Troisième volet de la grande enquête de RFI sur la crise dans le Grand Kasaï en République démocratique du Congo. Après le rôle de l’armée congolaise dans ces atrocités, RFI s’intéresse ce jeudi au rôle de l’ONU. L’enquête de notre envoyée spéciale Sonia Rolley est en ligne sur le site de RFI. Sur ces terribles affrontements, qui ont fait au moins 400 morts depuis 10 mois, RFI recevait hier Scott Campbell, du Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. Voici aujourd’hui la réaction du ministre congolais de la Communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mendé.
RFI : Plus de 40 fosses communes, des vidéos de meurtres à bout portant, comment réagissez-vous aux multiples témoignages sur les violences criminelles commises par les forces de sécurité dans le Grand Kasaï depuis dix mois ?
Lambert Mende : Vous allez un peu vite en besogne, « commises par les forces de sécurité », je n’ai pas encore vu un jugement qui ait désigné un responsable de ces meurtres. Nous attendons avec impatience les résultats des enquêtes judiciaires et des procédures qui sont en pleine session. Je pense qu’il n’y a que des juges qui peuvent désigner les coupables de ces atrocités que nous déplorons tous.
Mais dans ces atrocités que vous dénoncez vous aussi, on voit bien que l’armée tire à balles réelles sur des miliciens qui, pour la plupart, sont désarmés ?
C’est encore vous qui le dites, je ne sais pas d’où vous avez ces sources. Nous attendons que la justice militaire nous dise qui a tiré sur qui pour pouvoir déterminer la culpabilité des uns et des autres. Il faut être patient et arrêter de faire de la politique avec la justice.
Alors selon Scott Campbell, le monsieur Afrique centrale du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, quand il y a manifestation, les forces de sécurité ont l’obligation de répondre de manière proportionnée.
Je ne sais pas si les questions dont nous parlons relèvent de manifestations. Nous avons eu des informations sur des groupes terroristes qui ont été constitués au Kasaï-Central, nous avons eu des images atroces sur lesquelles nous cherchons des résultats de la justice, des images atroces de gens que l’on décapite. Si monsieur Campbell appelle cela des manifestations, nous sommes loin de partager la même définition que lui.
D’après monsieur Scott Campbell, si les miliciens sont désarmés et ne représentent pas un danger imminent, il n’est pas acceptable que les militaires et les policiers tirent à balles réelles.
Mais encore une fois, je me demande où monsieur Campbell a eu des informations, et nous lui recommandons vivement de les mettre à la disposition de la justice congolaise. J’ai l’impression qu’il est en train de faire une sorte de juridiction parallèle à nos juridictions, qui sont en train de travailler, et que nous encourageons à nous aider à découvrir la vérité sur ces atrocités qui ont eu lieu dans la province du Kasaï. Nous espérons qu’il ne se venge pas des ennuis qu’il a eus avec notre administration de l’immigration, avec qui il a eu maille à partir lorsqu’il a été éjecté de notre pays, peut-être pour ce type de comportement.
A propos de ces atrocités, une vidéo de l’un des massacres a été diffusée, c’était à Mwanza Lomba en décembre dernier. Un procès vient de s’ouvrir, c’est à Mbuji-Mayi. Neuf militaires congolais sont poursuivis. Est-ce à dire que oui des atrocités ont été commises par les forces de sécurité congolaise ?
Mais nous devons attendre que la justice désigne les coupables. Je sais qu’il y a effectivement une procédure qui a cours devant la Cour supérieure militaire de Mbuji-Mayi et contre des militaires que l’on reconnaît sur cette vidéo de Mwanza Lomba. Ils ont été tous arrêtés, ils ont été déférés devant la justice. Il n’appartient pas à quelqu’un d’autre que la justice de désigner des coupables.
Donc on est bien d’accord, il y a aujourd’hui, devant la justice de votre pays, des militaires qui sont suspects d’atrocités ?
Affirmatif, il y a des militaires qui sont suspects d’atrocités devant la Cour supérieure militaire de Mbuji-Mayi, tout comme il y a des terroristes suspects d’atrocités qui comparaissent devant la Cour militaire supérieure de Kananga.
