme brutal et total. Avis à tous les va- t-en guerre qui encouragent et soutiennent le dictateur Paul BIYA dans cette voie répressive sans issue» pour l’unité et la cohésion du Cameroun.
Réfléchir à comment mettre un terme en Justice à cette sécession numérique
En effet au regard de la résolution adoptée récemment par l’ONU, qui considère la privation intentionnelle par un gouvernement de tout accès internet comme une violation des Droits de l’Homme, le temps est peut-être venu pour que les opérateurs et fournisseurs qui collaborent avec les autorités camerounaise dans ce crime politique aux conséquences économiques désastreuses soient poursuivis devant les juridictions internationales compétentes.
Nous devons y réfléchir sérieusement. Parce qu’il faudra bien en déterminer les responsables afin d’obtenir des réparations pour nombre de ces start-ups de la Silicon-Mountain camerounaise, pratiquement poussées à la ruine par le régime de Yaoundé.
Nous ne pourrons simplement plus rester passifs, appelant en vain au rétablissement de l’accès à internet à des populations des régions anglophones, « punies » collectivement pour insoumission civique au centralisme autoritaire du dictateur Paul Biya.
L’organisation Internet sans frontière estime een effet que c’est le record de faillites en Afrique qui frappe les stars-ups de la “Sillicon Mountain”. Le régime de Yaoundé en a-t-il seulement conscience? Ou considère-t-il que tous comptes faits, la ruine du tissus économique des régions anglophones est le prix à payer de l’anéantissement par la force brutale et aveugle de la désobéissance civile des populations.
Il appartiendra précisément aux institutions internationales compétentes de présenter la note intégrale – en termes de pertes humaines et financières occasionnées par l’acharnement répressif de la dictature trentenaire de Paul Biya, désespérément incapable d’entamer un dialogue avec les représentants légitimes de la société civile anglophone du Cameroun.
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Bring back our internet in South West and North West Cameroon
As it enters its fith week, the Anglophone minority of Cameroon are experiencing a punitive shutdown of internet services ordered by the oppressive Cameroonian regime in Yaoundé. This illegal shutdown of internet services to these Cameroonian provinces, which represent 20% of the population, are in clear violation of the United Nations human rights charter because internet rights are human rights guaranteed through freedom of speech and freedom of association.
This government ordered illegal shutdown came about as lawyers and students’ strike is escalating into violence due to the government repression and brutality. Cameroonians lawyers and the students have the right to strike but are now branded «secessionist» for doing so by a «democratic» government which only appreciate any forms of dissent as a biopolitical threat to its survival.1
As its incompetence and corruption are now legendary, no one is surprised that the Cameroonian’s government had not had the time to contemplate the long term effects of this internet disruption which include the political radicalization of English speaking Cameroonians and the possibility of a real secession given that oppressed people have the right to remove the chains of oppression that are blocking their God given rights.
It is well known that the Cameroonian political class, exemplified by the Speaker of the National Assembly, Djibril Cavaye Yeguie, are on record for their great dislike of social media which in practice is a dislike of free speech and free association that they always seek to criminalize with criminal penalties and even jail time.2 However, no government in our modern political age can succeed in crushing civil disobedience by compromising ordinary people basic natural rights such as freedom of speech and association through blind and brutal repression. Consequently, the Charlatans advising the dictator of Cameroon to rely on his atavistic uses of violence have to recognize that violence in this case is only precipitating the country over cliff at a frightened speed.
All Cameroonians, particularly, the francophone majority, shall spare no effort in denouncing this abusive, illegal and unilateral deprivation of internet rights in our English provinces. Furthermore, we shall unite our forces to help preventing this crisis from being exploited by opportunist and cynical politicians into a definitive break up of our beloved country. Our Anglophone brothers and sisters have to be restore in their citizenship rights and that include our urgent request that the regime of Yaoundé restore Internet access to the whole country.
It is incumbent to us, moreover, to reflect on how to bring this “internet secession” to justice. In view of the recently adopted UN resolution, which considers the intentional deprivation by a government of any Internet access as a violation of human rights, the time has come for internet operators in Cameroon to bring charges against the Cameroonian government for abusive violation of human rights; a political crime that comes packaged with disastrous economic consequences.
The long term damages of this internet disruption cannot be ignored. Many internet operators and Cameroonian digital startups that constitute the Cameroonian “Silicon Valley” are being ruined by these internet disruption and the oppressive policies of the Cameroonian regime that not only harm human rights but economic development as well.
We can no longer remain passive and keep calling in vain for the restoration of access to the Internet in our north and south west region being punished for their civic insubordination by the authoritarian regime of the dictator Paul Biya. A regime that has always fail to see political opposition within a logic of contribution and therefore made themselves irrelevant. Hence, this internet crisis must be appreciated with the larger political crisis confronting the country and the pressure to democratize.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)