Il n’allait pas renoncer si facilement. Alors que son éviction du parti au pouvoir, la Zanu-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique), était annoncée dans les médias ce dimanche après-midi, Robert Mugabe a pris tout le monde de court le soir même dans son adresse à la nation.
« Le congrès doit se tenir dans les prochaines semaines. J’en présiderai les débats », a-t-il affirmé. Le débit est lent, mais l’articulation est soignée et le ton reste ferme. À 93 ans, Robert Mugabe, le plus vieux chef de l’État en exercice au monde, ne veut rien céder. Près d’un an plus tôt, le 17 décembre 2016, c’est bien lui qui a été investi par son parti, la Zanu-PF, candidat à la présidentielle de 2018. Sa sixième présidentielle depuis 1990. Il s’y voit donc. Il se voit d’ailleurs président à vie. « Pourquoi trouver un successeur ? » interrogeait, en mars 2016 sur la télévision publique zimbabwéenne, celui qui affirmait vouloir vivre « jusqu’à 100 ans ».
Ses soutiens militaires et politiques le lâchent les uns après les autres ? Son épouse Grace, « programmée » pour lui succéder le moment venu, vient d’être exclue du puissant parti au pouvoir ? La rue l’appelle à démissionner ? Robert Mugabe réplique par un énième pied de nez à ses opposants. Itinéraire d’un ancien chef de guérilla et héros de l’indépendance devenu un despote indéboulonnable.
Héros de l’indépendance
Né le 21 février 1924 et issu de l’ethnie majoritaire shona, Robert Mugabe a grandi chez les jésuites. Il découvre le marxisme vers l’âge de 17 ans, en Afrique du Sud, où il part étudier. Puis il enseigne au Ghana, premier pays africain à avoir connu l’indépendance en 1957. De retour au pays en 1960, il participe à la création de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (Zanu). Emprisonné en 1964, il s’engage dans la guérilla dès sa libération, 10 ans plus tard. En 1976, alors à la tête de la ZANU, il s’allie à Joshua Nkomo, qui dirige l’Union du peuple africain du Zimbabwe, pour former une coalition : le Front patriotique. Ils combattent le gouvernement blanc et ségrégationniste de Ian Smith.
L’Afrique australe est alors en pleine mutation, traversée par les mouvements de libération. Les « États de la ligne de front » s’organisent dans la région contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, tandis que la domination portugaise s’effondre en Angola et au Mozambique en 1975. Le 3 mars 1978, l’accord de Salisbury ouvre la voie à des élections multiraciales en Rhodésie. En 1980, après quinze ans de rébellion contre la colonisation britannique, le pays accède à l’indépendance. Il prend le nom de Zimbabwe. La Zanu triomphe aux législatives et Robert Mugabe devient Premier ministre.
L’exclusion de Nkomo, un premier signe
En 1982, il exclut du gouvernement son rival Joshua Nkomo, chef de l’Union populaire africaine du Zimbabwe (Zapu), et qui représente l’ethnie ndébélé. S’ensuit un conflit entre Shona et Ndébélé qui fait quelque 20 000 morts. Mugabe met fin à la démocratie parlementaire et impose un parti unique, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF). Il supprime le poste de Premier ministre et devient président du Zimbabwe le 31 décembre 1987.
Son projet d’État socialiste se traduit par des programmes d’éducation et de santé destinés à la majorité noire, et par sa proximité avec la Chine, Cuba ou des régimes communistes d’Europe de l’Est. Mais, à la fin des années 80, le pays est plombé par les difficultés économiques. Le leader tiers-mondiste se tourne vers les institutions internationales et ouvre le pays aux investisseurs étrangers. Un vent de libéralisation souffle sur le Zimbabwe, mais l’opposition reste muselée. Robert Mugabe est élu président en 1990 et réélu en 1996.
