La visite, en France, du président de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, ce mardi 28 février, dans la capitale française, est d’ores et déjà très critiquée. C’est sa première visite depuis dix ans. Les opposants djiboutiens, en exil en France, ont manifesté samedi 25 février à Paris pour interpeller le président français, François Hollande.
Joint par RFI, Maki Houmed Gaba, représentant en France de l’Union pour le Salut National (USN), demande au président français de reconnaître que les droits de l’opposition sont bafoués à Djibouti.
« Nous disons à François Hollande: vous allez recevoir Ismaïl Omar Guelleh, ce qui est une mauvaise opération puisque Omar Guelleh a une politique antidémocratique dans son pays. Aucune opposition à Djibouti ne peut fonctionner. La société civile, les opposants… à Djibouti, pratiquement tout le monde est sous surveillance. Djibouti est un pays complètement fermé à la liberté, à la démocratie, aux élections », rappelle-t-il avant de préciser sa demande.
« Ce que nous disons à Monsieur François Hollande c’est que Djibouti, représente, évidemment, un intérêt majeur et stratégique pour la France, avec le passage maritime et… la piraterie [qui] est surveillée. Nous comprenons donc que François Hollande ait besoin que la France – partenaire historique de Djibouti – soit toujours présente et il est normal que la France soit présente. Néanmoins, la France a tout à fait la possibilité de conseiller son partenaire djiboutien pour qu’il ne favorise pas uniquement son clan et qu’il n’interdise pas la démocratie à Djibouti », a appelé Maki Houmed Gaba, représentant en France de l’USN.
L’Association des chrétiens contre la torture (Acat) a, elle aussi, voulu adresser un message au chef de l’Etat français. « Souhaitons-nous développer une politique de complaisance avec un président qui se veut être un président à vie ou souhaitons-nous nous inscrire dans une politique de développement à long terme avec les Djiboutiens ? interroge Clément Boursin, responsable Afrique de l’Acat. Il y a en effet des enjeux importants. Djibouti représente certes une position géostratégique importante et fondamentale, notamment avec une base française à Djibouti. Il y a aussi des intérêts économiques importants. Mais dans quel Etat sommes-nous ? Comment peut-on parler d’Etat de droit à Djibouti alors que même la justice n’est pas respectée dans le pays. »
Le dossier de Mohamed Ahmed
Clément Boursin rappelle à ce titre le cas du prisonnier politique Mohamed Ahmed. « Nous appelons au respect de l’Etat de droit à Djibouti et à la libération de Mohamed Ahmed. C’est un militant du Frud, arrêté le 1er mai 2010, a été torturé à plusieurs reprises, n’a jamais été jugé et ça fait maintenant plus de six ans qu’il est en détention arbitraire. La justice djiboutienne a ordonné sa remise en liberté le 6 octobre dernier, or ce détenu politique demeure en toute illégalité en détention à la prison de Gabode. »
Mohamed Ahmed est un « cas emblématique » souligne Mohamed Kadami, président du Frud, qui vit en exil à Paris. Emblématique des exécutions extrajudiciaires et des tortures, « monnaie courante » dans le pays, selon l’opposant. Il rappelle que Ahmed n’est pas seul dans cette situation. « Il y a aussi avec lui 12 autres prisonniers qui ont été aussi torturés, qui depuis deux ans sont sans procès. On leur reproche d’avoir des liens de parenté avec des membres du Frud. »
La visite du président djiboutien est l’occasion de pointer du doigt ce qui se passe dans le pays. « Aujourd’hui, la France est en train de sacrifier les droits de l’homme pour des intérêts stratégiques. A partir du moment où François Hollande va recevoir le président djiboutien, nous aimerions qu’il exerce des pressions sur la question des droits humains et sur la libération des prisonniers politiques. » Des pressions sur « un président qui refuse l’alternance par les urnes, qui empêche les élections de se dérouler de façon transparente ».
Prévalence des questions militaires
A la veille de l’arrivée d’Ismaël Omar Guelleh à Paris, l’opposant Maki Houmed Gaba, représentant en France de l’Union pour le salut national, interpelle François Hollande : « Nous comprenons que la France ait besoin de préserver ses intérêts, sa position stratégique, mais, à Djibouti, il n’y a aucune démocratie et le pays a été privatisé par le clan au pouvoir. La France a une responsabilité morale de tenir compte de la réalité, sinon les Djiboutiens se détourneront d’elle et pourraient être tentés par de nouvelles aventures armées. »
La relation franco-djiboutienne, marquée par une prévalence des questions militaires, n’a jamais été apaisée. Plus de vingt ans après l’assassinat à Djibouti du juge Bernard Borrel – alors détaché auprès du ministre de la justice –, la famille du magistrat attend toujours de connaître la vérité. Fin 2015, l’ambassadeur de France, Serge Mucetti, avait été rappelé à Paris à la demande des autorités locales qui le considéraient trop proche de l’opposition.
Dans une note d’analyse intitulée « Djibouti, quelle situation politique ? », la Fondation Jean-Jaurès estimait que, « en dépit de ses atouts non négligeables, le petit État connaît avec le pouvoir en place, sous-développement économique, misère sociale généralisée et verrouillage politique, ce qui est lourd de risques pour le pays. »
Sources: RFI et Le Monde Afrique