« Bon courage, papa ! » Au bar d’un palace parisien, Dominique Ngouabi salue Jean Ping qu’il croise par hasard. Costume sombre et ceinture Hermès, le fils de l’ancien président marxiste-léniniste du Congo-Brazzaville Marien Ngouabi, assassiné le 18 mars 1977 dans des conditions troubles, encourage celui qui se considère comme le « président élu » du Gabon.
« C’est fou. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à son père », glisse Jean Ping, troublé. « Toutes nos forces. On est avec toi », assure le « petit Ngouabi », homme d’affaires et diplomate de l’ombre qui fut conseiller spécial de l’ancien chef d’Etat centrafricain, François Bozizé, renversé en mars 2013. Les époques se croisent et s’entremêlent dans les salons de l’hôtel parisien Prince de Galles, avec un relent de politique franco-africaine surannée.
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« Ils admirent ce qu’on fait, de Brazzaville et d’ailleurs, se réjouit Jean Ping. C’est pas facile… C’est un modèle qu’on bâtit. Et si ça marche… Je pense que ça va marcher.
– Quel est ce “modèle” que vous imaginez ?
– Dans les pays d’Afrique francophone, vous avez le Sénégal qui est devenu un modèle de démocratie qui marche. Ce n’est pas parfait, mais ça marche. La France doit être heureuse de voir qu’une de ses colonies arrive à faire ça. Nous voulons constituer quelque chose qui pourrait ressembler au Sénégal, changer modestement la gouvernance du Gabon. Et je pense que la France devrait être fière que ce modèle nous inspire. Si ça se passe en Angola, c’est bien, mais c’est pas une colonie française. Et puis le Gabon est le prototype de la Françafrique la plus détestable. »
« Valls complice des dictateurs »
A 74 ans, Jean Ping assume cet héritage, le revendique même. Comment faire autrement lorsqu’on a été plusieurs fois ministre d’Omar Bongo, qu’on est le père des deux enfants de sa fille, Pascaline Bongo, détentrice des plus grands secrets politico-financiers du régime.
« Je ne renie pas que j’ai participé avec le président Omar Bongo à la Françafrique. Au contraire. On a été une partie du problème, donc on est une partie de la solution. N’oubliez pas que Macron a été avec Hollande. »
Les louanges de Jean Ping à l’égard du président français Emmanuel Macron n’ont d’égales que ses critiques et son amertume à l’encontre de François Hollande. « Hollande n’a rien fait pour la démocratie en Afrique et le premier ministre [Manuel] Valls était complice des dictateurs », affirme-t-il.
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Comme la grande majorité des chefs d’Etat d’Afrique francophone et de leurs opposants sans cesse en séjour à Paris, Jean Ping reste tourné vers l’ancienne puissance coloniale dont il attend soutien, réconfort et considération. Quitte à rêver que Paris lui donne les clés du pouvoir qui lui estime lui être dû. « Au Gabon et dans les autres anciennes colonies, on parle français et pas chinois, lâche ce métis sino-gabonais. La France est notre plus lointain voisin. Ma vision est bonne pour la France et pour l’Europe. »
Lorsqu’il était président de la commission de l’Union africaine (2008-2012), Jean Ping s’était opposé à la France de Nicolas Sarkozy et à son intervention, en 2011, en Libye avec son allié britannique, rejoints par des discrets éléments des forces spéciales des Emirats arabes unis, de Russie et d’ailleurs. Devenu leader de l’opposition gabonaise, il méprise désormais l’organisation panafricaine. Il se méfie de son actuel président, le Guinéen Alpha Condé. Le logiciel de Jean Ping semble être celui d’une Françafrique douillette, dont il est un rescapé. Sa France à lui est celle de Jacques Chirac et, veut-il croire, d’Emmanuel Macron.
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« J’ai examiné Macron sous l’angle de ses déclarations qui vont dans le sens que nous souhaitons. Il va même très loin à parler de la monnaie, à permettre aux anciennes colonies de sortir de la zone franc CFA. Macron fait déjà un peu pour le Gabon. Je pense qu’il fera plus encore. Sa politique de moralisation de la vie publique, de réforme des institutions… C’est conforme à notre vision », dit-il, satisfait de ses entretiens à l’Elysée et à Matignon mercredi 12 juillet.
