Ce vendredi 4 août, près 7 millions de citoyens rwandais sont appelés aux urnes pour la présidentielle. Face au tout puissant président sortant Paul Kagame, deux candidats d’opposition : Frank Habineza et Philippe Mpayimana. L’issue du scrutin laisse peu de place au suspense et une large victoire du président Kagame est attendue. Ce dernier n’a d’ailleurs pas hésité à affirmer lors de son premier meeting de campagne que « l’élection est jouée » depuis le référendum l’autorisant à briguer ce 3e mandat. Le parti au pouvoir contrôle d’une main de fer l’espace politique depuis 23 ans, mais c’est aussi une puissance économique, notamment grâce à son bras financier, Crystal Ventures.
Crystal Ventures est né en 1995 sous le nom de « Tristar » un an après la prise de pouvoir du FPR de Paul Kagame qui venait de renverser le régime extrémiste ayant déclenché le génocide. A l’époque, les caisses de l’Etat sont vides et rares sont ceux à oser investir dans le pays. Le FPR crée alors sa propre société pour stimuler l’économie.
23 ans plus tard, les actifs de Crystal Ventures sont estimés à quelque 500 millions de dollars. Le fonds d’investissement est le premier employeur privé du pays et est présent dans presque tous les secteurs, de l’agroalimentaire à la sécurité privée en passant par le BTP. Cette mainmise lui attire des critiques, même si les autorités se défendent de tout favoritisme, par exemple dans l’octroi de marchés publics.
Si Wellars Gasamagera le porte-parole du FPR, assure que le parti finance sa campagne présidentielle essentiellement avec les contributions de ses membres, en 2014 dans une interview à Jeune Afrique Jack Kayonga, le patron du fonds, n’avait pas exclu que les dividendes versés par la société alimentent les campagnes électorales.
Face à la puissance économique du FPR, impossible pour les deux petits candidats d’opposition de faire le poids. De plus, en raison de règles électorales très strictes, ils n’ont eu qu’une semaine pour lever des fonds avant le début de la campagne électorale.
Invité Afrique, Florent Geel (FIDH): «Il faut plus de démocratie» au Rwanda
Vendredi 4 août se tient une élection présidentielle au Rwanda. Ce scrutin est sans suspense, car, il y a deux ans, Paul Kagame a fait modifier la Constitution afin de pouvoir briguer un 3e mandat. Officiellement, le président rwandais n’a que deux adversaires, l’opposant Frank Habineza et l’indépendant Philippe Mpayimana. Mais quelle est la situation des autres opposants au régime ? Florent Geel est le responsable du bureau Afrique de la FIDH, la Fédération internationale des droits de l’homme. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Un opposant autorisé à se présenter, en l’occurrence Frank Habineza du Parti démocratique vert, c’est un signe d’ouverture ou c’est juste un trompe-l’œil ?
Florent Geel : C’est probablement un trompe-l’œil puisque le Parti vert, leur vice-président a quand même été décapité, exécuté en 2010. Donc c’est manifestement une démocratie multipartite pour la forme malheureusement et c’est bien dommage, car le Rwanda a des atouts en termes de développement. De surcroît, ce miracle économique, on a vu qu’une partie de ce miracle est basée sur des expropriations qui datent de l’époque de l’après-génocide des Tutsis au Rwanda et qui a favorisé une classe dirigeante du régime en place. Et cette tension au niveau des propriétés est aujourd’hui manifeste et on peut craindre un retour de bâton dans les prochaines années. Ce n’est pas notre souhait, la FIDH et ses organisations membres avaient dénoncé la préparation du génocide des Tutsis au Rwanda, ce n’est pas pour aujourd’hui prôner un divisionnisme, comme pourrait nous en accuser le président Kagame, mais pour conserver les acquis économiques de santé, de développement du Rwanda d’aujourd’hui. Il faut plus de démocratie. Les citoyens rwandais sont probablement matures pour le faire.
Quand certains journalistes rwandais de Kigali disent que la véritable opposition n’est pas autorisée à participer à l’élection, vous êtes d’accord avec eux ou pas ?
Oui, en grande partie. Ce qui est très compliqué au Rwanda, c’est qu’une partie de l’opposition est effectivement une opposition radicale qui ne s’est probablement pas remise de l’idéologie qui était véhiculée au moment du génocide des Tutsis au Rwanda. Alors sans soutenir évidemment les génocidaires, bien au contraire, il faut pouvoir aussi laisser s’exprimer une opposition qui peut être même radicale et puis surtout laisser s’exprimer cette opposition qui elle est constructive et demande simplement des transitions politiques.
Parmi les partis politiques interdits, il y a les Forces démocratiques unifiées (FDU). Quelle est la situation des principaux leaders de ce parti ?
