Emmanuel Macron, son programme Afrique : « Je veux mobiliser plus de financements pour les PME locales »
Immigration, aide au développement, bilan africain de François Hollande, bases militaires françaises sur le continent… Avant le premier tour de l’élection présidentielle française, le 23 avril, Le Monde Afrique a posé les mêmes huit questions aux cinq principaux candidats.
Souhaitez-vous aller plus loin dans la reconnaissance des crimes commis par la France pendant la guerre d’Algérie, et plus généralement durant la période coloniale ?
Emmanuel Macron La colonisation a donné lieu à des violences qui ont nié l’humanité des victimes. Je ne m’inscris pas dans la repentance, mais je ne souhaite pas non plus refouler ce passé, dont la connaissance doit nous aider à construire un avenir apaisé. Apaisé dans notre pays, où les historiens peuvent nous aider à regarder notre histoire en face. Et apaisé avec nos partenaires du Sud. C’est en assumant la vérité sur notre histoire commune que nous pourrons regarder franchement l’avenir.
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Quelle est votre solution pour lutter contre l’immigration massive en Europe ? Êtes-vous favorable à l’installation de camps de migrants au Maghreb ?
Traiter de ces questions impose d’élargir notre regard au-delà de nos frontières. Ce sont les pays d’Afrique et du Proche-Orient qui accueillent le plus de migrants. Quant aux réfugiés, c’est une question européenne et pas seulement française. La France doit tenir ses engagements en matière d’accueil des réfugiés. La création de camps à la frontière n’est pas une bonne idée, on le voit en Libye. Mais il faut aussi travailler en amont : contre les réseaux criminels des passeurs ; contre les causes des migrations, en aidant les pays d’origine des migrants à offrir à leurs habitants un avenir sur place. L’Europe peut proposer aux pays africains des accords mutuellement bénéfiques pour accompagner une politique migratoire maîtrisée et humaine.
L’Afrique est régulièrement décrite comme un continent d’avenir. Le pensez-vous ? Pourquoi ? Comment la France peut-elle en tirer parti ?
Quand je regarde l’Afrique, je vois en effet le continent de l’avenir. L’Afrique est en train de connaître une transformation sans précédent, avec une croissance continue depuis 2000, l’urbanisation et l’essor des classes moyennes, le développement du secteur privé et une jeunesse créative et dynamique. Il y a bien entendu des défis que l’Afrique devra surmonter : la démographie, les pandémies ou le dérèglement climatique qu’elle subit, les inégalités et la faiblesse de la gouvernance. Mais je suis convaincu que l’Afrique surprendra le monde par son dynamisme. Il est de notre intérêt d’écrire une nouvelle page dans notre relation avec l’Afrique.
C’est pourquoi je veux établir un partenariat ambitieux entre la France, l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique qui renforce nos intérêts mutuels dans tous les domaines : climat, commerce, emploi, innovation, mais aussi sécurité et stabilité. Aux côtés des relations entre Etats, ce partenariat s’appuiera sur les forces vives africaines et françaises : intellectuels, ONG, diasporas de France et d’Afrique, entreprises. Il nous faudra renforcer la qualité de nos échanges, en facilitant la circulation des chercheurs et des entrepreneurs, et mobiliser les investisseurs privés, français et africains, pour innover et créer de la valeur ensemble.
L’Afrique, enfin, c’est l’avenir de la francophonie – un atout dans la mondialisation – et je veux renforcer l’espace francophone, notamment dans sa dimension économique.
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Quels liens personnels entretenez-vous avec l’Afrique ou certains de ses dirigeants ?
J’ai vécu quelques mois au Nigeria à l’occasion de mon stage de l’ENA [Ecole nationale d’administration], ce qui m’a permis de découvrir le plus grand pays d’Afrique par sa population et par la taille de son économie. Dans le cadre de mes fonctions de ministre de l’économie, j’ai par ailleurs rencontré de nombreux responsables d’Afrique du Sud, du Nigeria, de Côte d’Ivoire ou du Sénégal.
Les relations entre chefs d’Etat sont importantes et je compte aller à la rencontre de mes homologues africains rapidement après mon élection. Mais les liens entre l’Afrique et la France dépassent ce seul cadre : 10 % de la population française a des origines africaines et 300 000 ressortissants français résident en Afrique. Ces liens humains sont un atout. C’est pourquoi je veux approfondir les relations entre acteurs de la société civile et acteurs économiques.
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Quel regard portez-vous sur la politique africaine de François Hollande ? Que feriez-vous différemment si vous êtes élu ?
François Hollande a pris ses responsabilités en intervenant militairement au Mali, en 2013, à la demande du président malien [de l’époque], Dioncounda Traoré, pour empêcher que le Mali ne tombe sous le joug des terroristes islamistes. L’opération Serval a été un succès ; elle a fait honneur à la France. Mais notre présence militaire ne doit pas, sur le long terme, se substituer aux Etats africains, et elle n’est pas un but en soi.
Je souhaite par ailleurs relancer notre aide au bilatérale en Afrique pour faire face au défi du développement. Je souhaite notamment mobiliser plus de financements, publics et privés, pour financer les infrastructures et les PME africaines, qui sont créatrices d’emplois. Je veux promouvoir le rôle des femmes et doubler le financement des projets liés à l’égalité femmes-hommes.
Je pense qu’il est essentiel que la France soit plus à l’écoute de la société civile et de la jeunesse africaines.
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Les bases militaires françaises sur le continent : un anachronisme ou une nécessité ?
J’engagerai une revue politique et militaire des bases militaires françaises en Afrique, notamment au regard de la lutte contre le terrorisme. Dans le même temps, je veux faire du renforcement des capacités sécuritaires africaines nationales et régionales un objectif prioritaire pour la France et pour l’Europe. Nos partenaires européens doivent s’y investir davantage. Je salue à ce titre l’engagement majeur de l’Allemagne au Sahel.
Paris doit-il davantage faire entendre sa voix lorsque des processus électoraux, à Brazzaville, Libreville ou N’Djamena sont contestés ? Jusqu’à conditionner son aide aux avancées démocratiques ?
J’entends les aspirations démocratiques des citoyens d’Afrique. Si je suis élu, je défendrai le respect des principes démocratiques fondamentaux partout en Afrique et je soutiendrai l’action de l’Union africaine, qui a démontré sa capacité d’action sur ce terrain.
S’agissant de l’aide, celle destinée à des populations en situation difficile doit évidemment être préservée, mais nous devons être prêts à reconsidérer notre soutien direct aux gouvernements qui bafouent les droits les plus fondamentaux.
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Vous engagerez-vous à porter l’aide au développement à 0,7 % du PIB au cours de votre quinquennat ?
Je propose de revoir, en concertation avec la société civile, la loi de programmation de l’aide au développement pour établir une trajectoire d’augmentation vers les 0,7 %, à atteindre entre 2022 et 2030, en fonction de nos marges budgétaires. Cette montée en puissance de notre politique de développement, avec des ressources accrues en dons, nous permettra de renforcer notre aide bilatérale en Afrique, en priorité dans les pays de l’espace francophone et dans les pays les moins avancés.