Les travaux de préparation du dialogue national inclusif avaient commencé le 15 février. Samedi, les différentes commissions ont fini de présenter leurs conclusions. Ce lundi 27 février, le rapport final doit être adopté avant une cérémonie de clôture mardi et une remise du rapport au chef de l’Etat mercredi. Ali Bongo décidera ensuite de la date du dialogue. Ces négociations, auxquelles le principal opposant Jean Ping et sa coalition ne participeront pas, sont destinées à tourner la page des violences d’août et septembre 2016. Elles visent aussi à adopter des réformes d’importance pour éviter de nouvelles crises. Désormais, on connaît précisément le profil de ce futur dialogue qui se tiendra finalement à Libreville durant environ un mois.
Le dialogue se déroulera en deux phases. Une citoyenne, où des Gabonais pourront s’exprimer sur la situation du pays. Et une politique, rassemblant 75 délégués de chaque camp.
« Tout le monde est conscient qu’il faut trouver des solutions durables. Les querelles partisanes peuvent être dépassées. Mais nous resterons vigilants pour éviter les pièges », explique l’opposant Pierre-Claver Maganga Moussavou.
Les 150 délégués seront répartis dans quatre commissions. La première concernera les institutions. Elle se penchera sur les réformes sensibles des mandats présidentiels, de la commission électorale, ou encore de la Cour constitutionnelle. Les autres concerneront le système électoral, la vie publique et enfin la réconciliation nationale.
Décisions par consensus
Un bureau paritaire pilotera l’opération et toutes les décisions seront prises par consensus. Elles auront un caractère exécutoire, mais avant d’être adoptée, chaque réforme devra suivre les procédures en place. « Nous avons tout fait pour qu’on ne nous reproche pas un fonctionnement partisan », explique le rapporteur général Ali Akbar Onanga Y’Obegue.
Des facilitateurs étrangers seront invités. Ils devront rapprocher les points de vue en cas de désaccord. « Je reste modérément optimiste. Pour l’instant, il n’y a eu aucun tabou, reste à savoir jusqu’où ira le consensus », déclare l’opposant René Ndémézo’o Obiang.
Jean Ping et sa coalition seront les grands absents. « C’est dommage, mais les sujets essentiels seront néanmoins sur la table et la majorité fera les concessions nécessaires pour le bien du pays », conclut le rapporteur général, en signe d’ouverture.
Bruno Ben Moubamba: «Ping serait bien inspiré de venir au dialogue gabonais»
Bruno Ben Moubamba est la principale personnalité d’opposition à avoir rejoint le gouvernement d’ouverture gabonais en octobre 2016. Sa nomination comme vice-Premier ministre chargé de l’Urbanisme, de l’Habitat social et du Logement avait suscité des critiques dans l’opposition. Depuis sa prise de fonction, il n’a pas hésité à critiquer plusieurs fois l’action de son propre gouvernement. Ce qui n’empêche pas Bruno Ben Moubamba d’être venu en France la semaine dernière pour défendre le dialogue souhaité par le président Bongo et sur le point de commencer. RFI l’a rencontré.
RFI : Bruno Ben Moubamba, pensez-vous que ce dialogue peut avoir des conséquences concrètes en sachant que Jean Ping et sa coalition n’y seront pas ?
Bruno Ben Moubamba : C’est une erreur de la part de monsieur Jean Ping. Pour la première fois depuis les années 90, nous avons la possibilité de traduire en textes législatifs les décisions du dialogue national. Eh bien, je crois que monsieur Jean Ping serait bien inspiré de venir à ce dialogue, de prendre une stature de Mandela à la gabonaise. C’est-à-dire celui qui parle à ses adverses. Et l’ambition d’occuper un poste ne peut pas justifier la destruction d’un pays. Nous devons nous asseoir, ce sont nos traditions, il faut les respecter.
Vous gardez donc votre liberté de parole et cette parole s’est exprimée à plusieurs reprises. Beaucoup de sujets vous ont opposé à votre propre équipe gouvernementale.
En aucune manière je n’ai été opposé au gouvernement ! Je suis vice Premier-ministre ! Et certainement pas un vice Premier-ministre de pacotille ! Hiérarchiquement et politiquement, j’ai quand même droit en tant que membre d’un gouvernement d’ouverture d’exprimer une analyse différente, qui n’est pas du tout une mise en cause des décisions du gouvernement. J’ai la difficulté, moi, d’être en même temps détesté par les opposants issus du système Omar Bongo, qui ne me trouvent pas légitime parce je n’ai pas gouverné avec eux et que je ne suis pas milliardaire comme eux. Je suis également détesté par ceux que j’appelle les faux amis du président Ali Bongo qui parfois l’induisent en erreur. Moi, je suis rentré au Conseil des ministres en m’arrachant les tripes, si je peux utiliser cette image. Parfois, il faut s’asseoir pour favoriser « une » évolution positive du Gabon.
