Deux ans après le meurtre de Gilles Cistac, dont l’enquête est au point mort, d’autres « exécutions » ont décimé les rangs des opposants ou critiques du pouvoir.
Le 3 mars 2015, l’avocat et universitaire toulousain Gilles Cistac était assassiné par balles en plein centre de Maputo, et en plein jour. Une figure incontournable du droit au Mozambique, pays dont il avait obtenu la nationalité. Sa mort avait alors déclenché une onde de choc dans la classe politique locale. Deux ans après, l’enquête est au point mort et l’événement tragique, quasi oublié.
Vendredi 3 mars, aucun titre de presse ne mentionnait la commémoration de l’assassinat, pourtant un tournant de la crise politico-militaire que traverse le pays depuis les élections de 2014. Car, entre-temps, ce sont des dizaines d’opposants et de critiques du pouvoir qui ont été tués dans des circonstances similaires. Pour beaucoup d’observateurs, l’implication du régime est évidente.
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« Je relance le tribunal à Paris tous les trimestres et ils n’ont aucune information, ce qui laisse présager de l’absence d’une véritable enquête du côté de la justice mozambicaine », estime Thierry Carrère, l’avocat de la famille Cistac. Celle-ci a déposé plainte en France fin mars 2015. Depuis Toulouse, cet ami du défunt garde espoir que toute la lumière soit faite un jour sur l’affaire. Mais on en est loin. « On ne sait pas trop comment analyser ce silence radio, confie une source diplomatique, qui souligne l’absence d’accords de coopération judiciaire entre la France et le Mozambique. Diplomatiquement, on met la pression sans vouloir non plus les braquer, ils pourraient mal le prendre. »
Tirs de kalachnikov
L’assassinat a été commis à 9 heures du matin par quatre hommes en voiture qui ont tiré des salves de kalachnikov sur une grande artère de la capitale, à quelques centaines de mètres de la présidence, des principales ambassades et de l’hôpital central. Pourtant, de l’interrogatoire des témoins, la police n’a tiré aucune piste tangible. Deux suspects ont été arrêtés quelques semaines après, puis relâchés, faute de preuves. En avril 2016, le procureur qui suivait l’affaire, Marcelino Vilankulo, a lui aussi été tué.
« Sur la scène du crime, le relevé des données de base a été mal effectué, explique Zenaida Machado, de l’ONG Human Rights Watch, qui souligne le manque de moyens et de volonté de la police criminelle de l’un des pays les plus pauvres au monde. Or la justice ne peut pas faire son travail si la police d’investigation ne fait pas le sien. »
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De manière unanime, ce manque d’empressement est la conséquence du caractère politique du meurtre. Dans les semaines précédant sa mort, l’universitaire avait apporté de l’eau au moulin du principal parti d’opposition, la Renamo, qui contestait le résultat des élections d’octobre 2014 et réclame depuis une plus grande décentralisation. Arrivé au Mozambique en 1993 comme coopérant technique à l’ambassade de France, l’avocat, également directeur adjoint de la faculté de droit de Maputo, était l’un des seuls spécialistes du pays en droit administratif.
« Escadrons de la mort »
Juste avant d’être assassiné, il était la cible d’une campagne de dénigrement sur Facebook, attribuée à la frange extrémiste du parti au pouvoir, le Frelimo, qui lui reprochait d’avoir apporté dans divers médias des arguments juridiques au projet de la Renamo.
« Qui peut croire sérieusement que cet assassinat ne soit pas lié aux idées qu’il exprimait avec tant de conviction ? », déclarait en mars 2016 l’ambassadeur de France à Maputo, Bruno Clerc, lors d’une cérémonie d’hommage un an après sa mort. Au terme d’un incompréhensible cafouillage, la faculté de droit a fait retirer en août les plaques commémoratives installées en sa mémoire à cette occasion. « Une deuxième mort », déplore un diplomate. Un ordre « venu du dessus », admet la direction de la faculté, qui traîne à les réinstaller.
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Si le cas de Gilles Cistac n’intéresse plus personne aujourd’hui au Mozambique, c’est que les assassinats font désormais partie intégrante du paysage politique. Tout au long de l’année 2016, le niveau de tensions entre la Renamo et le gouvernement n’a cessé de croître, et les affrontements se sont multipliés. « La mort de Cistac s’inscrit dans ce qui nous est clairement apparu par la suite comme l’œuvre d’escadrons de la mort, amorce Fernando Lima, le directeur de Mediacoop, le principal groupement de médias indépendants au Mozambique. Ce sont des groupes spécialement entraînés pour éliminer des adversaires politiques, et mener leurs actions de manière professionnelle de façon à ne pas laisser de preuves. »
Une chance aux pourparlers de paix
Observateur vétéran de la scène politique, Fernando Lima fait régulièrement l’objet de menaces, comme plusieurs personnalités de la société civile à Maputo. « S’agissant de groupes qui sont apparemment liés au régime, il est évident qu’aucune investigation ne se poursuit, qu’il n’y a aucune piste. C’est le dénominateur commun de tous ces assassinats », précise-t-il.
