Au Cameroun, le gouvernement a décidé de rétablir les réseaux internet dans les régions anglophones du pays. La population avait organisé un mouvement de protestation pour obtenir plus de reconnaissance de la part du gouvernement.
Considéré comme un outil subversif, internet avait été coupé le 17 janvier dans les deux régions anglophones du Cameroun. Aujourd’hui, la société civile réclame toujours le dialogue avec le gouvernement, comme l’explique Tasi Ntang Lucas, leader des enseignants anglophones :
« C’est un soulagement de pouvoir de nouveau communiquer, se félicite-t-il. Mais les dommages ont été tellement importants. C’est décourageant. Le gouvernement a pris certaines mesures pour résoudre le problème des minorités anglophones. Nous devons saluer cela. Mais leur a fallu 56 ans pour se rendre compte des souffrances des minorités anglophones ».
Le rétablissement d’internet suscite un enthousiasme très limité. Dans le fond, les habitants se sentent toujours marginalisés et réclament un dialogue avec le gouvernement. « Nous réclamons un dialogue sérieux, poursuit Tasi Ntang Lucas. Que ce soit dans le sud-ouest et le nord-ouest, nous posons une seule condition : la libération des prisonniers liés à cette crise. S’ils continuent de manipuler, d’intimider, d’enlever des gens, la situation ne va pas s’améliorer ».
Tchoungang est étudiant à la faculté des sciences économiques de l’Université de Buéa. Privé trois mois d’internet, le jeune homme a vécu un véritable calvaire, obligé de se déplacer dans d’autres villes pour effectuer des recherches. « On ne saute pas de joie au point de poster des messages sur Facebook. C’est un devoir pour le gouvernement d’assurer la fourniture d’internet », selon lui.
« Mettez-vous à notre place : vous êtes étudiant, vous avez payé votre chambre. Mais comme vous dépendez d’internet pour faire vos recherches, vous vous retrouvez à devoir aller à Yaoundé, à payer une chambre d’hôtel à 10 000 francs CFA et à dépenser de l’argent dans un cybercafé. C’était très difficile ».
Coût économique
L’ONG française Internet sans frontières estime à quatre millions d’euros les pertes engendrées par les trois mois de coupure d’internet dans les deux régions anglophones du Cameroun.
Un impact difficile à chiffrer mais réel, selon cet analyste qui avait fustigé la coupure d’internet décidée le 17 janvier dernier. Dans les villes comme Buea et Bamenda, plusieurs personnes travaillant aujourd’hui dans le secteur numérique ont dû effectuer souvent des centaines de kilomètres pour se rendre dans des zones où ils pouvaient se connecter.
Début avril, Valery Colong, cofondateur d’ActivSpaces, un centre d’incubateurs de jeunes entrepreneurs dans le secteur numérique, avait estimé que pour assurer la sécurité dans les zones anglophones, les autorités camerounaises auraient dû couper seulement les réseaux sociaux, afin de ne pas pénaliser tous ceux dont le travail dépend d’Internet.
Menaces
Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique centrale (UNOCA) a exprimé sa satisfaction face au rétablissement d’internet. François Louncédy Fall encourage le gouvernement camerounais à « prôner l’apaisement et le dialogue » afin d’aboutir à une résolution de la crise dans les régions anglophones du pays.
Mais dans un communiqué, le porte-parole du gouvernement souligne que les autorités se réservent le droit « de prendre les mesures appropriées pour éviter qu’Internet ne soit utilisé à nouveau pour créer des troubles à l’ordre public ».
■ Crise anglophone : le volet judiciaire
La crise anglophone qui dure depuis près de six mois au Cameroun fait aussi l’objet d’un important pan judiciaire avec des dizaines d’interpellations dans les deux régions concernées. Face à certaines revendications appelant au fédéralisme et même à la sécession, le pouvoir de Yaoundé a opté pour une main ferme.
Plusieurs leaders et des dizaines de jeunes manifestants ont été arrêtés et sont depuis quelques semaines en jugement devant le tribunal militaire. Le 15 février dernier, dans une adresse à la presse, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement donnait quelques indications chiffrées.
Issa Tchiroma Bakary annonçait à cette date que 82 personnes avaient été interpellées. Une trentaine était en jugement devant les juridictions compétentes, dont le tribunal militaire de Yaoundé.
Parmi ces personnes, trois cristallisent l’attention de l’opinion, dont l’avocat Félix Nkongho Agbor Balla, tous trois considérés comme des figures de la contestation anglophone face au pouvoir central de Yaoundé.
La dernière audience de ces trois leaders a eu lieu le 7 avril dernier. Au cours de celle-ci le tribunal avait décidé de la jonction de procédure avec une autre affaire concernant 25 jeunes originaires des régions anglophones et poursuivis pour plus ou moins les mêmes raisons : délits d’hostilité contre la patrie, insurrection, outrage au président de la République ou apologie du crime. A ces affaires est venue s’ajouter une autre concernant des religieux de Bamenda.
Le procès qui devait s’ouvrir lundi dernier a été reporté à une date ultérieure. Plusieurs organisations de la société civile et des partis politiques de l’opposition appellent depuis des mois, sans succès, à la libération de toutes ces personnes interpellées pour favoriser une sortie de crise.