Si ce n’est la profonde aspiration au renouvellement du personnel politique puis au changement des pratiques qui traverse toute l’opinion publique française depuis au moins deux quinquennats, et la rend donc plus réceptive à la candidature d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen, voire de Jean Luc Melenchon?
L’écrasante majorité de l’électorat se rendra ainsi aux urnes dimanche animée par une réelle volonté de renouvellement et de changement.
Mais l’obtiendra-t-elle enfin? Il est permis d’en douter hélas.
Car comment l’envisager raisonnablement en agrégeant autour de sa personne et/ou sa candidature la fine fleur de la vieille aristocratie (financière, économique, médiatique et politique) française, celle-là même qui empêche et veut précisément que rien ne change depuis des décennies en France malgré les discours, allant d’Alain Minc à Bernard Henri Lévy, en passant par Claude Perben à Robert Hue?
Il y a de quoi en être sceptique, au risque de se retrouver à nouveau au bout du quinquennat, avec des réseaux clientélistes et conservateurs encore plus puissants qu’ils ne sont en France, face à des classes moyennes et populaires davantage paupérisées au sortir des cinq années de présidence Hollande.
Je tais volontiers l’âge d’or de la Françafrique qu’aura été ce quinquennat, notamment en Afrique centrale francophone, afin de ne pas paraître inutilement blessant à l’égard d’un président sortant que j’ai soutenu dès la primaire interne au Parti socialiste, quand beaucoup ne lui donnaient aucune chance d’être un jour à l’Élysée.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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« Qu’est-ce qui pousse un Sénégalais ou un Marocain à faire campagne pour Emmanuel Macron ? »
Dans un reportage récent, Le Monde Afrique nous a plongés dans l’univers du comité de soutien à Emmanuel Macron au Sénégal. Or il m’a semblé curieux que des personnes qui ne votent pas en France s’engagent à ce point, avec parfois un zèle qui prête à sourire, pour un candidat à la présidentielle française. A première vue, il serait facile de céder à la moquerie : pourquoi militer pour un candidat pour lequel on ne peut même pas voter ? Est-ce le sempiternel complexe du colonisé ?
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Cela m’a rappelé l’affaire Stéphane Tiki, ce jeune Camerounais qui dirigeait les jeunes de l’UMP en France jusqu’à ce que Le Canard enchaîné ne révèle, début 2015, qu’il n’était pas français et qu’il était même en situation irrégulière, sans papiers. Dans une tribune pour L’Afrique des idées, j’avais refusé de joindre ma voix au concert de condamnations du bonhomme. La question fondamentale, pour moi, était de savoir s’il se serait autant engoncé dans le mensonge pour jouer un rôle dans un pays qui n’était pas le sien si, au Cameroun, le président Paul Biya laissait entrevoir le moindre espoir de transformation, s’il donnait à la jeunesse la moindre raison de s’engager.
Qu’est-ce qui pousse un Sénégalais, un Marocain, un Ivoirien qui n’ont parfois jamais mis les pieds en France à faire campagne pour un candidat de ce pays ? Allons au-delà des jugements hâtifs et des tentatives d’explications par la cosmétique du moderne et de l’esprit start-up qui caractérise, par exemple, la candidature d’Emmanuel Macron. A mon avis, un drame intérieur profond agit sur ces « marcheurs » africains.
Le culte du clientélisme électoral
Dans nos pays, la politique ne permet aucune épopée comme celle d’Emmanuel Macron. Sous nos latitudes, elle ne laisse pas de place au romantisme des idées neuves. Elle n’est pas non plus la scène où s’affrontent plusieurs visions du monde. La politique africaine se résume à ce carrousel qui tourne au ralenti avec toujours les mêmes figures, les mêmes postures.
Il s’y ajoute, dans beaucoup de pays africains, une chape de plomb installée par une génération aux méthodes douteuses et à la corruption endémique. Nos classes politiques sont sclérosées par l’absence de vision transformatrice et le culte du clientélisme électoral. Elles répondent plus souvent à une logique de « politique du ventre » qu’à une réelle volonté d’émancipation et de progrès social. Cette façon de faire de la politique, depuis les indépendances, souvent par les mêmes, si loin de la fraîcheur, de la jeunesse de Macron, a éloigné des jeunes compétents, honnêtes et dynamiques des espaces de confrontation politique pour les pousser dans des ersatz d’engagement citoyen ou entrepreneurial que j’ai parfois décriés dans ces colonnes.
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Je refuse dorénavant de croire que la classe politique en Afrique soit plus corrompue qu’en France. La déferlante des « affaires » pour au moins deux candidats à la présidentielle française montre au contraire que les pratiques se nivellent de part et d’autre de la Méditerranée. La seule différence étant qu’en France, la justice semble plus indépendante et dispose de plus de marge de manœuvre pour agir.
Se confronter au réel
Je ne porte pas de jugement négatif sur ces « marcheurs » dakarois ou casablancais, mais je pense qu’il faut refuser de guérir le mal par des solutions conjoncturelles. La sympathie pour des hommes politiques étrangers est compréhensible, au regard des convictions politiques de chacun. Personnellement, je suis de près des hommes politiques européens ou américains, dont je me sens proche idéologiquement. Mais c’est une illusion, car la réalité de nos pays nous rattrape toujours. La politique, c’est se confronter au réel, en appréhendant les drames, les limites et les défis de notre quotidien, de celui de nos compatriotes.
Une présidentielle française se tient tous les cinq ans. Que faisons-nous entre-temps du quotidien difficile de millions de jeunes Sénégalais, Marocains, Congolais, Guinéens ?
La possibilité d’une vraie politique de rupture en Afrique ne s’octroie pas, elle s’arrache au terme d’une lutte sans concession. Il faut faire preuve d’un devoir d’irrévérence, d’une remise en cause des baronnies, des positions des privilégiés et des remparts. Les changements attendus par les millions d’Africains qui vivent dans le dénuement le plus absolu ne surgiront pas des incubateurs, ni des espaces de coworking dépolitisés et baignés dans une insipide soupe néolibérale. Ils adviendront à l’issue d’une bataille culturelle, d’un long processus politique, d’affrontements entre visions du monde, entre ceux qui ont une haute ambition pour l’Afrique et d’autres qui ne veulent la changer qu’à la marge, voire pas du tout. Les changements seront politiques, car nos problèmes sont politiques.
Et le combat politique à mener ne devrait pas oublier ceux qui, dans les ruelles africaines, distribuent des tracts pour Emmanuel Macron. S’ils s’engageaient pour leur pays plutôt que pour un candidat étranger, ils pourraient constituer une nouvelle avant-garde politique africaine.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.