Le 17 juin prochain, cela va faire 1 an jour pour jour que Patrick Sapack et David Eboutou, deux consultants de la chaîne de télévision camerounaise Vision 4, ont été interpellés dans une brutalité la plus barbare puis jetés en prison quelques jours plus tard. Accusés de faux en écriture privée par le patron du groupe de presse l’Anecdote (auquel appartient Vision4), Jean Pierre Amougou Belinga, leur procès en justice s’enlise. Les débats ne se sont jamais ouverts. Pomme de discorde, une somme de 200 millions de F CFA à eux dues par la chaîne de Tv suite à la campagne de communication menée à Brazzaville lors de la présidentielle congolaise qui a eu lieu au premier trimestre de 2016. Enquête sur l’abus de pouvoir d’un homme d’affaires qui s’est mué en une affaire d’Etat impliquant deux pays voisins et frères : le Cameroun et le Congo.
Déjà presqu’un an de détention et toujours pas de jugement pour Patrick Sapack et David Eboutou. Le procès des consultants de la chaîne de télévision Vision 4 (canal 304 sur le bouquet Canal+), produit du groupe de presse camerounais l’Anecdote, va de report en report. Motif avancé par les juges : l’indisponibilité du plaignant, Jean Pierre Amougou Belinga. Ce dernier les accuse de « faux en écriture privée ». La prochaine audience est prévue le 16 juin prochain.
Le patron du groupe l’Anecdote leur reproche en effet d’avoir soumis à la présidence de la République du Congo une fausse facture (voir fac similé) portant l’en-tête de Vision4 pour se faire payer 200 millions de F CFA suite à la campagne de communication qu’ils ont menée lors de la présidentielle de mars 2016 au Congo-Brazzaville. Mais les mis en cause attribuent cet acte frauduleux à leur bourreau.
Silence de Sapack et Eboutou
L’enquête ouverte par hurinews.com a débuté à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Les deux infortunés y ont été placés sous mandat de détention provisoire quelques jours après leur arrestation le 17 juin 2016 dans les locaux de Vision 4 au quartier Nsam à Yaoundé. Mais votre journal en ligne s’est heurté à un mur de silence : « nous n’avons pas grand-chose à vous dire. Nous avons toujours considéré Amougou Belinga comme un grand frère. Ayant cherché à comprendre en vain pourquoi il a agi ainsi, nous avons avec David décidé de retirer nos plaintes contre lui pour aller dans le sens de l’apaisement .Nous espérons d’ailleurs qu’un jour lui-même nous donne la réponse sur les raisons d’un tel agissement. Dans nos têtes nous sommes passés à autre chose et nous nous en remettons au bon Dieu pour sortir d’ici », signifie gentiment Patrick Sapack qui, comme son compagnon d’infortune, occupe le local 20 au quartier 1 de la prison.
Après des recoupements auprès des sources internes à Vision 4, à l’ambassade du Cameroun au Congo, à la Délégation régionale de la police judiciaire du Centre, aux tribunaux de premières et grande instance de Yaoundé, il ressort que Patrick Sapack et David Eboutou réclament 200 millions de F CFA sur les 700 millions de F CFA versés à Vision 4 par la présidence congolaise suite à la présidentielle de mars 2016 qui a vu la victoire de Denis Sassou Nguesso.
Le point de départ de l’affaire
Tout commence au premier trimestre de 2016. La campagne électorale pour la présidentielle bat son plein au Congo-Brazzaville. L’image du président Sassou Nguesso est écornée par le scandale des biens mal acquis en France. Transfuges de la célèbre télévision panafricaine Afrique Média, Patrick Sapack et David Eboutou animent depuis quelques mois l’émission « Panafritude » sur Vision4 qu’ils ont eux-mêmes créée. Il s’agit d’une émission de débat donc l’objectif est de promouvoir l’émancipation des peuples et Etats africains et de dénoncer le néo-impérialisme occidental et l’ingérence dans les affaires des Etats africains.
Dépêchés par Vision4 à Brazzaville pour une campagne médiatique en faveur du candidat Sassou Nguesso, il est question pour les consultants de « désamorcer une tentative de déstabilisation ourdie en 2016 par la France et les opposants congolais qui se sont scandaleusement enrichis sous Sassou », explique un haut responsable de Vision4 sous anonymat. Une campagne de communication médiatique est donc menée sur la chaîne de TV privée par Sapack et Eboutou. Coût de l’opération : 700 millions de F CFA.
