Pour laisser, à leur vice-président le temps de s’habituer au gouvernail de la nation, les chefs d’Etat avaient pris l’habitude, au Botswana, de démissionner, un an avant la fin de leur second mandat. Partir, avant même que ne sonne l’heure. Tout le contraire, décidément, de ce à quoi croît un Robert Mugabe.
Alexis Guilleux : Il n’aura pas fallu une semaine, pour que se mette en place le scénario Bourguiba, qu’ici même, vous évoquiez samedi dernier. Robert Mugabe n’est, de fait, plus le président du Zimbabwe, et l’on peut dire que c’est la faute à sa famille, à son épouse, Grace. Dites-nous que vous n’étiez pas dans le secret des généraux zimbabwéens !
Il n’y avait aucun mérite à pronostiquer une telle fin pour un pouvoir aussi interminable et fatalement finissant. Trente-sept ans, et ils en voulaient encore ! Le leader de l’indépendance de l’ancienne Rhodésie ne pouvait espérer rien de moins déshonorant… Et c’est à cela que se préparent tous ces régimes, encore bien trop nombreux, qui refusent la raison démocratique. Sur ce continent qui aspire à une certaine modernité, on dénombre encore des pouvoirs inscrits dans un fait accompli dynastique. Comme ce que rêvaient d’imposer les Mugabe aux Zimbabwéens, et qu’imposent les Gnassingbé aux Togolais depuis 50 ans, les Bongo Ondimba aux Gabonais, depuis bientôt 50 ans, et les Kabila aux Congolais, depuis deux décennies. La liste des pouvoirs dynastiques aurait pu être plus longue, si les Moubarak avaient eu gain de cause en Egypte, les Khadafi en Libye, et les Wade au Sénégal. Les Zimbabwéens, faut-il l’espérer, viennent d’y échapper à leur tour, mais il faut conclure…
Il n’empêche qu’il existe encore, sur le continent, d’autres pouvoirs sans fin…
Oui, et il faut le déplorer. Le piège est là, encore en place, hélas !, en Guinée équatoriale, où le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, en place depuis… 38 ans, 3 mois et 13 jours – Wikipédia dixit – a, en embuscade, un fils aux moeurs radioactives. Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir, il y a 38 ans, avec une parenthèse démocratique de cinq ans, a, lui aussi, un fils en orbite.
Outre une enclave monarchique, nommée Swaziland, dans le ventre de l’Afrique du Sud, on peut dire que le continent n’a plus aucune autre maladie honteuse à déplorer. Il s’agit, aujourd’hui, pour l’Afrique, de déterminer si elle est disposée à accepter encore longtemps ces quelques anomalies qui la déshonorent. C’est donc une chance inespérée que de voir s’achever le régime de Robert Mugabe, qui se préparait à innover, avec quelque chose de tout aussi malsain que les successions dynastiques : la passation du pouvoir par alliances. Nos certitudes d’espérance, selon la formule du professeur Albert Tévoédjrè, reposent sur le fait que certaines de ces maladies honteuses se résorbent d’elles-mêmes. Ainsi de l’inspiration, courageuse, du président Eduardo Dos Santos, qui a fini, au bout de trente-huit ans de pouvoir, par y renoncer de lui-même, en faveur de Joäo Lurenço, quelqu’un qui n’est pas de sa famille.
Mais, regardez ! En Angola, à peine le successeur désigné s’est-il installé dans le fauteuil que, déjà, il dépossède les enfants du président Dos Santos des positions juteuses qu’ils tenaient. N’est-ce pas là une explication à la réticence de ces pouvoirs de longue durée à céder la place ?
Déposséder n’est peut-être pas le terme approprié. Et c’est une décision très courageuse que celle par laquelle le président Joäo Lourenço a démis Isabella Dos Santos de la présidence de la Sonangol. Car rien, à part la filiation, ne destinait cette estimable personne à un tel poste. Voilà qui nous ramène à ce qui motive ceux qui s’accrochent au pouvoir, dans ces régimes sans fin : la gloutonnerie. Les avantages, les privilèges, les positions juteuses. Généralement… non ! Toujours aux dépens du peuple ! Il fallait un certain courage au président Lourenço pour poser, aussi tôt, un tel acte de rupture avec le népotisme de son prédécesseur. Il faut juste espérer qu’il n’aura pas à le payer, car le président Dos Santos tient certainement encore certains leviers du pouvoir. Mais, pour ceux des Angolais qui le prenaient pour un successeur aux ordres, cet acte est d’une puissance que vous ne pouvez imaginer.
Tout dépend, maintenant, de la sincérité du président Dos Santos ; de son état de santé ; et de son esprit de revanche, s’il en a… Mais, au moins, Joäo Lourenço pourra compter sur le soutien du peuple angolais, qui voulait, lui aussi, en finir avec certaines pratiques.
C’est ici le lieu de rendre hommage à ceux qui ont su quitter le pouvoir d’eux-mêmes, et qui ont eu l’intelligence de s’en aller vraiment, et l’élégance de ne pas chercher à gêner leur successeur. Ce fut le cas, au Sénégal, du président Léopold Sédar Senghor vis-à-vis d’Abdou Diouf, en 1980 ; du président Julius Nyerere vis-à-vis d’Ali Hassan Mwinyi, en Tanzanie, en 1985.
Au Botswana, les chefs d’Etat avaient pris l’habitude de démissionner un an avant la fin de leur second mandat, pour laisser, à leur vice-président, le temps de s’habituer au gouvernail de la nation, avant d’affronter les électeurs. Quett Masire l’a fait pour Festus Mogae, en avril 1998 et ce dernier l’a fait pour Ian Khama, en avril 2008. Les Namibiens aussi le font.
C’est aussi, naturellement, ce qu’a fait l’immense Nelson Mandela, en cédant le pouvoir à Thabo Mbeki, en juin 1999.
Par Jean-Baptiste Placca, Alexis Guilleux – RFI