Il y a 20 ans, des rebelles dirigés par Laurent-Désiré Kabila prenaient d’assaut la capitale de l’ex-Zaïre, Kinshasa, poussant l’homme fort du pays, le maréchal Mobutu, à s’enfuir. C’est la fin de la dictature de l’homme aux toques de léopard. A l’occasion du vingtième anniversaire de cette date historique, retour sur les ambiguïtés du personnage Mobutu, à travers une biographie complète du dictateur qui paraît ces jours-ci.
Ce 16 mai 2017 est une journée historique pour la République démocratique du Congo, l’ex-Zaïre. Il y a deux décennies jour pour jour tombait le régime du maréchal Mobutu au terme de 32 années de règne sanguinaire. Ce jour-là, les Zaïrois attendaient avec impatience la chute de l’homme aux invariables toques de léopard. Sous la pression des rebelles soutenus par les Rwandais et les Ougandais, Mobutu avait pris la fuite vers ses terres de Gdabolite, dans le nord-ouest du pays, aux confins de la République centrafricaine, avant de partir s’installer dès le lendemain au Maroc.
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat financé par les Occidentaux qui voyaient en lui un rempart contre les communistes, l’homme avait fait régner la terreur dans son pays, éliminant méthodiquement ses opposants et spoliant son peuple. C’est cette histoire quasi-Shakespearienne de crimes de sang, de corruption et de pillage que raconte le journaliste Jean-Pierre Langellier dans la biographie qu’il vient de consacrer au dictateur congolais, mort quelques mois seulement après son départ précipité de son pays. Correspondant en Afrique du quotidien Le Monde entre 1979 et 1983, le journaliste français avait rencontré à plusieurs reprises le chef d’Etat zaïrois.
« Personnage haut en couleur, Mobutu impressionnait, se souvient l’auteur, par son intelligence qui lui a permis de s’ériger en un leader africain incontournable de son temps ». Ce sont ses rencontres avec ce chef d’Etat hors norme qui a conduit Jean-Pierre Langellier à se lancer dans le projet biographique du dictateur. « C’était d’autant plus passionnant à faire, explique l’auteur, qu’il n’existait pas de biographie complète de l’homme, de son enfance à son exil au Maroc. »
Qui était Mobutu ?
Organisé en une quarantaine de chapitres suivant une logique chronologique, Mobutu par Jean-Pierre Langellier met en scène les lignes de force et les paradoxes de son sujet en remontant jusqu’à son enfance à Lisala, dans la province de l’Equateur. Qui était Mobutu ? Né en 1930 dans une famille modeste, de père inconnu, l’homme s’est construit seul, puisant ses modèles notamment dans les livres. C’était, selon le biographe, un gros consommateur de livres d’histoire, surtout des biographies de Napoléon et de Charles de Gaulle. Son livre préféré était toutefois Le Prince de Machiavel, ce qui explique sans doute cette extraordinaire « intelligence stratégique » qui lui a permis de tenir tête aux stratèges américains et belges et tirer profit de l’opposition entre les différents protagonistes de la Guerre froide.
Peu de gens savent qu’avant d’être un dictateur sanguinaire, l’homme était journaliste de métier et gagnait sa vie en racontant les heurs et malheurs du Congo colonial dans les pages des journaux belges consacrés à la colonie. « Les rares biographies de Mobutu qui existent ne remontent pas avant l’indépendance du Congo en 1960 et leurs auteurs oublient de rappeler que l’homme était un journaliste qui avait mal tourné », déclare Jean-Pierre Langellier qui a lu les 200 articles que le journaliste Mobutu avait produits dans une première vie, ce qui laissait sans doute déjà entrevoir ses affinités idéologiques et politiques.
Les grandes étapes de la vie de Mobutu sont connues. Il est entré dans la vie politique en tant qu’ami et confident de l’éphémère premier Premier ministre du Congo indépendant, Patrice Lumumba, avant de s’imposer en profitant des rivalités entre le Premier ministre et le président. Il a surtout profité des craintes de la Belgique, l’ex-puissance coloniale, de voir sa mainmise sur les immenses ressources du Congo mise en cause à court terme par le pouvoir postcolonial. Il sera aussi son bourreau.
Le biographe de Mobutu raconte aussi comment son protagoniste fut très vite repéré par la CIA qui l’a instrumentalisé dans sa « guerre froide » contre les communistes. Le long règne de Mobutu a été aussi marqué par des atrocités commises contre les opposants au régime (l’assassinat de l’opposant Pierre Mulele en 1967, le massacre des étudiants du campus de Lumumbashi en 1991) et la corruption qui avait atteint des proportions jamais égalées ailleurs en Afrique. « La terreur et l’argent étaient les principaux ressorts du mobutisme », proclame Langellier.
Les ambivalences du personnage
Raconté avec brio, ce récit de la vie du dictateur de l’Afrique centrale se lit comme un roman picaresque, qui met à nu les excès de son héros et sa mégalomanie. L’originalité du portrait que brosse l’auteur réside toutefois dans l’ambivalence du personnage. La personnalité de Mobutu ne se réduit pas aux brutalités de son exercice du pouvoir ni à son avidité au gain. Le récit souligne aussi son sens de la stratégie dont témoignent les nationalisationsà la fin des années 1960 des entreprises minières tenues par les anciens colonisateurs, la « zaïrisation » de l’économie et de la culture et, last but not least, les initiatives consistant à organiser des événements de premier plan tel que le match de boxe en octobre 1974 opposant champions du monde Mohammed Ali et Georges Foreman qui plaça le Zaïre sur la carte du monde. En accueillant ce match à Kinshasa, Mobutu voulait montrer au monde entier que, écrit son biographe, « son peuple vit dans la dignité et la fierté d’être africain ».
Il n’en reste pas moins que les trente années de règne de Mobutu ont plongé son pays dans le chaos dont le Zaïre devenu la République démocratique du Congo a encore du mal à s’arracher. « Mais les Congolais qui pardonnent facilement ont pardonné à Mobutu ses excès et ses brutalités pour ne se souvenir que de son intelligence et de son charisme », soutient Jean-Pierre Langellier qui clôt sa biographie toutefois sur un regret. « On rêve à ce qu’aurait pu devenir son pays si Mobutu avait réussi son rendez-vous avec l’histoire en canalisant, pour le meilleur, l’énergie positive et le génie créatif hors pair du peuple congolais.»
Mobutu, par Jean-Pierre Langellier. Editions Perrin, 2017, 432 pages, 24 euros.