Alors que le procès de Khalifa Sall doit s’ouvrir le 3 janvier à Dakar, le député et maire de la capitale vient d’être exclu du Parti socialiste, où il militait depuis l’adolescence, ainsi que 64 autres dissidents hostiles à une alliance avec Macky Sall.
L’issue était prévisible. Samedi 30 décembre, dans la soirée, le bureau politique du Parti socialiste (PS) a écrit l’épilogue de la saga fratricide qui agite depuis plus de trois ans l’ancien parti de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf, en prononçant l’exclusion de 65 « camarades » considérés comme des dissidents.
Au premier rang de ces bannis, le député et maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, la députée et maire de Podor (Nord), Aïssata Tall Sall, et les maires de deux communes d’arrondissement de la capitale : Bamba Fall (Médina) et Barthélémy Dias (Mermoz-Sacré-Cœur).
Violence, indiscipline, défiance…
Détaillée par le porte-parole adjoint du parti, l’avocat Moussa Bocar Thiam, la mesure d’exclusion, qui égrène une interminable liste de griefs, ne fait pas dans la dentelle : « Le bureau politique décide […] d’exclure purement et simplement de ses rangs les camarades dont les noms vont vous être cités pour actes de violence graves, indiscipline caractérisée, refus systématique de respecter les règles de démocratie interne ainsi que les décisions et orientations majeures des instances régulières, activités politiques parallèles, actes de défiance, constitution d’organisations à caractère politique poursuivant les mêmes objectifs que le Parti socialiste, atteintes à l’image du parti, de ses instances dirigeantes et de ses intérêts stratégiques. »
Fracture entre pro- et anti-Tanor
La décision d’exclusion des 65 frondeurs intervient à quelques jours de l’ouverture du procès, le 3 janvier, de Khalifa Sall, incarcéré depuis le 7 mars 2017 dans l’affaire de la « caisse d’avance » de la mairie de Dakar. Depuis sa mise en cause par la justice, les principaux cadres du Parti socialiste s’étaient abstenu de lui manifester le moindre soutien, entérinant la fracture au sein du mouvement entre partisans du secrétaire national, Ousmane Tanor Dieng, et supporteurs de l’édile de la capitale.
Au cœur de cette querelle intestine, un désaccord de fond quant à la stratégie à adopter par le parti en vue de l’échéance électorale majeure qui se tiendra début 2019. Le PS, qui avait régné sans partage sur la vie politique sénégalaise de 1960 à 2000, se contentera-t-il d’être une force d’appoint à la réélection de Macky Sall ? Ou doit-il présenter un candidat issu de ses rangs face au président sortant ?
Il s’agit de poursuivre le compagnonnage au sein de BBY, tout en préservant les intérêts du PS
Sous l’égide d’Ousmane Tanor Dieng, les instances dirigeantes du parti ont scellé une alliance sans failles avec le parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR), au sein de la coalition gouvernementale Benno Bokk Yakaar (BBY). Une stratégie maintes fois réaffirmée par la direction du parti, ainsi que le rappelait Ousmane Faye, membre du bureau politique et du secrétariat exécutif, à l’issue du conclave du 30 décembre : « Il s’agit de poursuivre résolument le compagnonnage au sein de Benno Bokk Yakaar, tout en préservant les intérêts majeurs du Parti socialiste. »
Tombés en disgrâce
Pour avoir remis en question de manière plus ou moins bruyante, depuis 2014, cette option qui leur semble brader la singularité du parti et faire litière de sa vocation à exercer à nouveau le pouvoir, les frondeurs sont tombés un à un en disgrâce. L’avocate Aïssata Tall Sall, alias « la lionne du Fouta », ne cache plus, depuis plusieurs années, ses désaccords de fond avec Ousmane Tanor Dieng, à qui elle avait tenté de disputer le leadership au sein du parti, en 2014.
Khalifa Sall, qui s’est, lui, toujours abstenu de critiquer ouvertement le secrétaire national, avait défié avec succès la liste de la coalition BBY lors des élections locales de 2014, remportant haut la main la capitale face à l’ancienne Première ministre Aminata Touré. En 2016, il appelait à voter non au référendum constitutionnel initié par Macky Sall, prenant à rebours la position de son propre parti. Et en juin 2017, après avoir un temps envisagé de participer à une liste commune avec le Parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade (PDS, opposition), il a fait campagne aux législatives sur une liste d’opposition, bravant une nouvelle fois le positionnement du PS.
Bamba Fall et Barthélémy Dias, les deux principaux lieutenants du maire de Dakar, se sont eux aussi mis à dos la direction du parti. Le premier est en effet soupçonné d’avoir été l’instigateur occulte d’une interpellation musclée d’Ousmane Tanor Dieng et de ses proches, en mars 2016, par des militants hostiles à leur allégeance au chef de l’État – ce qui lui a valu un séjour en prison. Quant au second, habitué des déclarations incendiaires, il n’a jamais dissimulé son hostilité au leadership du parti.
Un gage donné à Macky Sall ?
Dans le camp du maire de Dakar, son conseiller politique, Moussa Taye, dénonce « une décision qui est illégale au plan juridique, ridicule au plan politique et lâche au plan social, alors que Khalifa Sall est actuellement privé de liberté ».
Lui-même militant du PS, Moussa Taye considère que « l’exclusion, telle qu’elle a été prononcée hier, n’est pas conforme aux textes du parti, qui prévoient deux étapes fondamentales : l’audition préalable des personnes concernées et la notification de la décision par voie écrite ». Or, à l’en croire, l’entourage de l’élu « a appris son exclusion par la presse ».
« C’est un gage donné par les cadres du PS à Macky Sall, pour lui montrer qu’ils le soutiendront en 2019. De manière étonnante, des cadres de l’APR et de BBY n’appartenant pas au Parti socialiste étaient d’ailleurs présents lors de la conférence de presse, tels des huissiers venus s’assurer que le PS est bien arrimé à la mouvance présidentielle », conclut Moussa Taye.