Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est penché une nouvelle fois, jeudi 9 mars, sur le cas du Burundi, un pays des Grands Lacs africains qui traverse une grave crise politique depuis bientôt deux ans. Cette crise est née de la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer en avril 2015 un troisième mandat, qualifié d’illégal par son opposition et une partie de son camp. Et elle a déjà fait des morts, de 500 (ONU) à quelque 2000 personnes tuées selon les ONG, des centaines de portés disparus et poussé quelque 400 000 personnes à l’exil. Aucune décision n’a pu être prise à New York jeudi soir.
Cette réunion de New York intervient dans un contexte d’extrême tension entre Bujumbura et l’ONU. Le conseiller spécial d’Antonio Guterres pour la prévention des génocides appelle à des mesures énergiques. Il craint que des « atrocités de masse » ne soient commises en ce moment même.
Les mises en garde sur les les conséquences de cette crise se sont succédé depuis plusieurs mois, la dernière en date vient d’Adama Dieng, le « Monsieur génocide », de l’ONU, qui a tiré la sonnette d’alarme dans une lettre adressée il y a peu au Conseil de sécurité.
« Une mise en scène », selon le Burundi
Il détaille dans cette lettre des faits qui, mis ensemble, montrent que le Burundi risque de tomber dans des « violences de masse » et il appelle donc le Conseil de sécurité à prendre « des mesures énergiques » mais sans les détailler.
Cet appel n’a pas du tout plu au gouvernement burundais. Son représentant à l’ONU, Albert Shingiro, s’en est pris violemment à Adama Dieng qu’il n’hésite pas à accuser de faire partie d’un complot international dont l’objectif serait de faire tomber le régime burundais. « Il s’agit tout simplement d’une mise en scène théâtrale pour influencer le briefing du Conseil de sécurité qui doit se tenir ce jeudi, mais certains d’entre eux savent très bien la réalité du Burundi », a réagi l’ambassadeur Albert Shingiro. « Ils sont représentés à Bujumbura ».
« C’est aussi une manière de donner un coup d’accélérateur à l’agenda caché de certains partenaires qui visent depuis 2014 un changement de régime au Burundi », a martelé le diplomate burundais, faisant allusion à un « complot international » que Bujumbura ne cesse d’invoquer pour expliquer la crise que le Burundi traverse.
Et il écarte d’un revers de main les accusations de graves violations des droits humains commis sous la responsabilité du gouvernement.
Exécutions sommaires et arrestations de masses
Les ONG elles aussi alertent et appellent à des sanctions ciblées contre les responsables de ces violations. Une vingtaine d’ONG internationales parmi les plus importantes au monde, Human Right Watch, la FIDH, ainsi que des organisations burundaises, ont sorti un communiqué conjoint à la veille de cette réunion du Conseil de sécurité. Elles expliquent que de graves violations des droits humains continuent à être commises dans ce pays et appellent à des sanctions ciblées contre les responsables.
« On demande des sanctions ciblées contre de hauts responsables burundais pour la simple et bonne raison que les exactions continuent [au Burundi] », a réagi Florent Geel, directeur Afrique à la FIDH, expliquant que « chaque jour jour on retrouve à travers le pays une, deux, trois, quatre personnes qui sont décédées, torturées, exécutées sommairement et des gens sont encore massivement arrêtés ».
« Le constat que l’on a fait, il y a quelques mois dans un rapport de la FIDH, demeure, c’est-à-dire que des violations des droits humains importantes et massives continuent au Burundi et que les principaux auteurs de ces crimes restent les autorités burundaises », a accusé Florent Geel.
Et il pointe du doigt la police, l’armée, les services secrets burundais et la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, que l’ONU qualifie désormais de milice et qui ont une part de plus en plus active dans la répression en cours.
→ Crise au Burundi: «Ndondeza», une campagne pour retrouver les disparus
Divisions au Conseil de sécurité de l’ONU
En fait, depuis la réélection de Pierre Nkurunziza en 2015, et les violences qui ont suivi, le pouvoir de Bujumbura est sur la défensive. Il est accusé d’avoir réprimé dans le sang la contestation contre le troisième mandat de Nkurunziza. L’ONU et les organisations de défense des droits de l’homme sont d’accord sur ce point. Et en septembre dernier, une commission indépendante d’experts de l’ONU a mis en garde contre de possibles « crimes contre l’humanité » et « un grand danger de génocide », poussant le Conseil des droits de l’homme à mettre sur pied cette fois une commission d’enquête indépendante sur ces allégations. La CPI a entre-temps ouvert une « enquête préliminaire » sur ces crimes supposés.
Le pouvoir burundais rejette systématiquement ces accusations et en réponse, organise des manifestations populaires contre toutes ces organisations chaque samedi.
Depuis, le gouvernement a annoncé son retrait de la CPI et il refuse de collaborer avec le Bureau du Haut Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme au Burundi qui est pratiquement fermé aujourd’hui. Il refuse aussi le déploiement d’une force de police pourtant décidée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Il est donc accusé de chercher à instaurer un huis clos qui commet le pire dans ce pays, de plus en plus isolé de la communauté internationale.
Les Etats-Unis et l’Union européenne ont déjà pris des sanctions ciblées contre Bujumbura, notamment le ministre de la Sécurité publique et numéro 2 du régime, le général Alain-Guillaume Bunyoni. Mais aucune décision n’a été prise jeudi à New York, où siège l’ONU.
Bujumbura a bénéficié jusqu’ici des divisions entre les grandes puissances et il se targue d’ailleurs d’avoir le soutien de la Russie et de la Chine, qui ont bloqué jusqu’ici toutes les tentatives de sanctions, en raison du principe de la souveraineté nationale.