C’est le parti de Victoire Ingabire, un certain nombre d’entre eux ont été arrêtés ou font l’objet de poursuites judiciaires. Il est évident que c’est exactement la situation du parti dont je parlais tout à l’heure, c’est-à-dire que les FDU sont un parti d’opposition, qu’ils ont droit à la liberté d’expression. Leur idéologie peut paraître ambigüe par rapport à la question du génocide, et en même temps, ils posent un certain nombre de questions. Et en tout cas, il est très clair qu’avec le cas des FDU, on voit très bien que la liberté d’expression n’est même pas limitée comme ça peut l’être dans plein d’autres pays, mais est complètement confisquée. Alors le FDU n’est qu’un faux nez d’un certain nombre de problèmes, c’est-à-dire que des partis bien plus modérés et pondérés, le Parti vert notamment, sont tout aussi interdits. Et c’est là qu’on voit que sous prétexte d’anti-divisionnisme, sous prétexte de limiter l’impact de l’idéologie génocidaire, qui serait restée dans certaines familles politiques, en fait, on empêche tout le monde de parler. Et c’est ça le drame aujourd’hui du Rwanda.
Victoire Ingabire est donc en prison depuis sept ans et doit normalement y rester encore huit ans. L’une de ses grandes fautes, aux yeux de la justice rwandaise, c’est d’avoir demandé que les auteurs de crimes contre les Hutus soient poursuivis. En quoi est-ce un délit au Rwanda ?
C’est perçu comme divisionnisme. C’est-à-dire que, évoquer des ethnies au Rwanda, évoquer la possibilité d’une répartition du pouvoir par ethnie ou considérer que les Hutus auraient pu être victimes du génocide au Rwanda également – alors que c’était un génocide dirigé contre les Tutsis – est un crime. Donc au nom de la lutte contre le génocide des Tutsis, on empêche toute expression aussi sur l’histoire puisque nous, on se souvient très bien, que nous avons dans un grand ouvrage, réalisé à l’époque avec Human Rights Watch également et Alison Des Forges, expressément dit que nous pensions qu’il y avait eu 70 000 exécutions au Rwanda à la suite du génocide des Tutsis au moment où le FPR [Front patriotique rwandais] reprenait le pouvoir au Rwanda, on a estimé à environ 70 000 le nombre d’exécutions sommaires…
Contre des Hutus…
Contre des Hutus, mais pas uniquement contre des Hutus. Mais en niant ces crimes, qui étaient effectivement massifs, on fait le lit des théories complotistes, des théories révisionnistes. Et c’est là, je dirais, la limite du système autoritaire et de verrouillage de l’information et des faits historiques du gouvernement rwandais, c’est en fait alimenter ce qu’il cherche à combattre, c’est-à-dire le divisionnisme.
Cette répression que vous pointez, vous FIDH au côté de Human Rights Watch et d’Amnesty International, est-ce qu’elle est dénoncée aussi par les pouvoirs politiques ou est-ce que vous vous sentez un petit peu seuls quelquefois ?
Alors elle l’est de plus en plus. Evidemment avec le rôle qu’a joué la communauté internationale dans le laisser-faire au moment du génocide des Tutsis, pendant plus de vingt ans, la communauté internationale s’est réduite au silence par culpabilité. Mais à la suite de nos déclarations, que j’estime courageuses parce qu’on était effectivement très seuls, la communauté internationale commence aujourd’hui à durcir un peu le ton avec le Rwanda, comprenant que la culpabilité n’est pas une position. Sans donner des bons ou des mauvais points, il n’en demeure pas moins que le Rwanda ne pourra pas continuer à se développer sans un minimum de démocratie. Surtout ce qui est à mentionner, c’est que le président Kagame a des solutions très intéressantes pour l’Afrique, des solutions africaines aux problèmes africains, et que dès que ça dérange un peu son pouvoir, alors là il n’y a plus de solution africaine qui tienne. Je reviens un petit peu sur le cas Victoire Ingabire : ses défenseurs ont saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui est donc un organe de l’Union africaine pour tout citoyen, et le Rwanda avait d’ailleurs ratifié cette cour permettant aux citoyens et aux ONG de la saisir en cas de différend avec l’Etat. Dans le cas de Victoire Ingabire, ses défenseurs ont saisi cette cour et au lieu d’aller plaider devant cette cour, le gouvernement rwandais s’est retiré de cette cour. Or c’est le développement d’un système de justice africaine. Donc vous voyez que les intérêts particuliers du président Kagame se fracassent contre les principes, dès lors qu’ils ne remplissent pas ses intérêts politiques.
Par RFI