Vous n’avez pas l’impression d’avoir quelque part peut-être trahi vos idéaux ?
Je n’ai pas changé. Ma colère est intacte, mais je fais preuve de realpolitik et de pragmatisme. Je n’ai pas été corrompu. Il m’a donné une position politique. Je ne suis pas un traitre, je ne suis pas un vendu, je suis un visionnaire. J’ai rarement été compris jusqu’ici, j’ai fait la grève de la faim devant l’Assemblée nationale en 2009.
Alors il y a eu des commentateurs qui ont dit : « Oh ! Ce n’est qu’un gréviste de la faim ! Tout ça, ce sont des choses de Blancs ! » Voilà… Huit ans plus tard, l’histoire m’a donné raison. L’Assemblée nationale a brûlé, la violence l’a emporté sur le pacifisme… J’assure la sécurité ontologique du président de la République avec qui j’ai un accord, une alliance objective. Il est de mon devoir de parler au nom de la raison et de la sagesse. Je ne suis pas heureux quand je vois des enfants manifester par milliers dans le pays et que certains d’entre nous crient à la « sécurocratie ». Ce n’est pas bon ! Il faut que nous inventions le vivre-ensemble. Ce pays a besoin d’un gouvernement de la providence qui fasse en même temps usage de force quand c’est nécessaire, mais de justice et de vérité.
Et pourtant, face à cette liberté de ton que vous revendiquez, le porte-parole du gouvernement Alain-Claude Bilie By Nze vous a reproché de ne pas respecter l’esprit de solidarité du gouvernement.
Il n’avait pas, en tant que ministre d’Etat, à recadrer le vice Premier-ministre qui est supérieur au niveau de la hiérarchie au ministre d’Etat. En tout état de cause ce qui compte c’est de servir le bien public. Ce n’est pas la satisfaction des égos.
Depuis votre nomination avez-vous déjà pensé à démissionner, Bruno Ben Moubamba ?
Oui, c’est vrai, on peut se poser ce genre de questions. Mais tant que le président de la République m’accordera sa confiance, je resterai au gouvernement. Mais je ne suis pas obligé d’y rester. Je peux faire autre chose dans ma vie. Et on peut aussi me démissionner ! Mais moi, je me suis engagé parce que j’ai compris qu’il fallait aider le président Ali Bongo Ondimba dans son deuxième septennat. On ne peut pas laisser seulement autour du président des fauves, des gens qui veulent en découdre, des va-t-en-guerre… Il faut aussi des gens un peu peut-être plus philosophes, plus sages. Le pouvoir c’est l’équilibre aussi.
Certains de vos détracteurs disent que vous restez pour l’argent, le prestige de la fonction. Qu’est-ce que vous répondez ?
D’abord je suis au regret de vous le dire – chacun le reconnaît au Gabon – avec la chute des prix du baril du pétrole nous sommes en tension budgétaire. L’argent ne coule plus à flots. Je suis à Paris, mais le gouvernement ne m’a pas donné l’argent pour cette mission ! Je ne reste pas au gouvernement pour l’argent ! Je pourrais gagner plus d’argent ailleurs ! Mais je me sens un devoir de servir ce pays qui a toujours été pacifique et que les artisans du système veulent détruire, parce qu’ils sont en concurrence politique. Ce pays ne leur appartient pas ! Pour l’instant, je suis un incompris, probablement parce que je suis un philosophe, un intellectuel. Mais l’histoire me donnera raison.
Est-ce que ça veut dire que cette période au gouvernement ne vous a pas rapproché d’Ali Bongo et que vous êtes toujours aussi critique de son action ?
Absolument pas ! Je suis loyal du président de la République parce que c’est aussi un incompris comme moi. Au fond, qu’est-ce qui nous a rapprochés ?
Nous sommes tous les deux des rejetés du système. Moi, je suis rejeté par le système de l’opposition issu du Bongoisme, mais ceux qui l’ont servi sont devenus des opposants, plus que radicaux aujourd’hui ! Et radicaux contre la personne d’Ali Bongo ! Moi, je ne lutte pas contre la personne d’Ali Bongo ! Je lutte contre le système ! Alors, entre rejetés du système, il y a des points de convergence, il y a des compréhensions. Pour ma part, c’est un allié politique et c’est l’alliance des circonstances.
Vous parlez d’Ali Bongo comme un allié politique. Certains pourraient vous demander : est-ce que vous n’êtes pas passé à la majorité maintenant ?
Absolument pas. Je ne serai jamais membre du parti au pouvoir ! Parce que c’est la matrice du système que je combats.
Par RFI