Afrique francophone : 50 ans d’indépendance pour quoi faire ?
Les Français ne seront certainement pas les seuls interloqués par le déploiement des Chefs d’état africains à Nice les 31 mai et 01 juin prochain. Les africains aussi…
C’est probablement après 50 années d’indépendances factices, l’un des (rares) points de convergence entre les peuples des deux continents: cette infinie et indescriptible lassitude ressentie envers une survivance coloniale nommée « Sommet France-Afrique ». Pour autant, dans les capitales et chancelleries africaines, Nice est annoncé comme le point d’orgue des festivités marquant le cinquantenaire des indépendances des ex-colonies françaises d’Afrique. Ce devrait être l’occasion rêvée pour de nombreux dictateurs africains (épinglés pour biens mal acquis, fraude électorale, ou successions dynastiques…), d’afficher leur inaltérable lien de proximité avec la France officielle.
Et les Africains dans tout ça?
Comme depuis 50 ans malheureusement, ils devront se résigner soit à la servilité totalitaire en Afrique, soit à l’exil politique ou économique à l’étranger; sachant que les deux réalités ont toujours agi comme deux modules interchangeables d’un seul et même mécanisme : celui d’un paternalisme politique et économique en vigueur entre la France et ses colonies africaines depuis 1960. A cet égard (ce pourrait être le but recherché), la démonstration de force de Nice doit d’abord agir sur les consciences africaines comme un brutal rappel à la triste réalité des « indépendances cha cha cha » (rythmées par la rumba congolaise), qui n’ont jamais accouché de réelles souverainetés.
Des souverainetés de façade oui, mais politiquement assumées.
À qui la faute ? Pourrait-on demander…à la France, sur laquelle est infatigablement pointé le doigt accusateur et culpabilisateur depuis 1960? Ou aux dirigeants africains et français, pris collectivement?
Car force est de reconnaître malheureusement qu’après 50 années d’indépendances, de nombreux États africains ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes; pour dire vrai, ne sont plus que de post colonies françaises. D’ailleurs le paternalisme d’antan n’a eu aucune difficulté (diplomatique) à se réinstaller; pas plus d’ailleurs que la multiplication des oligarchies présidentielles en Afrique francophone n’a suscité la moindre gêne à Paris.
Au contraire sur le plan démocratique, tout fonctionne comme si le sommet de La Baule du 20 juin 1990 qui avait conditionné l’aide de la France à la démocratisation du continent noir, n’était plus qu’un lointain souvenir. Il suffit pour cela de dénombrer les présidents qui ont recouru aux révisions constitutionnelles afin de se maintenir (à vie) au Pouvoir; ou d’observer la « normalité » institutionnelle avec laquelle s’installent les transitions dynastiques… Pour réaliser qu’en 2010, l’Afrique francophone n’a pas simplement mal à son développement, elle étouffe véritablement sous ses « démocratures » (parodies de démocraties pluralistes, sans aucune alternance politique).
C’est cela l’échec africain des 50 dernières années. Car les présidents à vie ou leurs héritiers sont d’abord un frein au développement du capital humain, et empêchent ce continent de tirer pleinement profit de son potentiel démographique, énergétique et économique. De toute l’Histoire dramatique du continent noir, jamais le choix entre la mort lente ou l’exil alimentaire ne s’est autant (im) posé à sa jeunesse et à son intelligentsia, que pendant ces dernières années.
La liesse populaire s’est ainsi progressivement évanouie
Et on se surprend à constater que les célébrations des cinquantenaires des indépendances africaines ne soulèvent aucune liesse populaire (sur les deux continents). Mais comment pouvait-il en être autrement, avec un paternalisme qui n’a eu de cesse de diaboliser les vrais libérateurs, d’occulter la Mémoire collective, et de faire le lit des usurpateurs ?
Combien sont-ils donc aujourd’hui, ces francophones européens (Belges, Français, Suisse…) qui ont entendu parler de Patrice LUMUMBA (la figure emblématique de l’indépendance du Congo, sauvagement assassinée le 17 janvier 1961), de Ruben UM NYOBÉ (le leader de l’indépendance intégrale, abattu par l’armée française le 13 février 1958 dans une guerre qui n’a jamais porté son nom au Cameroun 1955-1960), ou son remplaçant à la tête de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), le docteur Félix MOUMIÉ mortellement empoisonné le 15 octobre 1960 à Genève par un agent des services secrets français …?
Sans vouloir sombrer dans une inquisition mémorielle, il ne faudrait pas que ce Cinquantenaire soit à nouveau une occasion manquée pour la France et l’Afrique. Veillons à ce que notre Mémoire collective ne soit pas noyée dans ces incessants sommets et banquets d’Etat (de capitales africaines à Nice, où sont curieusement conviés les mêmes prestigieux invités). .. A l’heure de la Globalisation, les nouvelles générations Africaines et françaises aspirent à une relation décomplexée et dépassionnée, parce que nous avons une Histoire partagée.
Nice ne peut sceller une nouvelle impasse de 50 ans pour l’Afrique francophone.
Joël Didier ENGO.