Heureuse nouvelle pour les gazettes vouées à narrer les émois des têtes couronnées : la planète comptera sous peu une nouvelle royauté, le Gabon. A la faveur d’un Congrès extraordinaire, les deux chambres réunies -Assemblée nationale et Sénat- ont adopté ce mercredi à une écrasante majorité un projet de loi ô combien controversé portant révision de la Constitution. Certes, le Palais du Bord de mer n’a pas dévoilé à ce stade le texte de la future loi fondamentale, la septième du genre depuis la fin du monopartisme, en 1991. Mais les fuites, innombrables et convergentes, suffisent à dessiner les contours d’un socle institutionnel hyper-présidentialiste. L’article 8 confère au chef de l’Etat la dignité de détenteur suprême du pouvoir exécutif. Le suivant se garde de limiter le nombre de mandats exercés par un même « Presida », tout en maintenant la durée du bail, à savoir sept ans. Il y a plus corsé : gratifié d’une immunité ad vitam aeternam, un Ex ne peut être ni poursuivi, ni recherché, ni jugé. Quant aux happy few, civils ou militaires, appelés à assumer de hautes fonctions, ils seraient tenus de prêter serment -donc allégeance- devant Sa Majesté.
Dire qu’Ali Bongo Ondimba ne peut même pas invoquer la qualité de monarque élu… Il doit comme chacun sait sa « victoire » d’août 2016 aux dépens de Jean Ping à un grossier tour de passe-passe électoral. Après avoir tenté de renflouer un Parti démocratique gabonais (PDG) guetté par le naufrage, sans doute espère-t-il avec cette réforme escamoter son prologue calamiteux. Pour solde de tout mécompte.
Au fond, Ali-pas-si-9-que-ça ressuscite une chimère caressée jadis par son père et prédécesseur, le très madré Omar. L’idée affleure en novembre 1986. Dans l’euphorie d’une réélection soviétique (99,97% des suffrages), Bongo Senior songe alors à soumettre à référendum l’instauration d’une monarchie. Puis à se faire proclamer « roi des Tékés » -son ethnie- le 30 décembre suivant, jour de ses 50 ans ; et ce à Franceville, lors de l’inauguration du fameux Transgabonais. Bien sûr, au détour d’un entretien-fleuve paru à l’époque dans Jeune Afrique, le « Boss » nie mollement. Démenti pour le moins ambigu. Car Son Excellence admet qu’il pourrait fort bien « prétendre à la royauté » et avoue son « profond respect » pour la monarchie, avant de reléguer celle-ci au rang de ruineuse « folie ». « Ali le poussait en ce sens, confie un intime. Le président a marché pendant quinze jours, avant de mesurer l’hostilité qu’éveillait ce projet jusqu’au cœur de son clan. Au retour d’une tournée des provinces, il a sabordé le truc. »
Avant de renoncer, le successeur de Léon M’Ba envoie néanmoins son héritier présomptif, autrefois prénommé Alain, sonder Jacques Chirac, alors Premier ministre de François Mitterrand. Anecdote relatée dans son « Journal de l’Elysée » par Jacques Foccart, le marabout de la galaxie gaulliste. Porteur d’un message paternel « de la plus haute importance », l’aîné de la fratrie est reçu à Matignon où, lors d’un tête-à-tête avec un Chirac incrédule, le dauphin pressenti plaide en faveur d’une dévolution héréditaire du pouvoir. Peine perdue. Son hôte lui livre ses « réserves », invoquant notamment le désastreux précédent du Centrafricain Jean Bedel Bokassa, proclamé empereur au prix d’une pitoyable mascarade. De quoi doucher les espérances du « prince », fort dépité. Peut-être Papa Bongo attendait-il de son ami corrézien qu’il enterre en douceur une illusion que lui-même rechignait à dissiper. Rôle confié parallèlement à… Jean Ping, alors pilier du premier cercle. « Tu es contre ?, lui lance-t-il. Dis-le donc à Ali ! » Prudent, le futur rival s’en garde bien, ce qui n’empêchera pas Omar d’invoquer son objection auprès du rejeton. « Tu vois, assène-t-il au fiston, même ton copain Mao [surnom usuel de Ping, métis sino-gabonais] n’y croit pas… » On appelle ça l’ironie de l’Histoire.
Vincent Hugeux, L’Express