Une fois le processus électoral achevé, arrive l’heure de passer à la caisse. Patrick Sapack et David Eboutou ont convenu au départ avec leur employeur de ce que sur cette somme, Vision 4 percevra 500 millions pour couvrir ses charges et le reste leur reviendra, soit 100 millions de F CFA chacun. Le pactole est débloqué par Sassou Nguesso via son directeur du cabinet civil, Firmin Ayessa. Les deux consultants suggèrent à ce dernier de virer ces 700 millions de F CFA dans le compte bancaire de Vision 4 à partir duquel le partage sera effectué.
Le guet-apens au groupe L’Anecdote
De retour au Cameroun, les deux consultants auront toute la peine du monde à entrer en possession de leur argent. Le promoteur de Vision 4 n’est plus joignable au téléphone. Sapack et Eboutou sont interdits d’accès au siège du groupe L’Anecdote. C’est alors qu’ils décident de saisir Komidor Njimoluh, ambassadeur du Cameroun au Congo pour leur poser le problème. Ce dernier saisit les autorités congolaises qui somment le PDG du groupe de presse, Jean Pierre Amougou Belinga, de leur verser les 200 millions de F CFA.
A la date fatidique du 17 juin 2016, c’est un journaliste de Vision 4 qui les contacte afin qu’ils puissent toucher leur pactole. Patrick Sapack et David Eboutou se rendent au siège du Groupe l’Anecdote en fin de matinée. Une fois au bureau de la directrice des ressources humaines, une vingtaine de personnes surgissent de toute part et les rouent de coups. Un employé du groupe l’Anecdote qui a vécu la scène nous confie avoir entendu son patron vociférer : « vos cerveaux sont faits pour produire des millions et non pour les compter, j’ai la justice dans mes poches, mon épouse est magistrate, vous n’aurez même pas 5 francs ».
Les policiers en faction à l’entrée du siège du groupe de presse leur passent les menottes aux poignets. Les images de leur arrestation ont été diffusées aux différentes éditions de journaux de la chaîne de télé. Les deux infortunés sont embarqués dans un pick-up de Vision 4 et conduits à la Délégation régionale de la police judiciaire du Centre où ils sont placés en garde-à-vue.
La fausse facture de 200 millions de F CFA
Le 20 juin, Sapack et Eboutou sont déférés au parquet du Tribunal de grande instance (Tgi) du Mfoundi. Mais le procureur va prescrire à la police un complément d’information pour absence d’indices suffisants et renvoyer les suspects en garde-à-vue. C’est alors que commence à circuler sur les réseaux sociaux la fameuse facture avec l’en-tête de Vision4 que les consultants auraient adressée à la présidence congolaise pour se faire payer 200 millions de F CFA.
Le lendemain, 21 juin, le procureur du Tgi du Mfoundi propose de relaxer les suspects, la facture en question présentant quelques anomalies. Il se fait entendre dire par un de ses collègues qu’il s’agit du dossier du tout puissant ministre camerounais de la Justice, Laurent Esso, dont Jean Pierre Amougou Belinga est le protégé. Le magistrat décide de transférer le dossier en première instance.
Des sources proches de cette juridiction contactées par nos soins disent avoir aperçu le patron du Groupe l’Anecdote au bureau du procureur du Tribunal de première instance-Centre administratif. Ce dernier va leur faire signer chacun un mandat de détention provisoire pour « faux en écriture privée » avant de les faire conduire à la prison de Kondengui où ils séjournent jusqu’à nos jours.
Le CL2P suit l’affaire de près
Pourtant, un coup d’œil sur cette facture permet de se rendre compte que le nom porté au bas du document est David Merlin Eboutou alors qu’il s’appelle David Melvin Eboutou à l’état civil. Une erreur somme toute puérile quand on veut prétendre toucher a une pareille somme ! La signature qui figure au bas du nom raté de David Eboutou est celle scannée de Patrick Sapack. La facture indique qu’elle a été signée à Yaoundé le 8 mars 2016 alors qu’à cette date, Patrick Sapack et David Eboutou se trouvaient à Libreville au Gabon. Autant d’erreurs qui auraient simplement permis d’établir leur innocence sans autres formes de procès.
Les jours se sont égrenés puis les mois, mais le procès s’enlise au Tribunal de première instance de Yaoundé. Le Comité de libération des prisonniers politiques (CL2P), ONG basée en France qui suit l’affaire depuis sa survenue, s’apprête à faire une déclaration le 17 juin prochain, date anniversaire de leur arrestation. L’association qui défend la cause des détenus politiques en Afrique centrale entend ainsi prendre à témoin l’opinion nationale et internationale, les autorités camerounaises et congolaises ainsi que les organismes nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme sur ce cas grave et inédit de détention arbitraire.
Par Michel Biem Tong, journaliste et correspondant du CL2P au Cameroun