A côté de cette vidéo du massacre de Mwanza Lomba, il y a d’autres vidéos qui montrent d’autres massacres qui ont pu être commis par les forces de sécurité à Tsimbulu, à Kamuina Nsapu, à Kabundi. Pourquoi le massacre de Mwanza Lomba est le seul, aujourd’hui, à faire l’objet d’une procédure ?
Vous savez que le temps de la justice, ce n’est pas le temps du politicien, ce n’est pas le temps du journaliste. Pour qu’un dossier puisse être porté devant les cours et tribunaux, il faut absolument que le parquet ait terminé ce qu’on appelle la phase d’instruction préjuridictionnelle. Je ne vois pas pourquoi il doit en être autrement en République démocratique du Congo, sauf si on veut simplement faire du « Congo bashing ».
Et quand le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme dit que, vu le nombre de fosses communes qui ont été découvertes, plus de 40 à l’heure actuelle, il faut des enquêtes élargies et approfondies. Est-ce que vous êtes d’accord ?
Mais nous sommes d’accord d’être soutenus par toutes les bonnes volontés y compris le Haut-Commissariat aux Nations unies pour les droits de l’homme, mais à condition que cela soit fait conformément à la procédure régie par le droit judiciaire congolais. Et nous attendons que cette enquête, qu’ils appellent une enquête conjointe, soit plutôt un soutien aux efforts de la justice congolaise pour identifier les responsables de ces atrocités et pour permettre que la sanction puisse passer.
Donc il y aura d’autres procès que celui de Mbuji-Mayi ?
Vous pouvez en être certain. S’il y a mille fosses communes, il y aura mille procédures et nous n’arrêterons pas de faire des procédures tant que nous n’aurons pas le fin mot sur ces atrocités qui ont déstabilisé sérieusement la partie centrale de notre pays, croyez-le-moi.
L’un des principaux officiers suspects dans ces atrocités c’est le colonel François Muhire. Or ce même officier est l’un des 14 militaires congolais suspectés par la justice militaire d’avoir commis le massacre de Kitchanga. C’était au Nord-Kivu en février 2013. Pourquoi, malgré l’enquête de quatre ans menée par l’auditeur militaire de Goma, les quelque 460 témoins entendus par cet auditeur militaire, pourquoi cet officier est-il toujours en liberté et même à la tête d’une unité de l’armée congolaise actuellement dans le Grand Kasaï ?
On peut se poser des questions. Pourquoi des gens qui ont commis des crimes de guerre en 1945 n’ont pas encore définitivement comparu devant des juridictions ? Je vous explique que le temps judiciaire n’est pas le temps du politique. Laissons la justice travailler.
Oui, mais Kitchanga c’était en février 2013. Aujourd’hui, nous sommes en juin 2017. Ça fait quand même plus de quatre ans que ce massacre a eu lieu dans le Nord-Kivu. Comment se fait-il que l’un des principaux suspects de cette affaire continue de commander une unité dans une autre région du pays ?
Il ne suffit pas de soupçonner quelqu’un pour que l’on puisse tirer les conclusions en ce qui concerne sa culpabilité, je vous le répète. Il faut qu’un juge ait prononcé sa culpabilité.
Oui, mais c’est l’un des 14 militaires congolais inculpés par la justice militaire de Goma.
Ça je ne sais pas exactement vous dire s’il était inculpé par la justice militaire de Goma, ça m’étonnerait qu’il ait été inculpé et qu’on lui ait donné un commandement. Ça m’étonnerait beaucoup. Je sais que beaucoup de gens racontent n’importe quoi sur la RDC, mais quelqu’un qui est inculpé, généralement il est en détention préventive.
L’unité du suspect François Muhire, cette unité qui est suspectée d’avoir massacré au Nord-Kivu en 2013, c’est le 812è régiment de l’armée congolaise. Pourquoi cette unité a-t-elle été mutée ensuite au Kasaï central au moment où commençaient les affrontements entre forces de sécurité et miliciens ?
La responsabilité collective n’existe ni en droit français ni en droit congolais ni en droit américain. Donc, ne me parlez pas d’unité, parlez-moi d’individus.
Plusieurs personnes appartenant à ce régiment sont suspectées dans le massacre de Kitchanga et c’est le même régiment qui aujourd’hui est affecté dans une région très troublée comme celle du Grand Kassaï. Est-ce que ce n’est pas une grave imprudence d’avoir muté cette unité dans une région aussi troublée ?
