Un vent de régression balaie le cœur du continent africain, du Tchad aux deux Congo.
Malédiction régionale ? Fatalité géopolitique ? Non, bien sûr. Pour autant, si réfractaire qu’on soit à de tels raccourcis, le constat s’impose : de N’Djamena à Kinshasa, via Yaoundé, Libreville et Brazzaville, un vent mauvais de régression démocratique balaie l’Afrique centrale.
Certes, le coeur du continent n’a pas le monopole du simulacre électoral, du bricolage constitutionnel, du clanisme ou de la dérive autoritaire. Mais les lueurs d’espoir viennent d’ailleurs. Fût-ce au prix d’un putsch de velours, le Zimbabwe a enfin détrôné le vieux satrape Robert Mugabe, 94 ans. Et la mince Gambie, fichée dans le flanc du Sénégal, s’est affranchie par la voie des urnes du fantasque Yahya Jammeh.
Au Burkina Faso, pays sahélien fragilisé par le fléau du djihadisme, l’intransigeance de la société civile a eu raison tour à tour du despote élu, Blaise Compaoré, puis de la tentative de restauration ourdie par ses fidèles galonnés. Elans précaires, brouillons, mais indéniables.
Plus au sud, en revanche, on collectionne les figures de style du raidissement. Passons sur la République centrafricaine, Etat failli de naissance, livré aux jeux pervers des intrigues politiciennes et aux pulsions prédatrices de caïds miliciens. Passons aussi sur la Guinée équatoriale, émirat pétrolier aux usages orwelliens que régente depuis près de quatre décennies Teodoro Obiang. Attardons-nous plutôt sur le quintette des cancres de la classe : Tchad, Gabon, Congo-Brazzaville, République démocratique du Congo (RDC), Cameroun.
Tchad : le pouvoir haut Déby
Chef rebelle parvenu au sommet en 1990 avec l’aide de la France, Idriss Déby Itno, qui bouclera en 2021 son cinquième mandat, vient de se tailler une Constitution sur mesure, socle de sa “quatrième République” et fondement d’un “régime présidentiel intégral”. Exit le Premier ministre, et un mandat porté de cinq à six ans : sauf séisme, l’ancien chef de guerre zaghawa ne quittera le Palais Rose de N’Djamena qu’en 2033. Le voilà promu au “statut de demi-dieu”, ironise l’opposant Saleh Kebzabo, tandis que se profilent enfin à l’horizon des législatives reportées à deux reprises.
Gabon : Ali Ier, roi de la fraude
Fils et successeur du défunt Omar Bongo Ondimba, Ali Bongo a sculpté une loi fondamentale à sa main, reflet d’une irrépressible tentation monarchique. De là à effacer son déficit de légitimité chronique… Vainqueur improbable du scrutin de 2009, l’héritier doit à un grossier bourrage d’urnes, digne de figurer dans toute anthologie de la triche électorale, l’obtention, à l’été 2016, d’un deuxième septennat.
Pour consolider son emprise, il tend depuis lors à confier les leviers – notamment sécuritaires – du pouvoir à ses cousins d’ethnie téké de la province du Haut-Ogooué, le fief familial. Tout en misant, non sans succès, sur la fragmentation du bloc des partisans de Jean Ping, son rival malheureux.
Congo-Brazzaville : Sassou jusqu’où ?
A 74 ans, dont 33 – en deux épisodes – à la tête de l’Etat, Denis Sassou-Nguesso, qui fut à la fois le cadet et le beau-père de Bongo Senior s’appuie pour sa part sur son clan mbochi pour verrouiller l’appareil d’Etat. Lui a amputé la Constitution, via un référendum douteux convoqué à l’automne 2015, de l’article limitant à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs. Un classique indémodable.
Entachée de fraude, sa réélection, le 20 mars suivant, n’aura pas suffi à son bonheur : il ordonne dans la foulée l’arrestation de ses deux concurrents les plus sérieux, son ex-ministre André Okombi Salissa et l’ancien chef d’état-major, Jean-Marie Michel Mokoko, promis l’un et l’autre aux foudres de tribunaux aux ordres, que le palais a récemment pris soin de purger des magistrats indociles.
