Au Cameroun, l’enquête sur l’assassinat présumé de Mgr Jean-Marie Benoît Balla, l’évêque de Bafia, au centre du pays, progresse-t-elle ? L’autopsie du corps repêché dans le fleuve Sanaga a-t-elle été rendue publique ? L’épiscopat camerounais a-t-il eu connaissance des résultats de cette autopsie ? « Voilà un meurtre de plus, et un de trop », ont affirmé les évêques. Car nombre de prélats ont été tués depuis les années 1980. Pourquoi ? Par qui ? Le président de la Conférence épiscopale et archevêque de Douala, Monseigneur Samuel Kléda, répond aux questions de RFI.
RFI : Cela fait vingt-six jours aujourd’hui que le corps de Mgr Balla a été repêché dans le fleuve Sanaga. L’enquête a-t-elle progressé ?
Samuel Kléda : Pour le moment je ne peux pas dire que l’enquête a progressé puisque nous n’avons reçu aucune nouvelle.
Une enquête a été ouverte par le parquet pour « mort suspecte ». Avez-vous reçu ou lu une copie de l’autopsie ?
Non, pas encore. Nous attendons qu’on nous donne le résultat. Nous espérons qu’ils sont au travail.
Vous avez vu le corps, vous étiez présent quand il a été sorti de l’eau. Votre premier constat a été : Mgr Balla n’est pas mort noyé. Avez-vous vous-même constaté des blessures ou des coups visibles sur le corps ?
Non, de manière visible, on ne pouvait pas constater cela. Mais tout simplement, on voyait nettement que c’était un corps qui n’avait pas pris de l’eau.
L’épiscopat a dit qu’il avait été « brutalement » assassiné.
Dès la disparition de Mgr Balla, des bruits se sont répandus selon lesquels il s’était donné la mort. Et il y avait ce mot laissé dans sa voiture. C’était un choc pour nous. Alors quand on se rend compte qu’effectivement, il a été assassiné. Un assassinat, c’est toujours brutal, ce n’est pas un match de football. C’est la violence même.
Un papier a effectivement été retrouvé à l’arrière de sa voiture sur lequel il était écrit : « Je suis dans l’eau ». Est-ce que vous avez reconnu l’écriture de Mgr Balla ?
Il est très difficile de dire si c’était vraiment son écriture, si on l’a obligé à écrire. On peut faire toutes ces suppositions aujourd’hui.
A travers Mgr Balla, est-ce l’Eglise catholique du Cameroun qui est visée ?
Bien sûr, parce que ce n’est pas le premier cas. Ce qui trouble, pour tous ces prêtres, ces religieux, ces évêques, l’enquête n’a jamais abouti, on n’a jamais dit ce qui s’était réellement passé. C’est un problème réel. Nous avons dit que l’Eglise du Cameroun, ou du moins ses responsables, était persécutée.
On ne compte plus effectivement les morts suspectes depuis les années 1980.
Oui, depuis 1981.
Alors, s’agit-il d’un crime politique, d’un crime lié à des sectes ? Que se passe-t-il exactement ?
Crime politique ? En tout cas il est très difficile à l’heure où nous sommes de s’orienter dans telle ou telle piste.
L’épiscopat camerounais se manifeste assez régulièrement par des recommandations en direction des partis politiques, du pouvoir. Mais votre Eglise est moins dans l’arène politique que celle de la République démocratique du Congo, par exemple.
Chaque église a sa manière de parler et d’enseigner. Je crois que l’épiscopat camerounais parle assez souvent. Quand il faut parler, quand il faut proclamer l’Evangile, nous n’hésitons pas à le faire.
Vous parlez assez souvent, est-ce que vous parlez « trop », selon certains cercles ou milieux ?
Non, je dirais que nous ne parlons pas assez. Parce que nous, pasteurs, nous sommes des messagers de la Bonne nouvelle. S’il faut proclamer la parole de Dieu on la proclame. Quand il y a des situations d’injustice à dénoncer nous devons le faire. C’est notre travail. C’est l’Evangile qui nous oblige à faire selon notre seigneur Jésus Christ, qui nous oblige à parler ainsi. Ce n’est pas dans le but de détruire quelqu’un, de viser telle ou telle personne, mais au nom de l’Evangile, quand il y a des situations qu’il faut dénoncer, nous les dénonçons.
Au-delà de la douleur, êtes-vous en colère ?
En ce moment, oui, en colère. Ce n’est pas la haine qui nous pousse, mais ce que nous voulons, c’est la justice. C’est la loi. Nous, en tant que chrétiens, nous avons prié pour les assassins. Mais cependant, quand quelqu’un a commis un crime, selon la loi, il faut qu’il réponde des actes.
S’agit-il du meurtre de trop ?
Oui, parce qu’on se rend compte que maintenant, tuer un évêque se fait facilement. Tel que je connais Monseigneur Jean-Marie Benoît Balla, ce n’est pas quelqu’un qui se crée des ennemis, qui provoque. Non, c’est un pasteur très calme. Alors pourquoi l’a-t-on tué ? On se pose mille questions. Pourquoi ?
RFI – Par Jean-Jacques Louarn