RD-Congo, Guinée-Equatoriale, Gabon, Tchad, Cameroun, Congo-Brazzaville… L’Afrique centrale est-elle malade de ses ressources minières et de son pétrole ? Le processus démocratique est-il en panne dans la sous-région ? Pourquoi les droits de l’Homme et la liberté d’expression sont-ils moins respectés en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest ? L’Afrique centrale est-elle le «mauvais élève» ? Pour répondre à ces questions nous recevons, avec vous Jean-Jacques Louarn, le chercheur Fonteh Akum de l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Pretoria.—
RFI : Pourquoi l’Afrique centrale accuse-t-elle un retard démocratique par rapport à l’Afrique de l’Ouest ?
Fonteh Akum : Nous cherchons à comprendre le pourquoi et le comment des régimes durables dans la région de l’Afrique centrale. Et cette question pourrait ainsi se juxtaposer à l’observation d’un élan vers l’habitude des transitions politiques apaisées dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Mais il faut parler des ressources naturelles qui déséquilibrent le contrat social entre l’Etat et les différentes communautés sociales et qui entravent la diversification économique tant recommandée pour que ces pays rompent avec la dépendance sur les matières premières. Le fait d’être producteur de pétrole affecte ce contrat de manière cruciale. L’Etat, en quelque sorte, établit un contrat de clientélisme envers la population. Ce rapport de clientélisme a un effet sur le processus de démocratisation où les voix sont octroyées en échange de services requis de l’Etat.
L’or noir – le pétrole – fait-il le malheur des peuples ?
Je dirais bel et bien oui, parce qu’on constate que les revenus de l’hydrocarbure donnent au gouvernement le moyen d’entretenir des gardes prétoriennes pour réprimer toute contestation du régime au détriment de la sécurité des populations. Il y a un recours à l’appareil répressif juridico-militaire pour dissuader la contestation sociale. C’est bel et bien clair qu’il y a une relation entre cette gestion des ressources pétrolières avec le processus démocratique, où le contrôle total sur la gouvernance électorale via les anciens partis uniques bénéficie au monopole de l’Etat comme source de financement de partis, ce financement qui vient de l’or noir. J’aimerais faire un constat statistique aussi sur la durabilité de ces régimes. La moyenne du mandat présidentiel pour les six pays de la CEMAP s’élève à plus de vingt-huit ans.
Les systèmes politiques d’Afrique centrale génèrent une violence d’Etat ?
Oui. Quand on voit, par exemple, les groupes comme « Y’en a marre » au Sénégal qui ont eu champ libre sur la place publique pour revendiquer leurs problèmes envers l’Etat, on voit du côté du Congo, par exemple, les jeunes de « Ras-le-bol » au Congo n’ont pas les mêmes possibilités pour demander une sorte de démocratisation de leur pays.
En Afrique centrale, la société civile est perçue comme un ennemi politique ?
Bien sûr. Alors que la société civile représente un atout qui pourrait bien contribuer à la démocratisation. La légitimité de la plupart des présidents de l’Afrique de l’Ouest, que ce soit au Sénégal, que ce soit au Bénin, vient clairement des urnes.
Déby, Biya, Sassou, Obiang Nguema, voilà des figures de chefs d’Etat d’Afrique centrale. On est bien loin d’un Talon, d’un Diouf, d’un Macky Sall, d’un IBK, d’un Ouattara.
On est très loin. Et je n’en dirai pas plus.
Conséquence du système qui repose sur la peur et la violence d’Etat, c’est un clientélisme et une corruption endémique qui rongent le système lui-même.
On peut bien constater que le clientélisme existe en Afrique centrale de manière beaucoup plus importante qu’en Afrique de l’Ouest. L’or noir est à la source de ce clientélisme. Clairement, les compagnies françaises sont fustigées de par les relations qu’elles entretiennent avec les Etats de l’Afrique centrale. Il y a les mouvements de contestation qu’on a vus – contre Bolloré par exemple, au Cameroun – qui démontrent clairement qu’il reste un rapport très étroit entre les élites de ces pays d’Afrique centrale et certaines élites économiques françaises.
Un mot donc sur le colonisateur : a-t-il une part de responsabilité entre ces différences démocratiques entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest ?
Que le colonialisme soit la source des différences démocratiques dans les deux différents contextes, c’est difficile de fustiger le colonialisme uniquement comme cause pour les faits qu’on voit aujourd’hui.
L’Afrique centrale a dix ans – vingt ans de retard sur l’Afrique de l’Ouest ?
Chaque région marche à sa manière. Un retard il y a, mais les choses changent.
L’Afrique centrale peut-elle rattraper ce retard démocratique par rapport à l’Afrique de l’Ouest ?
Absolument. C’est une question de volonté politique.
Par Jean-Jacques Louarn