La famille et les héritiers politiques de Thomas Sankara attendent de le voir rendre des comptes pour l’assassinat, en 1987, de l’ancien dirigeant du Burkina Faso ; les supporteurs de Laurent Gbagbo rêvent de le voir jugé pour son implication dans la crise ivoirienne ; des victimes de la guerre en Sierra Leone aimeraient qu’il s’explique sur son soutien à la rébellion qui les a martyrisés.
Mais tout cela ne sera pas abordé devant la Haute Cour de justice à Ouagadougou, au Burkina Faso, où doit s’ouvrir, jeudi 27 avril, le procès de Blaise Compaoré. Pour cette première séquence judiciaire le concernant, il ne sera question que de sa chute sans gloire, et non des mystères et controverses qui ont jalonné sa présidence (1987-2014).
Blaise Compaoré est cité à comparaître, avec 31 membres de son dernier gouvernement, pour la répression de l’insurrection populaire qui emporta, à la fin octobre 2014, ses vingt-sept années à la tête de l’Etat et ses ambitions de s’éterniser au pouvoir. Exilé depuis en Côte d’Ivoire, pays dont il a pris la nationalité, le chef de l’Etat déchu ne sera pas dans le box des accusés malgré le mandat d’arrêt international lancé à son encontre.
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Tirs « à balles réelles »
Poursuivi comme ses ministres pour complicité d’homicide volontaire et de coups et blessures volontaires, il ne sera pas jugé en tant qu’ancien président, mais en tant qu’ancien ministre de la défense dont il assurait également les fonctions. Et s’il risque, comme ses coaccusés, la peine de mort, celle-ci n’est plus appliquée au Burkina Faso.
Les mis en cause devront répondre de la mort de 7 manifestants et des blessures occasionnées à 88 autres. D’après le bilan officiel, 33 personnes ont été tuées durant ces quelques jours de contestation qui ont changé la face du « pays des hommes intègres ». Pour l’accusation, la culpabilité du dernier gouvernement de l’ère Compaoré est à chercher dans les deux jours qui ont précédé les manifestations déclenchées le 30 octobre 2014, quand, pour bloquer la modification de l’article 37 de la Constitution permettant au président de briguer un nouveau mandat, les protestataires avaient incendié l’Assemblée nationale et mis à sac les domiciles de personnalités du régime.
Le 28 octobre, pour empêcher la rue de déferler sur les centres du pouvoir, le premier ministre Luc-Adolphe Tiao réunit les responsables sécuritaires. « La principale conclusion de cette rencontre a été de solliciter le concours de l’armée en soutien aux forces de l’ordre qui étaient épuisées par plusieurs jours de maintien de l’ordre lors des précédentes manifestations », indique l’acte d’accusation. Le lendemain, en conseil des ministres, personne ne conteste. Sur ordre présidentiel, M. Tiao réquisitionne l’armée et « fourni[t] aux forces de défense et de sécurité les instruments et moyens qui leur ont permis de tirer à balles réelles sur des manifestants ».
« C’est un cataclysme, ce qui s’est passé. C’était la première fois qu’on voyait un acte aussi barbare au Burkina Faso », déclare Armand Ouédraogo, le procureur de la Haute Cour de justice, qui ne semble guère troublé par l’absence de M. Compaoré et de cinq autres accusés. « Plus on attend, plus on pénalise les victimes, car une condamnation devant la Haute Cour leur permettra de demander des réparations devant le tribunal de grande instance », explique-t-il.
« Parodie de justice »
Touché par un tir à la jambe gauche le 30 octobre, Franck Sia, le président de l’Association des blessés de l’insurrection populaire, aurait souhaité que celui contre lequel il s’est soulevé ait « le courage de faire face ». Mais, au fond, le plus important est « que justice soit faite et que la vérité soit dite pour permettre la réconciliation de tous les fils de ce pays ».
« Il est prêt à assumer ses responsabilités, mais il faut lui garantir un procès équitable », assure Pierre-Olivier Sur, l’avocat de M. Compaoré. « Le procès devrait être renvoyé, car il ne respecte pas les standards internationaux auxquels le Burkina Faso a adhéré », dit-il, protestant contre « un détournement de procédure pour permettre de poursuivre un ex-chef d’Etat en qualité d’ancien ministre, une peine encourue disproportionnée et une défense privée de la copie du dossier d’accusation ».
