Cela fait sept ans, presque jour pour jour. Une éternité pour les familles des victimes. Le 2 juin 2010, le corps de Floribert Chebeya était découvert dans sa voiture à Kinshasa et son chauffeur, Fidèle Bazana, porté disparu. La veille, ce directeur de l’ONG congolaise de défense des droits de l’homme, La Voix des sans voix, s’était rendu à une convocation de l’inspecteur général de la police nationale, John Numbi. Depuis, l’affaire, enlisée à Kinshasa, a rebondi à Dakar.
Historique de l’affaire :
1/ L’affaire s’enlise à Kinshasa
Depuis 2010, date de la commission des faits, l’affaire qui concerne deux personnes Chebeya-Bazana a fait l’objet de deux procès devant la justice congolaise. En 2011, la cour militaire de Kinshasa poursuit huit policiers, dont trois par contumace. Quatre sont condamnés à mort. Un autre à la perpétuité. Mais en 2015, l’affaire, jugée en appel devant la Haute Cour militaire de Kinshasa, voit quatre des policiers précédemment condamnés être acquittés. Le cinquième bénéficie, lui, d’une réduction de peine à 15 ans de prison. Quant aux poursuites contre les trois fugitifs, elles sont purement et simplement suspendues. À Kinshasa, c’est la stupeur et l’incompréhension. En particulier pour les parties civiles qui dénoncent « une parodie de justice ». D’autant que dans ce dossier, celles-ci ne cessent de pointer du doigt la responsabilité du général John Numbi. Soupçonné d’être le véritable commanditaire, ce proche du président Joseph Kabila n’a jamais été inquiété malgré une plainte nominative déposée contre lui. « Ça va prendre le temps que ça va prendre, mais nous nous ne lâcherons jamais », avait déclaré Annie Chebeya, l’épouse du défunt, au micro de RFI.
2/ Le dossier rebondit à Dakar
Enlisée à Kinshasa, l’affaire rebondit à Dakar. En effet, au nom de la compétence extraterritoriale qui découle de la convention des Nations unies contre la torture, la justice sénégalaise se déclare compétente pour connaître ce dossier à la suite d’une plainte déposée en juin 2014, avec constitution de partie civile, par les familles Chebeya et Bazana, épaulées par les avocats de la FIDH, contre l’un des policiers congolais impliqués dans ce double assassinat. Paul Mwilambwe, c’est son nom, qui a fui le Congo-Kinshasa pour se réfugier au Sénégal, est l’un des suspects, devenu témoin, de l’implication de certains hauts gradés de la police congolaise dans le double assassinat. Il affirme en particulier avoir vu, à travers une caméra de surveillance, ceux qui ont tué et asphyxié Floribert Chebeya dans les locaux de la police dirigée alors par John Numbi, locaux qui étaient sous la responsabilité de Mwilambwe.
Depuis, Paul Mwilambwe a été inculpé et placé sous contrôle judiciaire en janvier 2015 avant d’être entendu sur le fond du dossier. Quant à John Numbi, visé en 2016 par des sanctions américaines pour son implication dans les violences qui secouent le pays, il a été élevé cette semaine au grade de grand officier dans l’Ordre national « héros nationaux Kabila-Lumumba », un titre honorifique. « Une insulte faite à la mémoire des victimes », selon Me Assane Dioma Ndiaye, l’avocat des parties civiles à Dakar qui a accepté de se confier au Point Afrique sur cette « affaire Chebeya-Bazana ».
Le Point Afrique : Pourquoi la justice sénégalaise a-t-elle été saisie du dossier du double meurtre de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana, commis en RDC en 2010 ?
Parce que les autorités congolaises n’ont jamais voulu garantir un procès juste et équitable aux familles des victimes. Au Congo-Kinshasa, on a assisté à un simulacre de procès. Une parodie judiciaire. Les vrais coupables n’ont jamais été inculpés. La présence de l’un des suspects au Sénégal a donc été l’occasion pour les victimes de relancer le dossier.
Sept ans après les faits, où en est aujourd’hui la procédure judiciaire ?
La justice sénégalaise, qui a reconnu sa compétence en se saisissant de ce dossier, a déjà procédé à une inculpation à travers la personne de Paul Mwilambwe. Elle a également auditionné les veuves de feu Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. La procédure suit son cours.
Une instruction a donc été ouverte à Dakar après que les familles des victimes ont porté plainte. Nous sommes en 2017. L’instruction du dossier patine-t-elle ?
Pas forcément. Récemment, avec ma consœur Clémence Bectarte, qui est avocate au barreau de Paris et coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la FIDH, nous avons déposé de nouvelles pièces qui permettront au juge d’instruction de prendre la mesure de l’implication de certaines autorités policières congolaises.
En tant qu’avocat des parties civiles, quels sont les principaux écueils auxquels vous êtes confronté dans ce dossier ?
La rupture de la territorialité [les faits ayant été commis à Kinshasa et l’affaire étant jugée à Dakar, NDLR], qui est le fondement de la compétence universelle, rend toujours difficiles les actes à accomplir. De même que la real politique qui peut toujours prendre le dessus sur l’exigence de vérité et de justice.
Y a-t-il des pressions politiques exercées par les autorités congolaises dans cette affaire ?
Bien entendu. La procédure gêne terriblement les autorités de Kinshasa.
Nombreux sont ceux, dans ce double assassinat, à pointer du doigt la responsabilité de John Numbi, ex-inspecteur général de la police à Kinshasa. Quel est votre avis ? Ce dernier est-il protégé par Kinshasa ?
Le général John Numbi a été formellement mis en cause par Paul Mwilambwe, l’officier de police congolais qui est présentement inculpé à Dakar. Et c’est bien, je le rappelle, John Numbi qui est a signé la lettre de convocation invitant Floribert Chebeya à se rendre dans les bureaux de l’inspection générale de la police.
Il y a quelques jours, Paul Mwilambwe, un ex-policier congolais exilé au Sénégal, est passé aux aveux mettant en cause John Numbi dans l’assassinat de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana. Ce témoignage est-il de nature à accélérer la procédure ?
De telles accusations émanant d’un témoin oculaire constituent à l’évidence des charges très lourdes pesant sur les épaules du général John Numbi. Partant, aucun juge d’instruction ne saurait ne pas donner suite à des déclarations aussi circonstanciées dans le cadre d’une information judiciaire.
Le général John Numbi, qui est visé par des sanctions américaines, a été élevé cette semaine au grade de grand officier dans l’Ordre national « héros nationaux Kabila-Lumumba », un titre honorifique. Une réaction ?
C’est sans doute une insulte à la mémoire des victimes. Je n’en dirai pas plus…