De son côté, la Renamo a dressé une liste non exhaustive de 28 membres et sympathisants tués entre septembre 2015 et octobre 2016 que le parti attribue à ces groupes paramilitaires, pour l’essentiel dans le centre du pays. Dernier assassinat retentissant : en octobre 2016, le négociateur du parti aux pourparlers de paix, Jeremias Pondeca, a été tué sur l’avenue côtière de la capitale. La Ligue mozambicaine des droits de l’homme avait annoncé en mai de la même année que 83 exécutions sommaires lui avaient été rapportées dans le centre du pays depuis janvier 2016. Quant à l’ONG Human Rights Watch (HRW), elle avait révélé en octobre enquêter sur l’assassinat politiquement motivé de neuf personnes. Zenaida Machado dit que HRW est depuis sans nouvelles des autorités judiciaires.
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Depuis que le parti d’opposition a proclamé une trêve militaire unilatérale à la Noël, la vague d’assassinats s’est apaisée. Vendredi, Afonso Dhlakama, le chef de l’opposition, a prolongé de deux mois la cessation des hostilités pour laisser une chance aux pourparlers de paix. Un répit salutaire qui n’a cependant pas permis, pour l’instant, une avancée des enquêtes, comme le déplore HRW. Leurs multiples sollicitations auprès des autorités judiciaires mozambicaines restent sans réponse. Triste ironie du sort, la décentralisation chère à Gilles Cistac est aujourd’hui le principal point à l’agenda des négociations de paix.
Assassinat de Gilles Cistac : «L’État ne nous aide pas»
Sur la route de son bureau à l’université de Mapouto, capitale du Mozambique, le Toulousain Gilles Cistac a été assassiné voilà maintenant deux ans, le 3 mars 2015. Ce Toulousain avait 54 ans. Une exécution menée par quatre individus «probablement armés par des motifs politiques», rappelle Me Thierry Carrère. La victime avait pris «une position de juriste sur la possibilité d’administrer les provinces (N.D.L.R., gagnées par l’opposition) sans réformer la constitution ce qui a sans doute déplu à certains».
L’avocat défend les intérêts de la fille et des parents de cet ancien universitaire et avocat toulousain, parti au Mozambique dans le cadre d’un accord de coopération en 1993.
«Le Mozambique sortait de seize années de guerre civile. Il fallait tout reconstruire. C’est ce qu’a fait Gilles Cistac au plan administratif. Il a formé des dizaines d’étudiants, travaillé sur la constitution. Cela mérite, quand même, un minimum d’attention de son pays», estime l’avocat, déçu du peu «d’intérêt» manifesté par l’État français à l’égard de son ressortissant.
Après l’assassinat, une information judiciaire a été ouverte à Paris, «comme c’est le cas quand un Français est victime à l’étranger», explique Me Carrère qui avait déposé plainte pour que le parquet du TGI de Paris saisisse un magistrat instructeur.
Mais cette instruction n’avance pas. «Nous ne constatons aucune volonté de la justice française. On nous parle d’une demande de collaboration transmise au Mozambique mais si rien ne se passe, on pourrait a minima insister, montrer de l’impatience, un début de volonté.»
Une inaction «coupable» aux yeux de la famille de ce Toulousain qui comprend d’autant plus mal la passivité française qu’après avoir obtenu des indemnités de la commission d’indemnisation des victimes, le fonds de garantie a décidé d’interjeter appel. «Où est la cohérence ? Pour le respect et le réconfort de sa fille de 17 ans désormais orpheline, de ses parents, ne pouvait-on pas éviter cette nouvelle instance ?» s’indigne Me Carrère, pas tendre avec le fonds de garantie «dont l’attitude dans ce dossier a été plus que limite. Ils se sont même interrogés sur la réalité de l’assassinat et jusque sur la nationalité de la victime.»
Deux ans après l’assassinat de Gilles Cistac, «il est temps de réagir et de réellement aider sa famille», argumente Me Thierry Carrère bien décidé, «si l’État ne mobilise pas ses moyens», à se tourner devant les juridictions compétentes pour obtenir réparation.
Source : ladepeche.fr