Lors de la courte escale du Président Hollande à Yaoundé au Cameroun vendredi 03 juillet, la détention arbitraire (condamnée notamment par l’ONU) de l’avocate franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum ne sera pas la seule mentionnée. Y figurent aussi celles des prisonniers d’opinion Paul Eric Kingué (séquestré depuis 08 ans) et du célèbre homme politique Marafa Hamidou Yaya pour lequel nous avons demandé une évacuation d’urgence pour raisons humanitaires, devant son état de santé jugé alarmant.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)
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Par David Revault d’Allonnes et Christophe Châtelot
C’est un pur hasard du calendrier. Eminent protagoniste de l’« Angolagate », Charles Pasqua, qui avait été relaxé en appel en 2011 dans ce dossier de ventes d’armes, est mort à quarante-huit heures du déplacement de François Hollande en Angola, justement, ainsi qu’au Bénin et au Cameroun. Avec cette figure historique du RPR, c’est la Françafrique à la mode gaulliste – avec ses réseaux parallèles et ses ingérences brutales dans les anciennes colonies françaises – qui est symboliquement enterrée.
Cinquante ans après les indépendances, les générations et les méthodes se sont renouvelées. Mais les liens historiques de la France avec le continent noir font toujours de leurs relations un domaine diplomatique à part. François Hollande, qui se voulait un « président normal » aussi sur ce terrain, en a fait peu à peu l’apprentissage, contraint par les nécessités du terrain d’infléchir sa ligne initiale.
A son arrivée aux affaires en 2012, il avait fait la leçon aux présidents africains qui malmenaient les règles démocratiques. Depuis, le chef de l’Etat a développé les qualités d’équilibriste que sa fonction exige pour préserver les intérêts diplomatiques, économiques et militaires français. Dans ce périple africain « express » du 1er au 3 juillet, il rencontrera donc le président camerounais, Paul Biya (82 ans), et son homologue angolais, José Eduardo dos Santos (72 ans), deux doyens parmi les dirigeants de la planète, avec respectivement trente-deux et trente-cinq années de règne. Les deux hommes affichent un triste bilan démocratique et de gouvernance. Mais l’Angola, producteur majeur de pétrole, est un poids lourd économique que la France a trop longtemps négligé. Quant au Cameroun, c’est un allié dans la lutte contre les islamistes de Boko Haram. Il a joué également un rôle déterminant dans la libération, ces dernières années, d’otages français détenus dans la région.
« Message politique »
Chaque étape du déplacement présidentiel sera d’ailleurs adaptée au degré de respectabilité démocratique du pays hôte. Le président béninois, Thomas Boni Yayi, l’un des bons élèves de la transition démocratique africaine, si ce n’est sa gouvernance entachée de scandales de corruption, se verra distingué. « Le Bénin est le seul pays où le président va prononcer un discours [jeudi] devant les parlementaires et les forces vives. Ce n’est pas un hasard », souligne l’Elysée. « Le président béninois vient d’annoncer qu’il respecterait la Constitution [qui lui interdit de briguer un troisième mandat] et l’opposition démocratique a emporté les dernières législatives. Le choix du Bénin est un message politique », ajoute-t-on à la présidence.
Au Cameroun, François Hollande a prévu de rencontrer des représentants d’ONG et d’associations de défense des droits de l’homme, mais aussi d’évoquer directement avec Paul Biya « l’ensemble des sujets concernant la justice camerounaise ». Ce sera notamment le cas de l’avocate franco-camerounaise Lydienne Yen-Eyoum, condamnée à 25 ans de prison pour détournement de fonds. « Le président fera valoir que c’est une peine choquante pour la France et les Français, une peine énorme pour une malversation financière. Il soulignera la nécessité d’un geste humanitaire en sa faveur », explique un conseiller. De telles prises de position, le chef de l’État n’avait pas jugé bon de les endosser si fermement lors de ses récentes visites à Riyad, La Havane, Alger ou N’Djamena.
Le cas du Tchad illustre d’ailleurs les tâtonnements et les limites de la diplomatie africaine de François Hollande. « Depuis l’engagement tchadien aux côtés des Français au Mali en 2013, puis, cette année, contre les Nigérians de Boko Haram, Idriss Déby [le président tchadien] est intouchable. Pour les Français comme pour les chefs d’État de la région, d’ailleurs », explique un dirigeant d’un pays voisin du Tchad. « On peut le comprendre, mais ce n’est pas une raison pour détourner les yeux sur les abus du régime militaro-civil du “soldat” Déby », ajoute cette source. Elle critique notamment l’absence d’initiative française dans le dossier de l’opposant Ibni Oumar Saleh, disparu en 2008, au lendemain d’une intervention militaire française qui venait de sauver la tête du président tchadien menacé par une énième rébellion.
Intérêt modéré du Quai d’Orsay pour l’Afrique
A son arrivée à l’Elysée, François Hollande connaissait mal le continent, hormis quelques relations personnelles tissées dans le cadre de l’Internationale socialiste, du temps où il était premier secrétaire. « Il n’a pas de vision du continent, ni de politique africaine, seulement du coup par coup », tranche sévèrement Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique au Centre de recherches internationales de Sciences Po. « Notamment parce que, sous Hollande, l’appareil diplomatique a continué de s’affaiblir », ajoute-t-il.
A l’Elysée, la « cellule Afrique » avait déjà disparu au temps de Nicolas Sarkozy. « Mais les conseillers diplomatiques pour cette partie du monde parlent surtout droits de l’homme et bonne gouvernance », glisse un diplomate africain. Le ministère de la coopération, devenu un ministère du développement et initialement confié à l’écologiste Pascal Canfin, n’a plus la main. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, ne s’intéresse que modérément à ce continent.
Au fil des interventions armées (« Serval » au Mali, « Sangaris » en Centrafrique) et de la place croissante occupée par la lutte contre le terrorisme au Sahel (opération « Barkhane » basée à N’Djamena), ce sont les militaires français qui ont repris du poids sur les dossiers africains. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, un proche du président, y a effectué un nombre incalculable de visites. Pour l’anecdote, le très politique directeur de cabinet du ministre, Cédric Lewandowski, est surnommé « Foccardowski », en référence à Jacques Foccart, tout-puissant « Monsieur Afrique » des présidents français après les indépendances. Il est certaines références, en matière de relations franco-africaines, qui s’effacent difficilement.
David Revault d’Allonnes