Source: Forum «Soutenons Les Prisonniers Politiques Camerounais»
Ce post est le plus difficile jamais rédigé depuis la création de ce forum en février dernier. Dans la mesure où la plupart des membres sont des journalistes et la déontologie de la profession interdit de s’en prendre à la confraternité. Cependant, le devoir de dire la vérité nous impose de briser cet interdit. La vérité est que certains journaux camerounais sont responsables de la déconstruction de l’image des victimes de l’Opération anti-corruption Épervier au Cameroun, dont les prisonniers politiques que nous défendons.
À travers leur rôle d’information et de dénonciation, les médias dans une société contribuent à la formation d’une conscience citoyenne permettant aux populations d’avoir un droit de regard sur la gestion de la cité. Les médias se doivent aussi d’inculquer aux populations certaines valeurs tel que le respect de la présomption d’innocence.
Or dans le cadre de l’opération Épervier, certains médias camerounais, contre d’espèces sonnantes et trébuchantes, ont été instrumentalisés par des membres du cercle tribalo-familial au pouvoir pour manipuler l’opinion publique. Au mépris de l’exigence déontologique de l’équilibre de l’information et de la critique des sources, des journaux camerounais ont publié des articles à charge sur des prétendus scandales financiers impliquant les prisonniers politiques que nous défendons sur ce forum sans le moindre recul.
Aujourd’hui, l’image de « prévaricateur » et de «voleur» répandue par ces hommes des médias est tellement ancrée au sein de l’opinion camerounaise que ni les procès à tête chercheuse dont ils sont l’objet, ni la vacuité de leurs dossiers d’accusations, ni les preuves irréfutables qu’ils produisent et qui les mettent hors de cause, n’ont réussi à la bousculer.
Ce « terrorisme médiatique » (qui se poursuit d’ailleurs jusqu’à ce jour) n’est pas allé sans détruire durablement leur réputation et celle de leurs familles. Le prisonnier politique Polycarpe Abah Abah est celui qui a le plus souffert de cette cabale médiatique. Quelques années avant son arrestation en 2008, ce dernier a été présenté à intervalles réguliers comme un «milliardaire-voleur» dont la fortune peut financer une rébellion pendant 30 ans. D’ailleurs, l’un de ses multiples procès en détournement contre lui au Tribunal Criminel Spécial (TCS) s’appuie sur un article de presse publiée par un journal dirigé à l’époque par un journaliste aujourd’hui député du parti État RDPC à l’Assemblée nationale. Mais depuis le début de ce procès en janvier 2015, les charges ne font que tomber les unes après les autres. Et le journaliste en question, partie civile à ce procès, n’a jamais daigné venir défendre son accusation à la barre.
Il était question pour les médias qui se sont prêtés à ce jeu de préparer psychologiquement l’opinion à légitimer la machine destructrice orchestrée par Paul Biya et son clan familial pour perpétuer son long règne. Tout est fait de manière à ce que personne au sein de l’opinion ne questionne la nature des accusations portées contre certains « Eperviables », ni ne condamne les multiples violations des procédures judiciaires de l’opération dite épervier. Tout a été fait de manière à ce que l’argument du «tous pourris, tous voleurs» ne soit jamais questionné. Mais pour combien de temps encore?
Un mal hélas bien enraciné
Le mal hélas est aussi vieux que le pluralisme présenté de la presse au Cameroun, puisque j’ai été désagréablement surpris de constater que mêmes certaines icônes médiatiques – Paix à l’âme de ceux qui nous ont quitté – y ont succombé, et n’ont pas pu ou su résister à cet achat des consciences.
Ainsi lorsque le Messager tirait à boulets rouges dans les années 80 et 90 sur le « Voleur Engo », lui imputant ici « un détournement de 15 milliards », là un autre de « 400 milliards » …c’était sous la « motivation » sonnante et trébuchante des mêmes membres du cercle « tribalo-familial », qui pouvait déjà compter sur un grand argentier tout puissant, et un autre neveu du prince (alors Directeur commercial de la Camair) dont le clan préparait déjà l’arrivée à la tête de la CNPS. La suite est désormais connue de tous.
Mais le drame c’est de constater que, même quand il est établi que ces articles uniquement à charge se sont révélés comme de grossières manipulations de l’opinion publique, la presse camerounaise est incapable de toute remise en question; et pratique elle-même de l’intérieur systématiquement la censure, notamment à l’égard ceux qu’elle a contribué activement à précipiter dans l’enfer carcéral. Elle refuse ainsi (à quelques rares exceptions) de publier les droits de réponse, et surtout de relayer les décisions internationales qui établissent le caractère arbitraire des détentions.
Dès 2009 j’en ai fait l’amère expérience. J’avais en effet envoyé à toutes les rédactions camerounaises l’avis rendu par le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire exigeant la libération immédiate et la réparation de Pierre Désiré Engo pour préjudices subis. Aucune presse dite indépendante n’a daigné le publier. Bien au contraire, elles ont continué comme si de rien n’était à alimenter et relayer les grossières accusations tissées par ses bourreaux.
Voilà le vrai visage de la Presse corrompue dite pluraliste et aux ordres au Cameroun. Pas très beau à voir!
Joël Didier Engo
Président du CL2P