C’est dans un discours solennel, mêlant le « je » et le « nous » pour parler de lui-même, que le président burundais, Pierre Nkurunziza, a créé la surprise en annonçant, jeudi 7 juin, juste après avoir promulgué une nouvelle Constitution lui permettant d’être de nouveau candidat dès 2020, son intention, tout au contraire, de passer la main. Pierre Nkurunziza, qui a fait montre d’une résolution implacable pour se maintenir au pouvoir à tout prix, aurait donc changé d’avis, et ce malgré le boulevard qui s’ouvrait à lui grâce à cette Loi fondamentale passée en force et lui offrant une forme de légitimité pour présider le Burundi jusqu’en 2034.
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Le projet de réforme constitutionnelle avait fait l’objet d’un référendum, le 17 mai, en amont duquel les injonctions à voter « oui » avaient été répandues à coups de gourdin. Le texte avait été adopté par un peu plus de 73 % des électeurs, ce qui au fond semblait étrangement peu alors qu’il était interdit, sous peine de prison, de promouvoir l’abstention, et que seuls certains partis, en nombre limité, avaient été autorisés à prôner le « non ».
« Peter », ex-chef rebelle
Pierre Nkurunziza est arrivé au pouvoir au terme d’un processus de paix jugé exemplaire en 2005, issu des accords de paix d’Arusha, dont l’esprit devrait être menacé par la nouvelle Constitution, faisant planer la crainte de voir à terme le Burundi plonger à nouveau dans la guerre. Ex-chef rebelle au temps de ce terrible conflit qui a fait plus de 300 000 morts en vingt ans, « Peter », son surnom à l’époque de la guérilla, était alors devenu chef de l’Etat après avoir été élu par le Parlement. En 2010, il avait été réélu pour un second mandat – le dernier, au regard de la Constitution en vigueur.
Mais, cinq plus tard, brusquant les textes fondamentaux, l’annonce de sa candidature dans le cadre de nouvelles élections avait déclenché une vague de violences qui avait fait 1 700 morts. Fait notable, l’opposition à cette candidature ne provenait pas seulement de mouvances politiques éloignées de son parti, le CNDD-FDD, mais des rangs même de l’ex-rébellion, y compris de ses plus hautes sphères dirigeantes.
Et voilà que M. Nkurunziza, 54 ans, actuellement dans le cours de son troisième mandat, lequel va prendre fin en 2020, se dit prêt à soutenir un successeur après cette date. Ce n’est que la seconde surprise de la journée, la première ayant été constituée par la promulgation de la réforme constitutionnelle. Pour être adopté, le texte aurait dû être soumis au vote de l’Assemblée nationale. Cette étape a été brûlée. Le Burundi, en ce sens, s’engage déjà sur un étrange chemin. « L’histoire s’écrit au centre du pays à Gitega, le chef de l’Etat Pierre Nkurunziza vient d’apposer sa signature sur la nouvelle Constitution du Burundi », a annoncé, jeudi, un communiqué de la présidence, signifiant ainsi, en creux, que la capitale « civile », Bujumbura, où se trouve justement l’Assemblée nationale, ne faisait pas figure de centre du pouvoir. A Gitega se trouve le dernier palais du dernier roi du Burundi.
Lieux chargés d’histoire
Pierre Nkurunziza s’est-il benoîtement convaincu de la nécessité de parier sur un renouvellement à la tête de l’Etat alors que la nouvelle Constitution lui permet de faire deux nouveaux septennats ? A-t-il d’autres ambitions, comme de se consacrer plus encore à son équipe de football ou à son Eglise ? De s’adonner à fond aux excursions à vélo dans les collines pour aller y planter des avocatiers, activité à laquelle il était très attaché quand sa sécurité le lui permettait ? Ou peut-être a-t-il des desseins d’une autre nature. Depuis des mois, les Burundais ont remarqué que le président passait de plus en plus de temps dans des lieux liés à l’ancienne monarchie, palais ou emplacements géographiques chargés d’histoire. L’une des clauses les moins remarquées de la nouvelle Constitution – et jusqu’ici la plus inexplicable – établit justement la possibilité de rétablir la monarchie au Burundi.
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M. Nkurunziza a fait montre de qualités tactiques dans l’exercice du pouvoir qui lui ont permis de triompher de nombreux ennemis, notamment au sein de sa propre formation. Est-il enclin à opérer une restauration monarchique pour régner sur son pays, afin de se simplifier la vie ou de répondre à l’un de ces « appels divins » dont il semble coutumier ?
Après son discours, le chef de l’Etat devait se rendre dans la petite localité de Bugendana, au centre du pays, qui se trouve être un lieu chargé de cette histoire-là, en particulier : outre que 600 Tutsi y furent massacrés en 1996, pendant la guerre civile où les belligérants s’étaient rangés sur des bases ethniques, c’est aussi dans cette petite localité qu’était né Mwezi IV Gisabo, le mwami (roi) de l’âge d’or du Burundi précolonial, grande figure unificatrice qui avait fait rayonner le royaume.