– A Paris, le cabinet de l’avocat Robert Bourgi, ancien conseiller d’Omar Bongo, est-il toujours un passage obligé pour un opposant gabonais ?
– Robert Bourgi règle ses comptes avec Ali Bongo. Tant qu’il veut régler ses comptes, on est en harmonie. »
Qu’importe si Robert Bourgi reste proche de son « ami » Nicolas Sarkozy. Jean Ping est prêt à tout pour faire valoir son droit à présider son pays, même à mourir, martèlent ses partisans.
« Pénétration djihadiste »
C’est un secret de polichinelle : Ali Bongo a sans doute truqué cette élection d’août 2016, condamnée par la communauté internationale. Des violences avaient éclaté. Le quartier général de Jean Ping, à Libreville, avait été pris d’assaut par les forces de sécurité le 31 août, tirant à balles réelles. Plusieurs plaintes ont été déposées en France et aux Etats-Unis par des victimes et des témoins.
Fin juin 2017, trois experts de la Cour pénale internationale (CPI) ont achevé leur mission préliminaire à Libreville – à la demande du pouvoir gabonais – sur les violences post-électorales censées permettre au procureur de décider ou non d’ouvrir une enquête pour « crime contre l’humanité ». A Paris, Wahsington et Genève, où il s’est entretenu mardi avec le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Jean Ping appelle à des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre le régime d’Ali Bongo, des sanctions similaires à celles qui visent ministres et responsables sécuritaires en République démocratique du Congo (RDC).
« Beaucoup de dirigeants tripatouillent les élections en Afrique, mais Ali Bongo a été pris la main dans le sac. Tout le monde sait qu’il a triché. Les Nations unies, l’Union européenne, l’Union africaine doivent faire éclater la vérité et trouver une solution à ce problème.
– Aujourd’hui, quelle est votre stratégie ?
– On s’appuie entièrement sur les recommandations de la communauté internationale et on souhaite que ce régime soit puni, sanctionné, asphyxié. On les informe de la situation et on les met en garde, y compris sur des questions ayant trait au djihadisme.
– Il y a des djihadistes au Gabon ?
– Le Gabon est à 95 % chrétien avec une culture animiste. Quand Ali Bongo prend position en faveur de l’Arabie saoudite contre le Qatar, on pense que ce n’est pas notre guerre. Lui est musulman et fait venir massivement des Maliens musulmans à qui il donne des papiers pour qu’ils votent pour lui. Il est le vecteur de la pénétration djihadiste dans notre espace, en Afrique centrale. C’est un risque. »
Chauvin à la limite du racisme
Parfois, Jean Ping dérape, au risque d’attiser les haines et de stigmatiser des communautés ouest-africaines installées au Gabon. C’est peut-être le côté vieille France du « président élu » gabonais, chauvin à la limite du racisme sans s’en rendre compte, ignorant de l’islam et de son rite malékite, l’une des écoles les plus tolérantes du sunnisme, que suit Ali Bongo sous influence de son ami d’enfance, le roi du Maroc Mohammed VI. Jean Ping ne veut pas le savoir. Agiter la menace djihadiste, ça parle aux Occidentaux, se dit-il.
« Ali Bongo va partir. Je vous le dis. Comment ? Je le sais mais je ne vous le dirai pas. Ali Bongo a un problème avec le peuple gabonais parce qu’il a tué, il a triché, il pille le Gabon et se comporte comme un monarque voyou. Le peuple le fera partir », assure-t-il de sa voix calme recouverte des mélopées jazzy du bar du palace parisien.
– Comment vivez-vous à Libreville ?
– Je continue à manger du poisson salé, un de mes repas préférés. Je mange aussi du manioc et les autres plats locaux que j’aime. Je ne mange pas de caviar. Ma maison est entourée de camions de police depuis un an ou deux, nuit et jour. Ils sont là pour me protéger ou pour m’agresser, je ne sais pas, mais ils sont là. »
A Libreville, lorsque Jean Ping passe devant l’imposant et luxueux palais présidentiel du bord de mer, il ne peut s’empêcher de penser à son destin. « Je me dis que c’est moi qui aurais dû être là, que c’est moi qui devrais être là et que c’est moi qui serai là », lâche-t-il avec certitude. A Paris, Jean Ping incarne l’espoir d’une alternance pour une diaspora usée par le régime d’Ali Bongo. « Bon courage, papa ! »