Dans les rangs du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), les accusations sont encore plus franches. L’ex-parti au pouvoir dénonce « un règlement de comptes politique, sous la forme d’une parodie de justice ». Avec les procédures engagées sur l’assassinat de Thomas Sankara ou sur le coup d’Etat avorté de septembre 2015, le CDP devrait avoir de nouvelles occasions de s’insurger, et « le beau Blaise » de constater, depuis sa villa d’Abidjan, le démantèlement continu du système qu’il avait mis en place.
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Burkina Faso : Compaoré n’assistera évidemment pas au procès des méfaits de son régime. Pas très courageux, un tyran sanguinaire!
Burkina Faso: le procès du dernier gouvernement de Blaise Compaoré est renvoyé au 4 mai
« Le président Compaoré se porte bien en Côte d’Ivoire et n’a pas pris une seule ride», déclare l’avocat de l’ancien homme fort du Burkina. Pour autant, Blaise Compaoré n’assistera pas au procès qui s’ouvre ce jeudi 27 avril pour déterminer la responsabilité des violences meurtrières qui ont conduit à l’effondrement de son régime en octobre 2014. Selon une source judiciaire, il encourt entre 10 et 20 ans de réclusion criminelle s’il est reconnu coupable, tout comme l’ensemble des ministres de son gouvernement avant la chute, accusés tous de «complicité d’homicide volontaire » et « coups et blessures ».
Le procès de l’ancien régime qui s’ouvre ce jeudi 27 avril à Ouagadougou devant la Haute Cour de justice, est très attendu au Burkina Faso, et cela malgré l’absence de son chef Blaise Compaoré dans le box des accusés. Exilé en Côte d’Ivoire depuis qu’il a été chassé du pouvoir il y a trois ans par des manifestations massives mettant fin à presque trois décennies de règne sans partage, l’ancien homme fort du pays ne comparaîtra pas devant le tribunal sous prétexte de l’irrecevabilité des poursuites engagées contre lui. « Cette affaire est grevée de vices procédurales au point que je ne suis même pas sûr de pouvoir défendre le président Compaoré in absentia », déclare l’avocat français de l’accusé Pierre-Olivier Sur. Tout comme Compaoré, six autres de ses anciens ministres sur les 34 personnes poursuivies par la justice n’ont pas répondu aux convocations.
Les Burkinabè attendent toutefois avec impatience ce procès qui a toutes les chances d’être « ce grand moment de vérité » qu’appelle de tous leurs vœux les mouvements de la société civile. Les ONG dont le « Balai citoyen » font depuis trois ans le siège du gouvernement pour que celui-ci accélère les travaux de sa justice, permettant de déterminer la responsabilité des autorités de l’époque dans la répression meurtrière de l’insurrection de 2014. C’est l’un des dossiers que l’actuel président Roch Marc Christian Kaboré a trouvé sur son bureau après son investiture en décembre 2015.
« Un procès inique et naïf »
Au total, trente-trois personnes avaient trouvé la mort lors des manifestations déclenchées par la tentative de révision de l’article 37 de la Constitution, qui empêchait Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat présidentiel. Selon un communiqué du Parquet général, un conseil des ministres extraordinaire avait eu lieu le 29 octobre 2014 au cours duquel la décision aurait été prise de faire appel à l’armée pour réprimer les manifestants.
Dans l’ordonnance de renvoi, tous les ministres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré, excepté deux qui n’avaient pas participé à ce conseil, sont cités à comparaître devant la Haute cour de justice, seule juridiction habilitée à juger le chef de l’Etat et des ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. La justice burkinabè accuse le gouvernement en place au moment des événements d’avoir fourni par « réquisition spéciale » aux forces de défense et de sécurité les instruments et les moyens leur permettant de tirer à balles réelles sur des manifestants. L’ex-président Compaoré est cité en sa qualité de ministre de la Défense, portefeuille que le « beau Blaise » cumulait avec sa charge présidentielle.
