Opposition et état nerveux au Cameroun
En tant qu’organisation de défense des droits humain, le CL2P comprend sa mission d’approfondissement et de dénonciation des politiques tyranniques sous toutes ses dimensions objective et subjective. En pratique, cela a trait à l’héritage du traumatisme colonial et des traumatismes existants, relativement à la construction de notre État-nation, puis à la superposition de catégories oppressives successives, notamment dans la manière dont les identités sont exprimées et exécutées dans ce pays. Comment ces catégories oppressives s’impriment dans le corps et l’esprit, puis dans le temps; mais aussi comment malgré tout cela nous pratiquons ou essayons de pratiquer de notre mieux la politique et les droits humains.
En tant qu’observateur particulièrement avisé de la politique camerounaise, le CL2P se retrouve toujours confronté à la capacité voire à l’incapacité des Camerounais ordinaires à prendre une véritable position éthique en matière de pouvoir; dans un monde pourtant où l’urgence commande de prendre des décisions ou des positions morales, et où faire le bon choix est devenu un luxe que l’on ne peut pas se permettre de rater.
Aussi, le CL2P comprend que la politique au Cameroun, en particulier les politiques d’opposition, et malheureusement de plus en plus dans de nombreux autres pays, y compris les démocraties voulues avancées, sont touchés par une sorte de névrose obsessionnelle. Une condition nerveuse créée par une violence à la fois objective et subjective, entraînant un masochisme pervers, une pulsion de mort latente, et une culpabilité inconsciente. À cela s’ajoute l’absence d’autorité légitime, au point où Hannah Arendt écrivait déjà que l’autorité légitime n’a pas besoin de recourir à la violence, mais que ceux qui n’ont ni autorité ni pouvoir ont très souvent recours à la violence. Nous sommes dans cette configuration au Cameroun;
C’est en effet le cas de l’allégeance récente de Maître Jean de Dieu Momo à la dictature en place. Jusque là il se revendiquait comme « un guerrier des droits de l’Homme et un patriote panafricaniste». Maitre Momo était ainsi en qualité d’avocat des victimes au centre de dénonciation de la répression la plus violente contre les Camerounais ordinaires par régime Biya. Ces exécutions extra-judiciaires avaient été perpétrées au Cameroun par « l’unité du commandement opérationnel » qui avait mené en février 2001 à la disparition de neuf garçons à Bepanda (un quartier populaire de Douala). Cet événement traumatisant a été enregistré et documenté dans le film «Une Affaire de Negres ou Black Business» d’Oswalde Lewat (2008). Maintenant, Me Momo est soudainement devenu un partisan farouche et enthousiaste d’un homme qui ne mérite pas le genre de virginité morale que cet estimable avocat apporte à sa table.
Pour comprendre ce type de castration symbolique et matérielle aboutissant à une impuissance politique, le travail de Catherine Malabou sur le cerveau blessé est très instructif. Elle y décrit avec compétence comment le sujet post-traumatique n’est plus conscient des conditions traumatiques préexistantes, et comment de nouvelles formes de chocs externes, de rencontres ou d’intrusions brutales inattendues en tant qu’événements traumatiques créent un contexte de subjectivité nulle, où le sujet post-traumatique n’est plus capable de la subjectivité, et est donc transformé en un mort vivant. C’est ce que le chercheur camerounais Achille Mbembe a décrit comme la condition du postcolonial, qui est un paysage de camps de concentration en tant qu’exemple de « nécropolitique », et la création de « mondes de la mort » dans lesquels sont transformés en “morts-vivants” les gens ordinaires.
Dans ce “monde de mouroir concentrationnaire” à ciel ouvert qu’est devenu le Cameroun sous le réggime trentenaire de Paul Biya, la politique se transforme en catastrophe naturalisée.
Le sujet post-traumatique ne connaît alors que la catastrophe; une mentalité qui permet et rationalise toutes les formes d’atrocités. Précisément, cela explique pourquoi Me Momo n’a plus aucun “choix” que de soutenir Biya; ou encore la raison pour laquelle l’écrivain Patrice Nganang voit la politique tribale partout et ne perçoit la drame camerounais que sous le prisme du tribalisme des «Bulus».
