L’Afrique des droits de l’homme était rassemblée ce lundi au cimetière du Père Lachaise à Paris. Pour un dernier hommage à l’homme qui pendant trente deux ans s’est battu pour défendre les victimes d’exactions en Afrique au sein de l’ONG Amnesty International
Hommage à Gaëtan Mootoo, «irremplaçable» combattant des droits de l’homme
Il y avait tellement de monde ce lundi au crématorium du Père Lachaise qu’une partie de la foule n’a pu accéder à la salle bondée et a du suivre agglutinée autour de la porte d’entrée, sous un crachin tropical, la cérémonie d’adieux à Gaëtan Mootoo. Il y avait là outre la famille et les intimes, toute une galaxie de chercheurs, journalistes, militants, avocats ou spécialistes des droits de l’homme dont le seul point commun était le continent africain.
Au sein d’Amnesty International, Gaëtan Mootoo a été pendant trente-deux ans un incontournable «Monsieur Afrique». Tous les journalistes qui arpentent ce continent connaissaient ce chercheur infatigable, toujours très bien renseigné, et pourtant d’une discrétion légendaire. Rechignant souvent à être interviewé, préférant se replier derrière les innombrables enquêtes et rapports qu’il produisait sur l’Afrique de l’Ouest et qui ont parfois «créé les conditions de l’alternance politique […] permettant aux dissidents d’hier d’arriver au pouvoir», comme le rappelle dans une tribune publiée sur le site le Monde Afrique, Alioune Tine, actuellement expert de l’ONU sur les droits de l’homme au Mali mais qui fut longtemps chef du bureau régional de Dakar d’Amnesty.
Dans la nuit du 25 au 26 mai, Gaëtan Mootoo, 65 ans, s’est suicidé dans son bureau, au siège d’Amnesty à Paris. «Il y a quelque chose dans ton choix qui a à voir avec l’épouvante de l’éclair» confessera une oratrice à la tribune lors de la cérémonie funèbre. Comment imaginer en effet que cet homme si doux, en apparence si serein, qui écoutait toujours la tête légèrement inclinée et l’air pensif, ait mis brutalement fin à ces jours ?
Soutien permanent des victimes
A la tribune du Père Lachaise, ils furent nombreux à louer cet inclassable combattant des droits de l’homme, «fin, sophistiqué, au phrasé un peu lent comme s’il cherchait toujours le mot exact». Originaire de Maurice, orphelin issu d’une famille pauvre, comme le rappelle son vieil ami Edwy Plenel dans un hommage publié il y a quelques jours sur le site de Mediapart, Gaëtan Mootoo avait fini par s’identifier totalement avec Amnesty.
Du Tchad sous la dictature d’Hissène Habré jusqu’aux pays du Sahel récemment gangrénés par l’insécurité jihadiste, en passant par la guerre civile en Côte-d’Ivoire, il sera l’implacable et courageux témoin de toutes les dérives, même celles occasionnées, après leur arrivée au pouvoir, par d’anciens opposants qu’il avait un temps aidés.
Il sera aussi le soutien permanent des victimes, avec lesquelles il restait souvent en contact. Ses collaborateurs sur le terrain n’étaient pas non plus oubliés. Au Père Lachaise, alors que deux des orateurs submergés par l’émotion n’auront pas la force d’achever leurs discours, un autre rappellera ce jour lointain où dans l’est du Tchad lors d’un face-à-face tendu il refusera d’évacuer une base militaire menacée par l’arrivée d’une rébellion si les traducteurs n’étaient pas eux aussi embarqués dans l’avion qui devait le mettre à l’abri.
«Détresse»
Cette année, il aura rédigé deux rapports l’un sur la découverte d’un charnier au Mali et sur l’insécurité grandissante qui accable ce pays, l’autre publié à la mi mai sur des réfugiés soudanais au Niger reconduits vers une mort certaine dans le désert libyen.
S’il ne s’était pas suicidé, il serait aujourd’hui à Gao au Nord Mali, mission prévue de longue date pour rendre compte des entraves à l’éducation des jeunes filles dans une région qui reste sous l’emprise de l’idéologie islamiste. Dans la lettre qu’il a laissée avant de mourir, il exprime sa solitude et sa difficulté «à faire son travail comme il le souhaitait». Un malaise qui remonterait à 2014 lors d’une réorganisation des structures de l’organisation.
Une enquête interne a officiellement été déclenchée jeudi. Elle permettra peut-être de «comprendre la détresse et le sentiment d’impuissance qui ont amené à un tel geste», selon les termes exprimés ce lundi sur le site d’Amnesty par Sylvie Brigot-Vilain, directrice de la branche française de l’organisation.
Reste qu’on ne reverra donc plus ce dandy, à la tenue toujours impeccable même sur les terrains les plus poussiéreux et les plus misérables. Lui qui ne partait jamais en mission sans «Shakespeare, une théière et du cirage», comme le rappelle Alioune Tine.
«Il est irremplaçable», a souligné lors de la cérémonie une militante des droits de l’homme mauritanienne, venue exprès de Nouakchott pour assister aux funérailles. L’Afrique de l’Ouest reste une zone tourmentée, Gaëtan Mootoo fait désormais partie de sa mémoire. Peut-être à son insu, il y avait finalement construit une «famille élargie», qui a tenu à lui rendre un dernier hommage au Père Lachaise. Sidérée par l’énigme de ce destin soudain fracassé, qui la laisse un peu orpheline.