Figure emblématique du très connu mouvement citoyen La Lucha, Gloria Sengha symbolise une jeunesse qui ne veut pas baisser les bras face au régime Kabila.
Face à la faiblesse apparente d’une opposition en panne de stratégies, les mouvements citoyens se montrent plus déterminés à accentuer la pression sur les autorités congolaises pour la tenue des élections censées tourner la page du président Joseph Kabila, dont le second et dernier mandat a expiré en décembre 2016. Si la Constitution n’autorise pas le chef de l’État à être candidat à sa propre succession, il semble néanmoins user de manœuvres dilatoires pour rester le plus longtemps possible au pouvoir, sans élections. L’attitude de Joseph Kabila inquiète les mouvements citoyens, parmi lesquels La Lucha (lutte pour le changement) dont Gloria Sengha Panda Shala est l’une des figures emblématiques.
L’explication d’un engagement
« Mon engagement militant remonte à 2009. Mais c’est l’élection de 2011, émaillée d’incidents, qui m’a poussée à devenir ce que je suis aujourd’hui. Je pense vraiment que, lors de ce scrutin, le peuple n’avait pas élu la personne qui a été officiellement déclarée vainqueur. Il y avait de la tricherie. Ce scandale m’a confortée dans mes convictions : je me suis résolue à me battre pour que la démocratie s’enracine dans ce pays et que la volonté des électeurs soit respectée », explique-t-elle. Son engagement lui a fait perdre certains amis, qui se sont éloignés d’elle. Ses parents ont tenté de la « raisonner ». En vain. Ils ont évolué : ils acceptent aujourd’hui, de bonne grâce, la voie qu’elle a choisie, tout en lui donnant au besoin des consignes de prudence.
Quid de La Lucha ?
La Lucha, créée en 2012, dans la ville de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, est aujourd’hui représentée un peu partout sur le territoire national. Elle se singularise par la jeunesse de la grande majorité de ses membres, dont l’âge oscille entre 18 et 35 ans. Des seniors gravitent discrètement autour de cette structure, sans pour autant s’afficher lors de manifestations. Dépourvu d’une équipe de direction, le mouvement n’a ni structure pyramidale ni président. Il entend obtenir des autorités l’organisation d’une élection présidentielle crédible et une certaine normalisation de la vie politique dans le pays.
Une vraie conscience du danger
À 24 ans, Gloria Sengha affiche un courage peu commun. Diplômée (licence en droit) de l’université de Kinshasa depuis l’année passée, la jeune femme, qui se destine à une carrière d’avocate, n’a pas sa langue dans sa poche dans un environnement où des voix discordantes sont muselées, et les manifestations réprimées dans le sang par une police qui n’hésite pas à tirer dans le tas, en toute impunité, pour disperser les protestataires hostiles au président Joseph Kabila. Mais il en faudrait un peu plus pour dissuader notre militante de poursuivre le combat. « Je n’ai pas peur. Je suis dans mon pays et je n’injurie personne. Je ne commets aucune infraction, même si, au fond de moi-même, je sais que, s’ils décident de m’abattre aujourd’hui, ils le feront. J’en suis pleinement consciente », lâche-t-elle.
L’expérience de l’enlèvement
Manifestement, la jeune femme sait de quoi elle parle : elle a été enlevée en 2016 pas un groupe d’hommes armés non identifiés, en tenue civile, alors qu’elle sortait d’une terrasse de l’ex-avenue du 24-Novembre, dans la commune huppée de La Gombe, où elle venait de deviser avec une militante de Filimbi, un autre mouvement citoyen très en vue dans le pays. « J’ai été jetée dans une Jeep et embarquée vers une destination inconnue. J’ai été torturée dans le véhicule. Je me suis retrouvée au bout du compte au camp Tshatshi (camp militaire situé sur les hauteurs de Ngaliema, où habitait l’ancien chef de l’État, le maréchal Mobutu). J’y ai passé douze jours avant d’être relâchée. J’ai été menacée de mort. Mais, après tout, je n’ai pas été surprise. Je connais les méthodes du système. J’ai considéré cet épisode comme une étape normale, qui me restait à franchir, dans cette vie de combat que j’ai librement choisi de mener », révèle-t-elle.
