Libéré le dimanche 12 novembre après plus de trois ans de détention, Abdoulaye Harissou était l’invité du Monde Afrique, à Paris. Le notaire, soupçonné de déstabilisation de l’État camerounais, a été arrêté en 2014, avant que la justice ne requalifie le chef d’accusation en « non-dénonciation de tentative de putsch » et le condamne, le 30 octobre, à trois ans de prison – soit la peine déjà purgée.
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Comment allez-vous depuis votre libération ?
Abdoulaye Harissou Je vais bien, selon mon médecin. Même si les conditions de détention étaient moralement difficiles. Physiquement, il n’y a pas eu de problème majeur. Ma famille m’apportait à manger, j’avais accès au câble, j’avais des nouvelles du monde, je lisais beaucoup et je faisais du sport régulièrement, mais j’ai subi énormément d’humiliations. Certains gardiens sont inhumains, même avec les visiteurs. Mon avocate, Me Saskia Ditisheim [avocate suisse pour Avocats sans frontières], n’a pas été autorisée à venir me voir la veille d’une audience. Nous avons dû préparer le procès quelques minutes avant l’ouverture. Comment ne pas être complètement diminué moralement face à ce genre de situation ?
Dans quelles circonstances avez-vous été arrêté ?
J’ai été arrêté le 28 août 2014 à Maroua, dans le bureau du gouverneur de la région de l’Extrême-Nord. On m’avait appelé pour une affaire de succession, mais je savais qu’on allait m’arrêter. Des amis journalistes et commissaires m’avaient indiqué qu’on allait me poursuivre dans une affaire de déstabilisation de l’État et m’avaient conseillé de fuir. J’étais innocent et fuir était, selon moi, un aveu de culpabilité. Pour mon transfert de Maroua à Yaoundé, la mise en scène était extraordinaire : un avion avait été affrété. À son bord : une vingtaine de policiers de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE). J’étais le seul civil.
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On vous a soupçonné d’être en lien avec Aboubakar Sidiki, condamné à vingt-cinq ans de prison pour « assassinat », « complicité d’hostilité contre la patrie » et « complicité de révolution ». Quelles étaient vos relations ?
C’est un jeune que je connaissais mais avec qui je n’avais pas de relations particulières. J’étais le notaire de sa famille, mais j’étais plus proche de son père. Il est venu me rendre visite pour avoir mon soutien dans la campagne qu’il engageait en vue des municipales à Maroua. Il était accompagné d’un jeune homme qui s’est avéré être membre des services de renseignement. Cet homme nous a pris en photo ensemble. L’occasion était trop belle pour la DGRE.
Depuis que mon ami d’enfance, l’ancien ministre Marafa Hamidou Yaya, a été condamné, beaucoup me voyaient comme son chef de réseau qui menait son lobbying et gérait sa fortune. Ma proximité avec Marafa Hamidou Yaya est la principale raison de mon arrestation. De plus, ma position de notaire connu à l’international, le fait que je n’étais pas dans le système et que je réussissais quand même, cela dérangeait. On a mis dans la tête des dirigeants du pays, et dans celle du président, que j’étais dangereux pour lui et pour son régime. Mais je n’ai jamais été intéressé par la politique.
Quelles leçons tirez-vous de votre détention ?
J’ai été détenu avec un concentré de personnalités accusées d’infractions politiques : Félix Agbor Nkongho et Neba Fontem Aforteka’a, deux dirigeants du Cameroon Anglophone Civil Society Consortium ; le journaliste de RFI Ahmed Abba ; le maire de Fotokol [Extrême-Nord], Ramat Moussa, et de nombreux militants anglophones. Tous dérangent le pouvoir. La justice au Cameroun est inféodée à l’exécutif. J’ai été relaxé le 30 octobre mais je ne suis sorti de prison que douze jours après, le 12 novembre, alors que le Code de procédure pénale exige une libération immédiate. Toutes les formalités de sortie ont été faites sur le bureau du régisseur, c’était irréaliste. Les greffiers du tribunal militaire et de la prison ont été convoqués en pleine nuit. Quelle justice peut libérer un détenu douze jours après sa relaxe, un dimanche en pleine nuit ?
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Vous rentrez au Cameroun vendredi. Avez-vous peur ? Quel message souhaiteriez-vous adresser à Paul Biya ?
J’aimerais dire au président Paul Biya que tout Camerounais a le droit à la justice, que ce genre de procès inutile ternit l’image du pays et que trop de gens profitent de la justice pour régler leurs comptes. Je rentre chez moi sans crainte mais je prends à témoin le monde entier : si quelque chose m’arrive, on saura d’où ça vient.