Pour Me Sur, cette citation relève de « détournement de procédure ». « Blaise Compaoré est cité à comparaître, en tant que simple ministre de la Défense, alors qu’il présidait aux destinées du pays, s’indigne son avocat. Le président Compaoré pourrait répondre de ses actes devant le tribunal en sa qualité d’ancien chef de l’Etat, il ne peut être question pour lui de se présenter en tant que subalterne. » L’ancien bâtonnier du barreau de Paris pointe également du doigt un autre « grave » manquement de la justice burkinabè qui aurait omis d’envoyer à son client la notification procédurale. « Du coup, déclare le défenseur, le président Compaoré n’a pas accès à son dossier et, par conséquent, n’a pas les moyens de se défendre ». Et l’avocat de dénoncer un procès « inique » et « naïf » qu’il conviendra à tout prix de renvoyer !
Or quelle que soit la suite qui sera réservée à l’affaire par les juges de la Haute cour de justice ce jeudi, le client de Me Sur n’a rien à craindre de la justice burkinabè. Principal protagoniste des événements d’octobre 2014, Blaise Compaoré sera jugé par contumace, les autorités de la Côte d’Ivoire où il a trouvé refuge après sa chute du pouvoir ayant refusé de l’extrader. C’était déjà la réponse opposée par le gouvernement Ouattara au mandat d’arrêt international lancé par le Burkina en 2015 contre son ancien président, pour son rôle supposé dans l’assassinat de Thomas Sankara il y a 30 ans.
L’exil doré de Compaoré en Côte d’Ivoire
L’homme entretient des relations privilégiées avec le pouvoir ivoirien actuel, qui a été le principal bénéficiaire de son travail de sape de la Côte d’Ivoire sous Laurent Gbagbo. Il n’avait pas beaucoup d’atomes crochus avec ce dernier. Guy Labertit qui était à l’époque « Monsieur Afrique » du Parti socialiste français se souvient de l’avoir entendu dire qu’il était un ami de Gbagbo, mais « c’est Alassane (Ouattara) qu’il faut à la Côte d’Ivoire ». Le camp Gbagbo l’accuse d’avoir hébergé la rébellion ivoirienne dite des Forces nouvelle et pro-Ouattara, puis de l’avoir aidé à occuper durablement le Nord de leur pays. Il était aussi le mentor de Guillaume Soro qui prendra la tête de la rébellion ivoirienne. Devenu président en 2011 après la guerre civile ivoirienne, Ouattara lui en sait gré de l’avoir soutenu en lui fournissant des armes et des combattants pendant sa longue traversée de désert au cours des années fatidiques 2000-2010.
En retour, lorsque Blaise Compaoré s’est retrouvé en difficulté après l’effondrement de son régime à Ouagadougou en octobre 2014, le président Ouattara a envoyé son hélicoptère personnel pour aller chercher son homologue déchu à la frontière ivoiro-burkinabè, l’accueillant à bras ouverts dans son pays. « Blaise Compaoré peut rester en Côte d’Ivoire le temps qu’il voudra », aime répéter le chef de l’Etat ivoirien à qui veut l’entendre. Il est l’hôte personnel du président Ouattara.
Après avoir séjourné un temps à Yamoussoukro, Compaoré vit aujourd’hui en exilé discret dans une confortable villa dans le quartier chic de Cocody.
« Sa discrétion ne l’empêche pas de rencontrer régulièrement les grands protagonistes de la vie politique ivoirienne qu’il a connus lorsqu’il dirigeait son pays, confie Rodrigues Fénelon, journaliste ivoirien. Il voyage beaucoup et reçoit, notamment son avocat parisien et plus récemment une délégation des partis politiques burkinabè dans le cadre d’une mission de réconciliation nationale au Burkina Faso. »
L’ancien homme fort a aussi acquis la nationalité ivoirienne à laquelle il avait d’ailleurs droit étant marié à une Ivoirienne. Le décret de naturalisation signé par le président Ouattara en personne le protège contre les demandes d’extradition par la justice burkinabè. « La Côte d’Ivoire n’extrade pas ses ressortissants, notamment vers des pays où le code pénal prévoit la peine de mort, ce qui est le cas du Burkina », rappelle le journaliste ivoirien.
C’est sa naturalisation ivoirienne qui explique d’ailleurs que Blaise Compaoré ne sera pas présent ce jeudi au procès qui tient les Burkinabè en haleine. « Son absence n’interdit pas qu’il suit de près l’évolution de son pays, confie son conseil Pierre-Olivier Sur. Il est surtout préoccupé par ce qu’il estime être l’effondrement de l’Etat au Burkina, avec en contrepartie la montée du terrorisme. »