Si Sassou, autrefois chef de guerre, prétend à la dignité de médiateur continental – notamment sur l’épineux dossier libyen -, c’est à l’arme lourde et à l’hélicoptère d’assaut qu’il réduit la rébellion qui enfièvre la région fertile du Pool, au sud de Brazza, théâtre, depuis la mi-2016, d’une guerre à huis-clos. Tant pis pour les milliers de villageois condamnés à l’errance dans la forêt.
RDC : “Jo”, maître du jeu
Propulsé sur l’avant-scène au lendemain de l’assassinat de son père, Laurent-Désiré, en janvier 2001, Joseph Kabila recourt à un autre must de la panoplie autocratique : le calendrier élastique. Son ultime mandat ayant constitutionnellement expiré en décembre 2016, il a usé de divers stratagèmes pour le proroger. Doit-on croire au Père Noël ? L’échéance présidentielle est désormais fixée au 23 décembre prochain.
Pour le reste, la garde prétorienne de “Jo”, qui vient de placer des obligés à la tête des médias publics, orchestre la répression, souvent meurtrière, de marches citoyennes bénies par l’Eglise catholique. Quant à la justice de l’ex-Zaïre, inféodée elle aussi au pouvoir, elle s’acharne sur l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, candidat à la magistrature suprême contraint à l’exil. Pour l’anecdote, on notera que Kinshasa a passé commandes de 107 000 “machines à voter” à écran tactile sud-coréennes, jugées peu fiables par… les autorités de Séoul, et aussitôt affublées du sobriquet de “machines à tricher”.
Cameroun : un patriarche sous l’orage
A 85 printemps, Paul Biya totalise 35 années de pouvoir. Pouvoir quelque peu distant : “l’Omni-absent”, ainsi surnommé pour son goût des séjours prolongés sur les rives du lac de Genève, a présidé le 15 mars un conseil des ministres pour la première fois depuis octobre 2015. Il a inauguré dès 2006 un habile artifice, adopté voilà peu par Ali Bongo : l’offensive anti-corruption à double détente.
Son opération Epervier a le mérite de séduire les bailleurs de fonds les plus crédules, mais aussi de neutraliser une cohorte de rivaux réels ou supposés. Pas simple toutefois d’imputer tous les maux de la patrie à des barons issus du sérail que l’on régit… Le locataire – occasionnel – du palais d’Etoudi, qui devrait briguer en octobre prochain un énième mandat, a d’autres soucis.
D’abord, les incursions meurtrières de la secte djihadiste nigériane Boko Haram, dans l’extrême-nord du pays. Ensuite, le brutal réveil du prurit séparatiste dans les régions anglophones de l’Ouest. Certes, l’émergence d’une Ambazonie indépendante relève de la chimère. Reste que le traitement erratique de cet irrédentisme trahit l’incurie d’un appareil d’Etat sclérosé.
Pourquoi le ventre de l’Afrique semble-t-il ainsi, au risque de l’anachronisme, sourd à l’appel du large ? Plusieurs facteurs éclairent le phénomène. La détention de ressources énergétiques, minières et forestières, pétrole en tête, a nourri des réflexes rentiers, qui perdurent alors même que le pactole s’épuise, que les cours fléchissent et que la grogne sociale gronde. D’où l’obsession du statu quo.
A propos de rente, les Déby, Sassou, Bongo et Biya jouissent de celle, géopolitique, que leur vaut leur rôle militaire et logistique dans la lutte globale contre l’hydre terroriste. Concours qui conduit les partenaires, à commencer par Paris, à réviser à la baisse les exigences en matière de pluralisme, de transparence et de gouvernance. L’émiettement des oppositions et la faiblesse des mouvements citoyens, pugnaces mais vulnérables, n’arrangent rien. Cela posé, les potentats en place auraient tort de se bercer d’illusion : leur sursis touche à sa fin.
Par Vincent Hugeux, L’express