Les habitants de Lomé sont habitués à voir les partisans de l’opposant historique Jean-Pierre Fabre défiler dans les rues. Mais jamais l’opposition n’avait réussi à s’unir comme elle l’a fait mercredi 6 septembre, déclenchant une marée humaine dans la capitale togolaise et révélant une nouvelle figure de proue, Tikpi Atchadam. D’autant que cette même opposition réussit le tour de force de rassembler à nouveau, jeudi, les Togolais en masse dans les rues de la capitale.
Jean-Pierre Fabre, 65 ans, l’homme « infatigable » comme on l’appelle au Togo, qui bat le pavé depuis des années, a toujours été montré du doigt par le pouvoir en place comme un homme « du Sud ». Celui qui amplifie aujourd’hui son mouvement, Tikpi Atchadam, chef de file du Parti national panafricain (PNP), ne pouvait donc venir que du Nord, tout comme le président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, qui a succédé à son père après trente-huit ans de règne sans partage (1967-2005).
Manifestation monstre
Les représentants du Nord se sont toujours traditionnellement rangés derrière le pouvoir, explique à l’AFP Farida Nabourema, militante togolaise, auteure d’un essai, La Pression de l’oppression (éd. Riovas, 2014). « On a toujours donné l’impression au Togo que ce sont les gens du Nord qui gouvernent. Et pourtant le Nord a toujours été négligé en termes d’infrastructures et d’investissements, poursuit-elle. L’opposition se devait de se mettre ensemble pour éliminer l’alibi ethnique. »
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A 50 ans, Tikpi Atchadam, le visage recouvert des scarifications ethniques du Nord, est parvenu à bousculer un échiquier politique quasiment sclérosé après des années de lutte interminable, de dialogue stérile avec le pouvoir et d’attente pour réformer la Constitution. « Ne regardez pas mes balafres », glisse-t-il à l’AFP en recevant dans la cour de sa maison. Il connaît les critiques qui veulent faire de lui un représentant de la minorité musulmane qui ne parle qu’à son groupe, les Tem. « Ecoutez plutôt ce que j’ai à dire. »
Mercredi, à l’issue de la manifestation monstre contre le pouvoir, l’homme avait la parole claire et savait haranguer les foules. Le chef du PNP n’est pas novice du système. Il quitte en 2007 le Parti démocratique pour le renouveau (PDR), où il a débuté très jeune en politique, lorsque son chef se rapproche du pouvoir, puis se retire de la scène publique pour réfléchir à son retour dans l’opposition.
Véritable menace
Le PNP a été créé en 2014, n’a aucune représentation au Parlement togolais et Tikpi Atchadam n’a jamais participé à aucun scrutin présidentiel. Il a construit sa base populaire dans sa ville, Sokodé, et sa base financière et diplomatique au sein de la diaspora togolaise, particulièrement importante en Allemagne. Son arrivée fulgurante dans le jeu politique, fin 2016, et le succès des manifestations qu’il a mobilisées le 19 août, ont été un coup de semonce pour le pouvoir.
Mais il est devenu une véritable menace lorsqu’il a demandé du soutien à Jean-Pierre Fabre, le pilier historique de l’opposition, plutôt que de jouer seul, de son audience nordiste. La journée de manifestation du PNP du 19 août, où deux manifestants ont été tués à Sokodé, à 300 km de Lomé, a sans aucun doute été un marqueur dans les esprits.
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Jean-Pierre Fabre avait lui aussi besoin d’un nouveau souffle. La journée « ville morte », fin août, à l’appel de plusieurs partis d’opposition, dont l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre et le PNP, pour célébrer la mémoire des deux militants morts, a déjà été une petite victoire mutuelle.
Mais, si tout le monde s’attendait à une grande affluence aux manifestations du 6 septembre, personne n’aurait imaginé voir défiler des dizaines de milliers de personnes – plus de 100 000 selon Amnesty International, un million selon l’opposition – à Lomé et des milliers d’autres dans les villes secondaires du Togo.
