Cameroon-Info.Net a sélectionné quelques extraits:
Question : Quelles étaient vos conditions de détention à Kondengui ?
Patrice Nganang : décrire les conditions de mon incarcération va scandaliser plusieurs, car il y a plusieurs niveaux : d’abord le niveau juridique qui est que pendant plusieurs jours, j’ai été arrêté en zone internationale, à l’aéroport de Douala ; que j’ai été sevré de tout contact, tant avec ma famille qu’avec mes avocats, que j’ai été mené en prison sur des charges nouvelles qui sont toutes tombées comme du sable mouvant. Mais il y a aussi les conditions tribales. Et je vais en parler ouvertement. Eh bien parce qu’il faut que les Camerounais sachent la vérité de ce que j’ai vu et vécu, sachez que ceux qui m’ont arrêté à Douala et conduit à Yaoundé étaient tous Beti, sauf un. Ils se parlaient donc en leur langue et j’ai seulement retenu le mot « nkukuma », car ils s’appellent Biya comme ça entre eux. La PJ où j’étais, la police politique donc, est à 90% francophone –inutile de deviner la tribu là-bas, car un des commissaires principaux lui-même, et j’ai son nom, a parlé de « pouvoir bulu ». J’y ai rencontré seulement deux anglophones dont un était à Buea avec moi. Ceux qui m’ont accueilli à Kondengui, le 13 décembre la nuit, étaient tous Beti. Y compris le régisseur ! Et se parlaient leur langue carrément. Je dormais au quartier 11, à 90% Beti, où ils m’ont mis eux-mêmes sans me demander mon avis, car je voulais soit le quartier 1, soit le quartier 3 pour être avec les anglophones.
Question : Qu’avez-vous vécu derrière les barreaux ?
Patrice Nganang : Ce que j’ai vécu, c’est en premier, la solidarité des prisonniers. Dans toutes mes cellules, ils m’ont littéralement accueilli à bras ouverts. Cela à partir de la PJ et ici, je parle des policiers déjà qui ont montré un égard extraordinaire en mon endroit dès le moment où ils se sont rendu compte qui je suis. Même à la cellule du parquet où j’avais choisi d’être avec les autres, il a suffi d’une heure pour que tous les jeunes qui s’y trouvaient soient littéralement à mes pieds. Et puis, le sommet évidemment c’était à Kondengui où dès mon arrivée, c’était comme si les prisonniers m’attendaient. Et en premier, les anglophones qui ont commencé chaque jour à venir dans mon quartier me rendre visite, une bonne dizaine par jour. Ils venaient tellement que j’étais obliger de chercher des stratagèmes pour les rencontrer ailleurs, car je ne voulais pas que cela serve de prétexte pour m’envoyer au SED. Et puis bien-sûr quand je suis allé à leur réunion journalière au quartier 3, ils m’ont donné une standing ovation. Je ne saurai oublier les membres de mon quartier qui m’ont accueilli de même, c’est-à-dire de manière miraculeuse. ! Un exemple, Atangana Mebara, le ministre secrétaire général à la Présidence incarcéré à Kondengui, a quitté sa cellule pour venir me rendre visite dans la mienne et nous avons longtemps causé…Une manière de dire que ce que j’ai vécu est si extraordinaire que j’ai de la peine à le décrire.
Question : S’il fallait revenir sur votre arrestation, votre séjour en prison, les audiences au tribunal, votre libération inattendue, la confiscation de votre passeport camerounais…que diriez-vous ?
Patrice Nganang : Je dirai que l’Etat camerounais a agi en toute illégalité et je suis content, très content du soutien américain qui m’a arraché à ses multiples griffes, mais surtout de la campagne supersonique, tant nationale qu’internationale qui en a fait de même. Car, il faut se rendre compte que l’instrument le plus important qui scellait mon destin, c’était le téléphone cellulaire. Les ministres et surtout le Président de la République qui ont orchestré tout cela, donnant toujours leurs instructions au téléphone, et cela devant moi. Instructions qui étaient toujours exécutées dans la nuit, tant la fouille de mes bagages par le directeur de la Police Judiciaire et son staff de sous-directeurs eux-mêmes, tant mon transfert du parquet à Kondengui, que l’instruction qui a fixé mon jugement le 19 janvier qui était pourtant fixée par décision du juge au 27 décembre. Ce qui est déjà en soi, une chose unique dans notre pays.
Question : Comment vous sentez-vous ?
Patrice Nganang : Pas encore bien en réalité, car j’attends les résultats des examens médicaux. Il faut dire que l’accueil que j’ai reçu dans les différentes cellules où j’étais, à la PJ, le parquet et Kondengui, ne me fait pas oublier que j’étais un prisonnier quasiment tribal, même si cela était couvert sous un drap présidentiel, quasiment rocambolesque.
Question : Que retenir pour l’avenir ?
Patrice Nganang : Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a dans notre pays, un État dans un État. Un Etat insidieux, un État tribal qui se couvre des mascarades les plus grotesques ; qui se couvre d’un théâtre des plus ubuesques, afin de cacher son côté tribalement mafieux. Il faut retenir cela, car c’est dans les profondeurs de l’État tribal que les crimes les plus odieux sont commis.