Cette fois, le prince Al-Walid ben Talal ne fait pas la Une pour une extravagance ou un tweet acerbe sur Donald Trump: ce milliardaire haut en couleur fait partie des personnalités arrêtées en Arabie saoudite dans une vaste opération anticorruption.
Classé parmi les plus importantes fortunes du monde, cet homme d’affaires de 62 ans est le petit-fils de deux figures historiques du monde arabe: le roi Abdelaziz al-Saoud, fondateur de l’Arabie saoudite, et Riad al-Solh, premier chef de gouvernement de l’histoire du Liban.
Après des études de commerce et de sciences sociales aux Etats-Unis, le prince Al-Walid a fait sa première apparition dans le monde politico-économique à la fin des années 1980 lorsqu’il a commencé à construire ce qui est devenu un empire mondial comprenant des banques, des hôtels de luxe et des médias.
Il a cultivé ces dix dernières années l’image d’un investisseur rusé, partisan d’une modernisation de l’Arabie saoudite. Il est apparu plus récemment comme un pourfendeur du nouveau locataire de la Maison Blanche, Donald Trump.
En décembre 2015, il s’en était vivement pris à M. Trump pour avoir proposé, alors qu’il était en campagne pour les primaires républicaines, d’interdire aux musulmans d’entrer aux Etats-Unis.
“@realDonaldTrump Vous êtes une honte, non seulement pour le GOP (parti républicain), mais aussi pour toute l’Amérique”, avait écrit le neveu du roi Salmane d’Arabie saoudite.
“Le stupide prince @Alwaleed_Talal veut contrôler nos hommes politiques américains avec l’argent de son papa”, avait rétorqué M. Trump.
A l’opposé, son cousin, le jeune prince héritier Mohammed ben Salmane, homme fort de l’Arabie saoudite qui a joué un rôle clef dans la purge actuelle, est un allié de M. Trump.
– Franc-parler –
L’annonce de l’arrestation du prince milliardaire n’a pas tardé à faire des remous sur les marchés financiers.
Le cours des actions de Kingdom Holding Company, la société internationale d’investissements que le prince Al-Walid détient à 95%, a chuté dimanche de 9,9% à l’ouverture de la Bourse de Ryad avant de terminer la séance à -7,6%.
Le groupe a affirmé dans un communiqué être “au fait” des développements en cours tout en assurant que les affaires se poursuivaient.
La Kingdom Holding Company possède notamment le célèbre hôtel de luxe George-V sur les Champs-Élysées à Paris. Le prince Al-Walid, connu pour son franc-parler, possède aussi des actions dans le réseau social Twitter et le studio de cinéma américain 21st Century Fox.
Le magazine Forbes estime que le prince pèse 18,7 milliards de dollars (16,1 Mds EUR), ce qui le met à la 45e place de son dernier classement des fortunes mondiales.
Al-Walid est aussi philanthrope: La fondation “Alwaleed Philanthropies” s’engage notamment à activer ses réseaux pour financer notamment des projets d’énergies renouvelables en Afrique.
Défenseur des droits des femmes, il avait lancé en novembre 2016 un vibrant appel pour que les femmes obtiennent le droit de conduire et déploré “le coût économique” de l’interdiction de volant pour les Saoudiennes. Près d’un an plus tard, son appel a été entendu.
Preuve de son engagement et en guise de défi à une société saoudienne qu’il juge trop conservatrice, il avait dit avoir financé une formation de pilotage pour une femme aspirant à devenir pilote.
Si en surface, Al-Walid et Mohamed ben Salmane semblent partager les mêmes idées, notamment sur les questions de société, des rumeurs circulent depuis longtemps dans les cercles du pouvoir sur une intense rivalité entre les deux cousins.
Dubaï – AFP
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Périlleuse purge au sommet du pouvoir en Arabie saoudite
La campagne anticorruption déclenchée par le prince héritier saoudien n’est qu’un prétexte et dénote une volonté de pouvoir hégémonique.
Il y a moins de trois ans, l’Arabie saoudite était une monarchie pléthorique et consensuelle, où le roi, issu d’une succession adelphique (de frère en frère) était obligé de composer avec des princes, aussi nombreux que riches et puissants. Aujourd’hui, le royaume des Saoud est en passe de devenir un royaume autoritaire, celui de Mohammed Ben Salman, prince héritier et fils du roi Salman, arrivé au pouvoir à la mort de son demi-frère Abdallah en janvier 2015. Alors que la santé de son père est chancelante, « MBS », surnom du prince héritier, qui a déjà bénéficié d’un bouleversement de l’ordre dynastique en sa faveur, prépare activement la succession.
La vaste campagne d’arrestations lancée samedi 4 novembre en Arabie saoudite entre dans ce cadre. Une cinquantaine de personnalités, dont onze princes et quatre ministres, seront déférées devant la justice pour « corruption ». Le procureur général a averti que d’autres inculpations suivraient.
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Dans un pays où le budget de l’Etat et la cassette professionnelle de la famille royale se confondent, la lutte contre la corruption, invoquée pour mener cette purge, n’est évidemment qu’un prétexte. Elle permet surtout d’écarter les gêneurs et ceux qui ont pu exprimer des réticences face à l’ascension éclair de Mohammed Ben Salman, âgé de seulement 32 ans et sans formation de haut niveau ni expérience du pouvoir, contrairement aux usages en cours jusqu’à présent dans le royaume.
Faire vibrer la fibre populiste
La recette a déjà fait ses preuves en Russie, où Vladimir Poutine a embastillé les oligarques qui ne lui avaient pas fait allégeance à son arrivée au pouvoir, tout comme en Chine, où Xi Jinping a mis au pas les « princes rouges » et les différentes factions au sein du Parti communiste, grâce à une grande campagne de « moralisation » de la vie publique. « MBS », lui aussi, cherche à faire vibrer la fibre populiste au sein de son opinion en lançant cette croisade contre les « corrompus ».
Il avait entamé cette campagne de relations publiques à l’égard de la frange la plus progressiste de la société saoudienne – et des Occidentaux – en autorisant les spectacles et la mixité dans son pays, puis en permettant aux femmes de conduire (à partir de juin 2018) et enfin en annonçant haut et fort sa volonté de promouvoir un islam éclairé. Des prises de position courageuses dans un royaume sous l’emprise d’un clergé ultraconservateur marqué du sceau du wahhabisme.
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Mais la campagne anticorruption qui vient d’être déclenchée est d’une autre nature : ce séisme politique, à l’échelle du royaume, dénote une volonté de pouvoir hégémonique et sans frein dans un pays qui est encore jeune et qui ne compte aucun contre-pouvoir.
Le soutien affiché par Donald Trump à la purge en cours ne peut qu’encourager le prince héritier saoudien à accélérer la cadence. Elle est pourtant déjà vertigineuse, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, avec la guerre au Yémen, lancée en 2015, et la confrontation avec l’Iran chiite, qui connaît des sommets inédits, notamment depuis la démission samedi – semble-t-il sous la contrainte – du premier ministre libanais, Saad Hariri.
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Le risque d’une sortie de route est désormais sérieux, dans un pays qui possède les premières réserves mondiales de pétrole et dont 75 % de la population est âgée de moins de 30 ans.
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