Contre « cinquante ans de Gnassingbé »
Les dizaines d’arrestations et les condamnations de quinze personnes – dont le secrétaire général du PNP – à de la prison ferme pour « rébellion, dégradation, violences volontaires ou voies de fait » après les manifestations d’août ne semble pas faire peur au charismatique Atchadam. « Marchez ! C’est vous qui allez libérer le régime », a-t-il lancé mercredi à une foule impressionnante, pour lui donner rendez-vous le lendemain. « Vous avez toujours demandé l’unité de l’opposition, elle est là. Du plus jeune au plus vieux, on est là. »
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M. Atchadam a adressé son discours bien campé dans des baskets confortables, tout comme son désormais partenaire Jean-Pierre Fabre, qui attendait son tour pour s’adresser à ses supporters en colère contre « cinquante ans de Gnassingbé ».
Assis en tailleur dans la poussière et sous une chaleur de plomb, les partisans de l’ANC restent clairs : « “Tikpi” est là, nous le soutenons, mais Fabre reste notre président », souffle l’un d’eux. Interrogé sur son programme politique, M. Atchadam reste flou, assurant qu’il le dévoilera « en temps voulu ». « Pour l’instant, la priorité est notre unité d’action. Demain, lorsque la démocratie sera installée, chaque parti jouera sa carte », promet-il.
Le Monde.fr avec AFP
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Nouvelle manifestation de masse à Lomé à l’appel de l’opposition
Une foule massive a de nouveau répondu à l’appel de l’opposition dans les rues de Lomé jeudi, deuxième journée de mobilisation pour réclamer une alternance politique et des réformes, après 50 ans de pouvoir de la même famille au Togo.
Les manifestants ont commencé à marcher dans le calme avec des sifflets et des drapeaux du Togo en fin de matinée, protestant contre le régime du président Faure Gnassingbé, qui a succédé il y a douze ans à son père, lui-même resté au pouvoir près de quarante ans.
D’importantes forces de sécurité ont été déployées aux carrefours stratégiques de la capitale.
“Nous allons rester dans la rue jusqu’à ce qu’il nous écoute. Nous voulons que Faure rétablisse la Constitution de 92 et qu’il s’en aille”, a affirmé un manifestant, Jonas Badagbon, 29 ans, à l’AFP.
“Je connais la même famille depuis que j’ai 14 ans, libérons le Togo pour que ces enfants voient autre chose. Nous sommes fatigués. Trop c’est trop”, a renchérit une autre manifestante, Agnès, 64 ans.
L’opposant historique Jean-Pierre Fabre défilait à pied au milieu du cortège, encerclé par une chaine humaine.
“Nous n’écoutons pas assez la population. Aujourd’hui nous demandons de l’écouter et d’écouter ses souffrances”, a-t-il déclaré durant la marche.
Internet toujours coupé
“Bring back our internet #Togo“, réclamaient des internautes togolais sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, qui restaient accessibles par intermittence via wifi à Lomé.
L’organisation Internet Sans Frontières, dans un communiqué publié mercredi, a condamné “avec la plus grande fermeté cette atteinte à la liberté d’expression en ligne des citoyens togolais”, demandant aux autorités “d’user des voies conformes au droit international pour assurer un équilibre entre la protection des libertés, notamment la liberté d’expression, et la préservation de l’ordre public”.
Selon le directeur d’Amnesty international au Togo, Aimé Adi, joint par l’AFP, Internet et les réseaux de téléphonie mobile étaient par ailleurs totalement coupés jeudi dans plusieurs villes du nord du pays.
Le ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement, Gilbert Bawara, avait confirmé la veille sur plusieurs radios locales que le gouvernement se réservait le droit d’imposer des restrictions à l’accès à internet.
Mercredi, une marée humaine de partisans de l’opposition (plus de 100.000 selon Amnesty International, un million selon des opposants) ont défilé à Lomé et dans plusieurs villes du Togo pour réclamer une alternance politique et des réformes.
Avec AFP