La foi d’un combat juste
Et si Kabila rempilait ? Et si les mouvements citoyens échouaient à atteindre leurs objectifs ? « Nous sommes convaincus de la justesse et de la noblesse de notre combat, dans l’intérêt supérieur de la nation congolaise. Nous nous battons pour la République démocratique du Congo, ce pays auquel nous sommes très attachés. Nous sommes confiants en la victoire. Aussi longtemps que ce système se comportera en dictature, nous allons multiplier les stratégies pour arriver à atteindre notre objectif primordial qui est le changement », explique Gloria Sengha.
Toutefois, la vie de La Lucha n’est pas un long fleuve tranquille. Les obstacles de toutes sortes se dressent sur son chemin. L’horizon ne s’est pas encore éclairci. Loin de là. « Il est vrai qu’on ne nous laisse pas d’espace pour nous exprimer. Mais cela ne nous décourage pas pour autant. Nous sommes lucides sur les difficultés auxquelles nous faisons face. Certaines personnes prétendent marcher sous la bannière de La Lucha, alors qu’elles n’en font pas partie. La Lucha est une et indivisible. Même si ce mouvement a une sorte de leadership horizontal, nous savons en interne qui est qui et qui fait quoi », soupire la jeune femme, avant d’ajouter : « Les imposteurs qui utilisent abusivement le label Lucha, alors qu’ils ont été achetés, tentent de noircir notre image. C’est une machination du pouvoir que nous dénonçons vigoureusement. Le pouvoir fabrique ces pseudo militants de la Lucha pour nuire à notre image et discréditer notre combat. En réalité, il n’y a jamais eu une aile dissidente au sein de notre mouvement. » La Lucha s’inspire des-mouvements similaires qui opèrent dans d’autres pays africains, comme Y en a marre, initié par des rappeurs et des journalistes sénégalais, et Le Balai citoyen, porté par la jeunesse du Burkina Faso. Ces organisations étrangères ont abondamment recours aux réseaux sociaux pour faire passer leur message. La Lucha, aussi.
« Les réseaux sociaux sont un important outil de communication pour nous qui n’avons pas assez de moyens pour passer dans les médias traditionnels. Cela nous permet de communiquer et d’atteindre plus de monde à moindre coût », souligne-t-elle, tout en tempérant son propos. « Je note tout de même qu’en Afrique du Sud l’ANC a mené avec succès sa lutte contre l’apartheid à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas. Malgré tout, cette lutte a été d’une redoutable efficacité. »
Et demain ?
Gloria Sengha a-t-elle choisi de passer le reste de ses jours dans le militantisme ? Son activisme est-il à mettre sur le compte d’une folie de jeunesse, somme toute passagère ? « Je sais à peu près ce qui m’attend et ce que je veux. J’en ai pour dix ans encore. Après quoi, je vais quitter le mouvement citoyen et tout abandonner au sein de cette structure. Je ne serai pas une militante à vie. D’ici là, j’aurai apporté ma pierre à l’édification d’une nouvelle société congolaise, avant de me lancer dans la politique. La politique sera la prochaine phase de ma vie. »
Pour aiguiser sa culture, Gloria Sengha dévore des ouvrages sur la démocratie et des livres d’histoire. Cette passionnée de lecture s’intéresse particulièrement au cheminement de l’Afrique, depuis la nuit des temps jusqu’à aujourd’hui. Quand elle a du temps libre, cette jeune femme élancée joue au basket. Elle raffole de spécialités culinaires locales, comme le fumbwa (feuilles habituellement préparées avec de la pâte d’arachide et du poisson fumé). Ce mets accessible à toutes les bourses est surtout prisé à Kinshasa et dans la province du Kongo central, dans l’ouest du pays, près de la capitale. La musique ne la laisse pas indifférente. Native de Kinshasa, ville de musique par excellence, elle est tombée dedans étant petite. Elle apprécie tout naturellement le ndombolo et la rumba. La montée de la musique nigériane, qui semble s’imposer dans plusieurs capitales africaines, y compris la grande mégalopole congolaise où vivent environ 12 millions d’âmes, l’emballe.