Cette semaine, le conseil constitutionnel a rendu sa décision, rejetant trois des quatre requêtes soulevées par les avocats de la défense de Blaise Compaoré et de son dernier gouvernement.
Mais l’argument de l’absence de double degré de juridiction a lui, été déclaré recevable.
Retour sur un procès qui promet d’être long.
Des foules en colère, et des bâtiments saccagés, et un ciel assombri par des colonnes de fumée. Jets de pierres contre gaz lacrymogènes.
En Octobre 2014, quand le président Blaise Compaoré a tenté une manœuvre pour finir sa troisième décennie au pouvoir, le peuple du Burkina Faso en a décidé autrement.
Dans le centre de Ouaga, la capitale, des manifestants ont incendié le parlement où le changement constitutionnel devait être voté. Le lendemain, Blaise Compaoré quittait le pouvoir et le pays, fuyant vers la Côte d’Ivoire.
Mohamed Derra a perdu un fils ce jour-là. Il travaillait hors de la capitale quand le soulèvement a éclaté. De retour chez lui, on lui a dit qu’Issaka, âgé de 14 ans, n’était pas rentré.
“On m’a dit que quand ils ont tiré, les gens fuyaient, et entre temps l’enfant est tombé”, raconte-t-il. “Ils l’ont pris avec une moto, comme il n y avait pas d’ambulance, et que son sang coulait beaucoup, ils l’ont emmené à l’hôpital.”
Mais le jeune homme n’a pas survécu à ses blessures. Mohammed se frotte les yeux. “Il n’a même pas fait dix minutes là-bas”, souffle-t-il.
Procès de l’insurrection
Issaka Derra est la plus jeune victime de l’insurrection. De sources officielles, 33 personnes sont mortes et plus de 80 ont été blessées dans la répression des 30 et 31 octobre.
Le procès de Blaise Compaoré et au moins 30 de ses ministres, surnommé “le procès de l’insurrection” s’est ouvert le 27 avril 2017.
Ils sont accusés d’avoir autorisé l’armée et les forces de sécurité à faire usage de leurs armes lors du soulèvement.
Blaise Compaoré ne s’est pas présenté, il sera jugé par contumace. D’autres accusés ont comparu. Parmi eux, Gilbert Diendere, l’ancien chef du tristement célèbre Régiment de sécurité présidentielle (Rsp), détenu pour sa participation à la tentative de coup d’Etat de Septembre 2015.
Reste que pour les militants de l’ancien parti au pouvoir, tout cela n’est qu’une mascarade. “Je dis d’emblée que ce procès a été organisé pour condamner des gens de l’ancien régime, sans régularité de procès”, tempête Achille Tapsoba, président par intérim du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré. “C’est un règlement de compte pur et simple”.
Si le procès a effectivement été lancé, il a déjà été ajourné deux fois.
Les avocats de la défense ont saisi le Conseil constitutionnel pour remettre en question la Haute cour de justice, le tribunal qui doit juger les anciens ministres.
Pour Me Guy Herve Kam, avocat des familles de victimes, c’est pourtant un procès nécessaire : “C’est vraiment un tournant décisif que ce procès ait lieu”, assure l’avocat. “Il peut permettre d’apaiser les cœurs dès lors qu’on saura la vérité, et aussi de donner une leçon aux gouvernants pour l’avenir”.
Parmi les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées par les avocats, celle sur le double degré de juridiction a été jugée recevable par le conseil constitutionnel.
La loi sur les statuts de la Haute cour de justice, celle habilitée à juger les anciens ministres, devra donc être réformée. Cette cour devra offrir une possibilité de recours ou d’appel, ce qu’elle n’offre pas aujourd’hui – et qui a été jugé inconstitutionnel par le conseil cette semaine.
Combien de temps cela prendra? Nul ne le sait.
De la ‘compaorose’ sans Compaoré
“L’insurrection a permis de terrasser le baobab mais il ne l’a pas déraciné”, explique Guy Herve Kam, également porte-parole de l’organisation de la société civile Balai citoyen, qui était au-devant des manifestations anti-Blaise pendant l’insurrection.
“Qu’est ce qui a permis à Blaise Compaoré de rester pendant 27 ans? La corruption, la ruse et la violence. Et ça, ça ne se déracine pas en un jour”, ajoute-t-il. Au grand dam de la population qui attend avec impatience les changements promis.
Même son de cloche chez Luc Ibriga, professeur d’université et contrôleur général à la tête de l’autorité supérieure du contrôle de l’Etat et de lutte contre la corruption.
“Sous l’ère Compaoré on était arrivé à une corruption systémique et une sorte de banalisation de la corruption, explique-t-il. Or c’est cela qu’il faut changer pour réinstaller dans la culture des burkinabè le sens du bien commun et de l’intérêt général”
Et de rappeler que les gouvernants d’aujourd’hui sont des dissidents du CDP, le parti au pouvoir hier.
Luc Ibriga est formel :”Bon nombre de burkinabé gardent à l’esprit que ceux qui sont là ont déjà gouverné : la tentation est grande de faire ce que l’on faisait hier, c’ est-à-dire faire de la ‘compaorose’ sans Compaoré.”
Le peuple Burkinabe attend encore que le nouveau régime fasse ses preuves.
En attendant, l’association des familles de victimes dit avoir entrepris des démarches au pénal contre certains chefs de la sécurité, et parle de procédure civile en vue d’obtenir des dédommagements. Un petit pas pour alléger le chagrin des familles de victimes et aider la nation à panser ses blessures, et tenter la poursuite du démantèlement du système Compaoré.