Vous me posez des questions d’ordre stratégique, des questions d’ordre tactique, auxquelles je ne suis pas en mesure de vous répondre. Moi je pense que c’est le procureur militaire et le juge militaire qui peuvent poser ces questions-là au commandement de l’armée. Je pense que là vous usurpez un peu de votre qualité de journaliste pour glisser dans le droit judiciaire.
Le 12 mars dernier ont été assassinés deux experts des Nations unies, l’Américain Michael J. Sharp et la Suédoise Zaida Catalan. Vu la gravité des faits dans le Grand Kassaï depuis dix mois, vu ce double assassinat du 12 mars, êtes-vous prêts à accepter la venue d’une commission d’enquête internationale ?
Nous avons accepté l’aide de qui que ce soit, y compris de ce que vous appelez « commission d’enquête internationale » pourvu que ce soit pour aider la justice congolaise à rendre justice à toutes les personnes qui ont été assassinées dans le Grand Kasaï, y compris les deux pauvres enquêteurs des Nations unies.
Est-ce que vous êtes prêts à ce qu’une commission d’enquête des Nations unies enquête parallèlement à la justice congolaise ?
Nous ne voyons pas pour quelles raisons. Le Congo n’est pas sous tutelle de qui que ce soit. Il y a une justice qui travaille au Congo. Le Congo est un Etat qui est souverain. Je ne sais pas pourquoi il y aurait une enquête parallèle, pour quelles raisons ? Et donc nous sommes prêts à recevoir le soutien, l’accompagnement, l’aide de tous les experts du monde entier, et le plus tôt serait le mieux.
A l’origine de ces affrontements meurtriers depuis dix mois, il y a eu en avril 2016 une perquisition musclée au domicile du chef Kamuina Nsapu – Jean-Prince Mpandi. Mais vous saviez qu’il y avait des tentatives de négociation avec ce chef Kamuina Nsapu. Pourquoi ces tentatives ont-elles échoué ?
Ça, je ne saurais pas vous dire, n’étant pas maître du dossier, n’étant pas ministre de l’Intérieur. Mais je pense que la justice va pouvoir nous aider à comprendre pourquoi ces tentatives ont échoué.
A l’origine de tout cela, il y a cette querelle sur la question de savoir si Jean-Prince Mpandi alias Kamuina Nsapu pouvait avoir oui ou non le titre de chef coutumier. Est-ce qu’il n’a pas eu à cette époque-là des maladresses de la part des autorités vis-à-vis de ce chef coutumier ?
Et pourquoi pensez-vous qu’un gouverneur a été contraint d’abandonner son poste de gouverneur et séjourne à Kinshasa ? Et monsieur Kandé, qui était gouverneur à l’époque, est à la diasposition de la justice pour cette question-là. Alors je pense qu’il est suffisamment grand et est en train de répondre à cette question-là. Donnons à la justice l’occasion de finir son travail pour éviter de tirer des conclusions qui sont hâtives.
Le gouverneur de l’époque a donc commis des maladresses ?
S’il est à Kinshasa, c’est qu’il y a des questions que la justice se pose et il est en train d’aider la justice à faire triompher la vérité.
Et est-ce que l’ancien vice-Premier ministre Evariste Boshab n’a pas commis lui aussi des maladresses vis-à-vis des chefs coutumiers ?
Je ne sais pas si on vous a dit que l’ancien vice-Premier ministre, monsieur Boshab, a été exempté de pouvoir donner son témoignage ou d’apporter une déclaration devant la justice ? A ma connaissance non.
Donc vous ne seriez pas surpris si l’ancien gouverneur Kandé et l’ancien vice-Premier ministre Boshab devaient répondre devant la justice ?
Mais nous tous, nous sommes obligés, lorsque la justice nous le demande, de répondre devant elle, d’y aller. Je ne pense pas que cela fait de nous nécessairement des coupables.
Y a-t-il eu à l’époque, l’année dernière, une volonté d’instrumentaliser le pourvoir coutumier à des fins politiques.
Ça, c’est la justice qui nous le dira. Si quelqu’un voulait instrumentaliser la justice à des fins politiques, c’est une faute politique. La justice devra alors prendre des sanctions, puisque tel est son rôle, ce n’est pas le mien.