C’est l’une des preuves de la violence auxquelles on assiste depuis le début de l’année au Kasai Central. RFI et l’agence de presse Reuters ont documenté l’existence d’au moins huit fosses communes autour de Tshimbulu, chef-lieu du territoire de Dibaya. L’ONU avait déjà transmis au gouvernement congolais des informations sur trois fosses autour de ce village, qui a longtemps été l’un des épicentres de l’insurrection populaire née de la révolte du chef coutumier, Kamuina Nsapu.
« Ici nous sommes dans le cimetière creusé par les militaires, on ne sait pas combien de gens sont enterrés là-dedans », raconte un habitant de Tshimbulu. Ce n’est pas la première fois que cet homme se rend sur ce site situé à quelques kilomètres de la sortie de Tshimbulu, en contrebas de la route. Des herbes hautes auraient pu empêcher les passants de la découvrir. « Le matin, nous sommes partis du village pour aller aux champs. Et quand nous venions, nous avons vu des mouches voler et il y avait une forte odeur », explique encore ce témoin. Lui, parmi d’autres, se faufile entre les herbes et découvre une fosse de dix mètres par cinq, mal recouverte. « On a vu des bras, des jambes et même des cadavres entiers, ils étaient mal enfouis », explique l’homme, montrant çà et là des ossements humains qui affleurent toujours.
Cet habitant de Tshimbulu comme d’autres témoins disent avoir vu des hommes, des femmes et même des enfants. Ils étaient répartis dans treize « puits », le quatorzième est toujours ouvert. Une tombe bien trop grande pour ne contenir qu’un seul corps. Les habitants de Tshimbulu expliquent que la Monusco a pris des photos de cette fosse commune, comme d’une deuxième qui se trouve sur une route secondaire à deux kilomètres de là.
Au moins huit fosses communes
Au moins huit fosses communes ont ainsi été découvertes par les habitants de Tshimbulu depuis le début de l’année. Ils les attribuent aux « catastrophes » qui se sont déroulées dans leur village depuis le début de l’année. Le 3 janvier d’abord, les éléments d’un groupe de miliciens Kamuina Nsapu font une incursion. Dans les jours qui ont suivi, les paysans ont découvert cinq fosses sur la route de Kananga. C’est l’odeur qui a alerté les commerçantes d’une localité voisine. A l’époque, les Nations unies parlaient d’une quarantaine de victimes, pour la plupart des miliciens Kamuina Nsapu, sur tout le territoire de Dibaya.
Les paysans n’ont pas eu de difficulté à trouver la première, elle se trouve à deux pas de la route. « Nous ne savons pas qui est enterré là », explique l’un d’eux. Mais plusieurs indices l’ont immédiatement alerté. « Il y a les preuves par conjonction, nous avons retrouvé du sang et les cerveaux », poursuit-il. Un groupe se décide à suivre les trainées de sang, marchent dans les pas des fossoyeurs. Ils découvrent quatre fosses plus petites, de quatre mètres sur trois, cachées dans les herbes hautes.
Un mois plus tard, même histoire. Entre le 9 et 13 février, les Nations unies disent cette fois suspecter les forces de sécurité d’avoir tué au moins 84 miliciens à Tshimbulu. Et les habitants découvrent deux nouvelles fosses plus grandes sur cette même route. Une paysanne raconte : « Partout ici, sur la route, il y avait du sang et de la matière blanche. Tout le monde qui passait par ici pouvait voir ça ». Une autre qui habite à proximité se souvient d’un camion suspect qui a stationné là la nuit du 12 au 13 février. « Ce sont les militaires qui ont creusé ça. On a vu leur camion passer. Il est resté ici plus de deux heures. Il est arrivé de Tshimbulu vers 20h et il est reparti vers 23h », témoigne cette riveraine. Le lendemain, un groupe d’hommes se décide, malgré la peur, a inspecté l’endroit où le camion avait stationné. Ils découvrent une fosse, puis une autre. Comme seul indice du contenu de ces fosses, un bandeau rouge, signe emblématique des Kamuina Nsapu, est pris dans la terre et les herbes.
La Monusco dit avoir déjà transmis au gouvernement des informations concernant dix fosses communes, trois à Tshimbulu et sept autres à Nkoto, mais continue de documenter d’autres sites et pas seulement dans la province du Kasai Central. Cinq provinces sont aujourd’hui touchées par ce phénomène et le gouvernement congolais espère qu’avec l’accord signé la semaine dernière avec la famille du défunt Kamuina Nsapu, les violences qui durent maintenant depuis neuf mois vont prendre fin. Dimanche 19 mars à Kananga, la foule a acclamé plusieurs dizaines de ces miliciens venus à l’invitation des autorités pour une cérémonie de reddition et de réconciliation.
Pourtant pour Kinshasa, ces miliciens sont des terroristes puisqu’ils s’attaquent aux symboles de l’Etat et tuent policiers, militaires, responsables administratifs ou encore des agents de la commission électorale. Le gouvernement se dit informé de l’existence de nombreuses fosses communes et les impute aux miliciens eux-mêmes.
A la suite de la publication d’une vidéo sur les réseaux sociaux montrant des militaires exécutants des élements Kamuina Nsapu, le plus souvent désarmés, la justice militaire congolaise a découvert deux fosses communes au Kasai oriental et arrêté sept militaires, accusés de crimes contre l’humanité. Informé par RFI et Reuters du contenu de leur enquête, l’auditeur général a promis de poursuivre ses investigations. Une équipe de magistrats militaires devrait à nouveau se rendre sur le terrain cette semaine. Il y a quelques semaines, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme avait, lui, demandé une commission d’enquête internationale.
Le porte-parole du gouvernement congolais Lambert Mendé dément que les militaires puissent avoir creusé des fosses communes pour y enterrer des miliciens ou des civils.