Le tournant de la crise économique des années 90
À la fin des années 90, le mécontentement gronde sur fond d’aggravation de la crise économique et de défiance à l’égard des dirigeants, accusés de corruption. C’est dans ce contexte qu’émerge, en 2000, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), dirigé par l’opposant Morgan Tsvangirai. La même année, le pouvoir impose par la force sa réforme agraire. Les fermiers blancs sont violemment expropriés et leurs terres sont redistribuées aux anciens combattants. Cette mesure, qui bénéficie surtout aux élites, a des conséquences désastreuses sur l’agriculture. L’ancien « grenier à blé » d’Afrique australe, frappé de surcroît par la sécheresse en 2003, est menacé de famine. Malgré les programmes d’aide alimentaire, « des dizaines de milliers de personnes souffrent de la faim », estime en 2004 l’organisation Amnesty International. L’économie se contracte d’environ 40 % entre 1998 et 2008 et l’hyperinflation atteint des records : fin 2008, un billet de 100 trillions de dollars est imprimé. Des millions de Zimbabwéens fuient leur pays.
Dictature économique puis dictature politique
Sur le plan politique, la répression se durcit. Mugabe remporte la présidentielle de 2002 au terme d’une campagne très violente à l’encontre des militants du MDC. À l’étranger, il devient un paria et est interdit de séjour en Europe et aux États-Unis. Le Royaume-Uni et l’Australie obtiennent, quant à eux, le retrait du Zimbabwe du Commonwealth en décembre 2003, malgré la résistance de l’Afrique du Sud. Si Mugabe conserve des soutiens au sein de l’Union africaine (UA) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), certains pays (Zambie, Botswana, Tanzanie, Kenya, Sénégal ou Nigeria) exprimeront leur désaccord avec le dirigeant zimbabwéen à l’issue de la présidentielle de 2008, marquée par de nouvelles exactions contre les opposants. Mugabe, réélu lors de ce scrutin, acceptera finalement de rétablir la fonction de Premier ministre et de la confier à Morgan Tsvangirai. Mais ce gouvernement d’union ne sera qu’une façade. Les deux hommes se retrouvent face à face en 2013 et Robert Mugabe est déclaré vainqueur dès le premier tour de la présidentielle. Tsvangirai dénonce une « énorme farce ».
Mea culpa autour de la loi d’indigénisation, mais c’est trop tard
En 2015, Robert Mugabe a 90 ans et prend la présidence de l’UA. Il déplore la dépendance de l’organisation aux financements extérieurs, et lui offrira un don en nature : 300 vaches. Mais le père de la nation zimbabwéenne peine à s’imposer en leader anti-impérialiste ou en icône du panafricanisme auprès de ses pairs. L’année suivante, il affronte une contestation phénoménale dans son pays. Une vidéo postée sur Internet par un pasteur d’Harare, Evan Mawarire, déclenche une série de grèves, de manifestations et autres mouvements « anti-Mugabe ». Le pays est plongé dans la misère. Après des décennies de mauvaise gestion, la situation économique et financière n’a cessé de s’aggraver. L’État ne parvient plus à payer ses fonctionnaires et les inégalités s’accroissent. Durant l’été, les manifestations sont sévèrement réprimées.
En octobre 2016, Mugabe se dit prêt à revenir sur la « loi d’indigénisation » lancée 8 ans plus tôt au Zimbabwe, après avoir reconnu que « les conflits dans son interprétation » semaient la confusion chez les investisseurs. Ce programme, inspiré du Black Economic Empowerment mis en place à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, imposait par exemple aux compagnies minières étrangères de reverser 51 % de leurs actifs à des Zimbabwéens noirs. La mesure ne suffit pas à relancer les investissements. Si le FMI prévoit 2,8 % de croissance pour 2017, le taux de chômage explose, touchant environ 90 % de la population.
À 93 ans et après trente-sept ans de pouvoir, Mugabe s’apprêtait donc à signer pour un nouveau mandat à la tête du pays. Le 14 novembre, les militaires, jusque-là ses soutiens indéfectibles, en ont décidé autrement.