La crise au Sud-Ouest et Nord-Ouest du pays s’est transformée en conflit armé ces deux dernières années. La France et l’UE devraient s’investir pour faciliter un dialogue politique et un cessez-le-feu avant que cela ne dégénère en guerre civile.
Le 20 mai, le Cameroun a célébré la 46e édition de la fête de l’unité nationale, sur fonds d’affrontements entre milices séparatistes et forces de défense dans les régions anglophones (Sud-Ouest et Nord-Ouest). La crise en cours depuis presque deux ans s’est transformée en conflit armé. Son bilan est difficile à tirer, mais des centaines de personnes seraient mortes depuis un an, 160 000 sont déplacées et 35 000 réfugiées au Nigeria voisin. Les milices «ambazoniennes», défendant l’indépendance de cet ancien territoire sous tutelle britannique (1918-1961) ciblent les représentants de l’Etat, principalement les forces de sécurité et de défense mais aussi les gouverneurs, préfets, sous-préfets, enseignants. A cela s’ajoutent des actes de violences à l’égard de civils. En représailles, l’armée de «la République» comme la désignent les «Amba boys», a brûlé des villages entiers.
Cette guerre se tient à huis clos, aucun des protagonistes ne souhaitant rendre publics ses agissements. Avant que les violences ne gagnent les centres urbains et ne se disséminent sur le reste du territoire, il est nécessaire que la communauté internationale, et notamment la France, incite le gouvernement camerounais au dialogue, qu’il refuse jusque-là.
Comment en est-on arrivé à une telle violence dans ce pays réputé pour sa mosaïque ethnique et son goût pour la paix ? L’intransigeance du pouvoir camerounais face à des revendications au départ limitées et sectorielles, y semble pour beaucoup. A partir d’octobre 2016, des syndicats enseignants et des collectifs d’avocats ont demandé que le gouvernement respecte les spécificités de l’enseignement anglophone et de la common law, tous deux issus de la colonisation britannique. L’idée d’une plus forte autonomie de ces corps professionnels mais aussi d’une culture libérale plus marquée dans ces régions a servi de dénominateur commun à des revendications depuis les années 80, face à un Etat centralisateur et autoritaire. La fin du fédéralisme (1972) et la domination, considérée comme arrogante, des francophones vis-à-vis de la minorité anglophone, notamment au sein d’une administration toute-puissante, ont conduit certaines élites intellectuelles mais aussi les citoyens ordinaires à défendre leur singularité au sein de la communauté nationale.
Cette fois-ci, cependant, le refus de Yaoundé, la capitale, de répondre substantiellement à leurs demandes et surtout l’enfermement des principaux leaders de la mobilisation a envenimé le conflit. Après la coupure d’Internet entre janvier et avril 2017, et le pic d’attention internationale qu’elle a provoquée, la situation ne s’est pas améliorée, au contraire. Les tactiques de «divide and rule», habituelles, mais aussi la capture des leaders d’un «gouvernement intérimaire» partis en exil à Abuja et leur transfert, en secret, à Yaoundé ont radicalisé certaines franges contestataires. C’est ainsi que, faute de leaders locaux, ce sont désormais ceux de la diaspora qui ont pris le contrôle des revendications, en leur donnant un tournant à la fois indépendantiste, quand leurs prédécesseurs prônaient un retour au fédéralisme, et violent.
Depuis les Etats-Unis, l’Europe, l’Afrique du Sud ou le Nigeria, et au travers des réseaux sociaux, ces leaders pilotent aujourd’hui des milices armées, fournissant des financements collectés au sein de la diaspora et bénéficiant de la porosité de la frontière avec le Nigeria. Les populations, qui dépendent largement des transferts d’argent de cette diaspora, sont prises en étau. D’une part, les séparatistes leur intiment l’ordre de ne pas envoyer les enfants à l’école depuis bientôt deux ans et de ne pas ouvrir leurs commerces le lundi. D’autre part, les autorités administratives ont depuis un an imposé un état d’urgence de fait, demandant aux villageois de déguerpir, en même temps que les militaires brutalisent les civils et incendient des villages. La situation devient intenable, pour ces populations, pour la communauté internationale, qui est le témoin d’exactions quotidiennes, comme pour le gouvernement, censé organiser des élections (présidentielle, législatives et locales) d’ici la fin de l’année et une Coupe d’Afrique de football en 2019.
Le gouvernement reste cependant farouchement opposé à tout dialogue politique. Qui peut alors tenter une médiation dans ce conflit où chaque camp use et abuse du qualificatif «terroriste» pour disqualifier l’autre, empêchant toute possibilité de résolution pacifique ? L’Eglise catholique tente de se faire entendre, mais l’une de ses représentations les plus hautes, l’archevêché de Douala, a été ciblée il y a une quinzaine de jours par des tirs dont les auteurs sont inconnus. Les ONG de défense des droits de l’homme, locales et internationales, sont interdites d’accès dans la zone. Les médias sont pris en étau. Il est donc nécessaire aujourd’hui que les acteurs diplomatiques, dont la France, qui ont tout intérêt au retour de la paix, prennent leurs responsabilités et tentent d’amorcer une médiation. La France, partenaire bilatéral majeur du Cameroun, devrait adopter une attitude plus ferme vis-à-vis du président Paul Biya, afin de l’inciter au dialogue sur la réforme de la gouvernance et l’amélioration de la décentralisation, voire l’instauration d’une forme de fédéralisme ou de régionalisme.
L’implication de la France est importante car beaucoup pensent, au Cameroun anglophone, que c’est l’ancienne métropole de «la République» qui soutient le président Biya dans ce conflit et qui bloquerait les initiatives de la communauté internationale. Ces perceptions, vraies ou fausses, contribuent à accentuer le sentiment anti-Français, très fort en temps normal et exacerbé dans les régions anglophones en ce moment, où la France a pourtant des intérêts économiques significatifs. C’est pourquoi la France devrait peser de tout son poids, y compris en associant l’Union européenne, pour qu’un cessez-le-feu soit déclaré et que commence un véritable dialogue inclusif. Cela permettrait au Cameroun d’éviter une guerre civile et à la France de mieux se positionner auprès de l’opinion publique camerounaise et de défendre plus intelligemment ses intérêts économiques et politiques sur le long terme.
Texte du journal français libération du 24 mai 2018
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DES AUDITIONS SUR LA CRISE ANGLOPHONE EN PRÉPARATION AU CONGRÈS AMÉRICAIN.
La crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest «riches en pétrole» fera l’objet de discussions au Congrès des États-Unis lors d’une audition qui se tiendra prochainement pour souligner la montée la violence avant les élections présidentielles d’octobre.
Le week-end dernier, des membres du sous-comité sur l’Afrique et le Département d’Etat américain ont reçu des présentations orales sur les violations des droits de l’homme et rencontré des activistes séparatistes des régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest qui appellent à la fin du génocide, politique de la terre brûlée par le gouvernement de Paul Biya.
The crisis in “oil rich” North West and South West Regions will form the topics of discussion at the United States Congress in a hearing shortly to be held to highlight growing violence before presidential elections this October.
Staffers from the House Sub-Committee on Africa and the US State Department last weekend received oral presentations on human rights violations and met separatist activists from the Anglophone South West and North West Regions who are calling for an end to what they described as a genocide and scorched earth policy by Paul Biya’s government.
Par Boris Bertolt