Des juges suspectés et contestés, ces verdicts annoncés mais retardés, les affaires mises en délibéré qu’on décide de reprendre à zéro… La polémique enfle sur la haute juridiction et sur les nouveaux hommes qui y ont été nommés.
Par Eitel Elessa Mbassi, Le Jour
Rebelote générale. Urbain Olanguena Awono s’y est aussi mis. Hier, 23 juin, l’ancien ministre de la Santé publique a récusé Jean-Pierre Mvondo Evezo’o, président de la section spécialisée de la Cour suprême et Jean-Claude Robert Foe, membre de cette instance de la Cour suprême. Celle-ci juge en dernier ressort les personnes impliquées dans l’opération Epervier, qui ont formé pourvoi en cassation des décisions de condamnation du Tribunal criminel spécial.
Olanguena Awono a donc refusé d’être jugé par ces deux magistrats. Il leur reproche, à son tour, d’avoir mené l’accusation contre lui lorsqu’ils dirigeaient le parquet de la Cour d’appel du Centre (Jean Claude Robert Foe a succédé à Jean-Pierre Mvondo Evezo’o comme procureur de la Cour d’appel du Centre, Ndlr). Et que de ce fait ils ne sont pas à même de connaitre son affaire comme juge de jugement, doutant ainsi de leur impartialité. Ses anciens collègues du gouvernement, poursuivis et placés derrière les barreaux, l’ont précédé dans cette démarche il y a quelques mois.
Le 24 avril 2015, Me Alice Nkom, l’une des avocates de Marafa Hamidou Yaya, écrit au président de la République, au ministre de la Justice et au premier président de la Cour suprême. Me Alice Nkom fait savoir que Jean Pierre Mvondo Evezo’o a connu de l’affaire Marafa lorsqu’il était procureur général de la Cour d’appel du Centre où il a supervisé l’accusation pendant les auditions de l’ancien ministre d’Etat. Au sujet de Jean Claude Robert Foe, qui a remplacé Jean Pierre Mvondo Evezo’o comme procureur de la Cour d’appel du Centre, Me Alice Nkom, soulève le fait qu’il a supervisé les réquisitions du ministère public qui ont abouti à la condamnation de son client à 25 ans de prison. Me Alice Nkom accuse alors de « partialité » ces magistrats qui devront connaitre de la même affaire Marafa devant la Cour suprême.
Paul Biya
Dans le même ordre d’idées, depuis Paris,Me Michael Buhler et Me Dominique Inchauspé, les avocats d’Yves Michel Fotso ont saisi le premier président de la Cour suprême. « Vous avez désigné les membres de la section spécialisée qui auront notamment à connaître du pourvoi formé par Monsieur Yves Michel Fotso contre la décision de condamnation de 25 ans de prison rendue par le Tribunal de grande instance du Mfoundi, le 21 et le 23 septembre 2012. Il convient cependant de constater que Monsieur Jean Pierre Mvondo Evezo’o occupait le poste de procureur général près la Cour d’appel du Centre lors du placement en détention provisoire de Monsieur Yves Michel Fotso. Il a supervisé l’accusation, et plus particulièrement les auditons au cours de l’enquête préliminaire.
Il est donc incontestable que Jean Pierre Mvondo Evezo’o a joué un rôle prépondérant dans le cadre de la procédure pénale initiée à l’encontre de Monsieur Fotso. Il en est tout à fait de même concernant Monsieur Jean Claude Robert Foe qui, quant à lui, a supervisé les réquisitions du ministère public au cours de la phase de jugement qui ont conduit à la condamnation de Monsieur Fotso. En conséquence, Messieurs Jean Pierre Mvondo Evezo’o et Jean Claude Robert Foe qui ont déjà connu de cette procédure ne peuvent en aucun cas siéger au sein de la section spécialisée de la Cour suprême dont l’impartialité ne serait plus garantie, sans violer la loi camerounaise et les traités internationaux », écrivent les conseils français de Yves Michel Fotso.
Comme s’ils s’étaient passés le mot, le 30 avril 2015, c’est au tour de l’avocat de Jean-Marie Atangana Mebara, Me Claude Assira démonter au créneau. Dans un style propre à lui, il choisit plutôt d’adresser une lettre ouverte au président de la République. Sa deuxième du genre. « Comment expliquer que lorsque la plus haute juridiction de ce pays fait une proposition d’arrêt susceptible d’être favorable à un accusé, la machine et les moyens colossaux de l’Etat sont mis en oeuvre pour empêcher cette occurrence (modification de la composition de la juridiction, mise à l’écart martiale de magistrats irréprochables, compétents et audacieux, etc.) ? » Le 5 mai 2015, Me Claude Assira a adressé au premier président de la Cour suprême, une demande en récusation de Jean-Pierre Mvondo Evezo’o et de Jean-Claude Robert Foe. Elle est intervenue quelques jours après que Mvondo Evezo’o et sa collégialité ont décidé de sortir l’affaire Atangana Mebara du rôle général de la Cour suprême et de reprendre l’affaire à zéro alors qu’on attendait le verdict annoncé cinq mois plus tôt et jamais rendu.
Dipanda Mouelle
Les suspicions montent lorsque vendredi dernier, 18 juin, la Cour suprême décide de rabattre le délibéré de l’affaire Paul Eric Kingue pourtant annoncé pour être rendu ce jour-là. Lors de la précédente audience, le parquet général de cette juridiction s’appuyant sur le rapport du conseiller Zibi Nsoe, avait demandé que l’ancien maire de Njombé-Penja soit acquitté. Mais les juges exigent les originaux de certains documents de procédure, comme préalable pour rendre leur décision. La défense de Paul Eric Kingue y voit des manœuvres pour le maintenir en prison. «La Cour suprême n’évolue pas dans un désert.
Les contingences politiques peuvent amener qu’elle aille dans un sens plutôt que dans l’autre. C’est la loi du plus fort. Tant que le pouvoir judiciaire ne sera pas autonome, la justice ne sera jamais équitable. Vous n’avez qu’à voir, c’est le président de la République qui nomme les magistrats.C’est encore lui qui déclenche les poursuites contre les personnalités poursuivies dans le cadre de l’opération Épervier. A partir de ce moment-là, le processus ne peut qu’être biaisé », analyse un avocat généralement constitué par l’Etat du Cameroun dans les dossiers de l’opération Epervier. Il relativise toutefois : « Je crois quand même qu’il est prématuré de se prononcer sur cette « nouvelle » cour suprême ».
Dans cette vague de critiques comment ne pas reparler de l’affectation de Jean Jacques Bikoue au centre de documentation du ministère de la Justice ? Conseiller d’alors à la Cour suprême, il avait proposé l’acquittement de Jean-Marie Atangana Mebara. Comment ne pas reparler de la nomination à la tête de la section spécialisée de la Cour suprême de Jean-Pierre Mvondo Evezo’o qu’on a préféré à Marc Ateba Ombala qui avait acquitté Edouard Etonde Ekoto lorsqu’il dirigeait cette instance ? Comment ne pas reparler enfin du départ d’Alexis Dipanda Mouelle de la Cour suprême. Un départ à la retraite (officiellement) davantage perçu comme une « mise à l’écart ». Après plus de 25 ans à la tête de la haute juridiction, le haut magistrat s’en est allé sans avoir eu droit au moindre honneur comme cela avait été le cas pour son prédécesseur Marcel Nguini. Etaient-ils devenus incontrôlables pour le pouvoir exécutif ?
© Le Jour : Eitel Elessa Mbassi