En effet lorsque des personnes ayant des problèmes psychologiques si évidents et profonds apparemment non traités font des déclarations aussi absurdes, le CL2P est très préoccupé par la propagation de ces problèmes psychologiques non résolus dans le reste de la société. Les Camerounais ordinaires, eux mêmes, déjà exposés à leurs propres problèmes, peuvent devenir très perméables à de telles vues négatives. Le CL2P est conscient que cette négativité continue ne fait que contribuer à perpétuer les systèmes tyranniques que nous décrions si souvent et publiquement.
Car, ces formes de catastrophes naturalisantes impriment une culture politique violente et traumatisante chez les Camerounais ordinaires qui, après avoir eux-mêmes faits-l’objet de tant de dégâts physiques et mentaux, en sont souvent à considérer l’idée que le régime Biya puisse finalement assumer la responsabilité de ses actes comme une blague macabre. C’est la preuve patente de comportements post-traumatiques.
Le CL2P est une organisation de droits de l’Homme qui croit aux soins personnels et à l’amour de soi, et refuse à quiconque de définir sa mission. Le CL2P est également un appel permanent à l’action pour que les gens s’impliquent, leur rappelant qu’être citoyen n’est plus un sport de contemplation ou de spectateur. Être impliqué est important et devient vital dans le contexte camerounais. C’est un appel à l’action que nous essayons de diffuser et vulgariser, avec espoir, encouragement, courage, abnégation, et organisation sur le terrain.
En conséquence, il s’agit de la capacité de réaliser ce que Michael Herzfeld définit comme intimité culturelle en tant que « reconnaissance des aspects d’une identité culturelle considérés comme source d’embarras externe, mais qui fournissent néanmoins aux initiés une assurance de socialité commune », et comment, affirme-t-il, une identité nationale est constituée.
L’embarras pour nous Camerounais est que nous n’avons pas l’humilité de reconnaître que nous ne sommes pas très spéciaux et que nous n’avons pas d’autre choix que de construire un pays fondé sur la justice sociale et la démocratie. Pour cela l’humilité de ne pas prétendre à des privilèges extravagants repose d’abord sur le pouvoir, du moins ceux qui l’exercent, qui carburent hélas de plus en plus au tribalisme et à la fierté imbécile dans ce pays, etc. Car il faut laisser la place à un auto-examen collectif, portant notamment sur la faiblesse institutionnelle légendaire du Cameroun, et y déceler comme une opportunité d’apprentissage et non une catastrophe naturelle; c’est-à-dire la nécessité de savoir équilibrer la logique et l’émotion, puis le rôle central de l’empathie dans la construction de l’état-nation.
Par Olivier J. Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
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English version
Oppositional Politics and Nervous Condition in Cameroon
As a human right organization, the CL2P understands its mission to go deeper and to expose the underbelly of politics of tyrannical politics in all its forms be it subjective or objective. In practice, the legacy of colonial trauma and existing trauma on the construction of our nation-state and the imposition of oppressive categories on the ways in which identities are expressed and performed in that country. How these oppressive categories are imprinted on the body and the ways we practice politics and human rights and the necessity to deal through conditions that we find embarrassing and therefore the necessity to know how to balance logic and emotion and the central role of empathy in the construction of the nation-state.
As very deep observer of Cameroonian politics, the CL2P is always confronted with the capacity of ordinary Cameroonians to take genuine ethical position when it comes to power; the urgency to make moral decisions in a world where doing the right thing is usually a luxury that cannot be afforded.
Hence, the CL2P understands that politics in Cameroon, particularly, oppositional politics, and unfortunately many countries as well including advanced democracies, are driven by obsessional neurosis. A nervous condition created by both objective and subjective violence resulting in perverse masochism, death drive and unconscious guilt. This is compounded by a lack of legitimate authority, in the sense that, Hannah Arendt writes that legitimate authority does not need to use violence but those who do have neither authority nor power are usually violent.
Case in point is the recent endorsement of Maître Jean de Dieu Momo, “a self-professed human right warrior and Panafricanist patriot.” Maitre Momo was at the center of one of the most violent crackdown against ordinary Cameroonians by the Biya’s regime where extra-legal executions were carried out in Cameroon by the ‘operational command unit’ leading in February 2001, to the disappearance of nine boys in Bepanda. That traumatic event were recorded and documented, notably, in Oswalde Lewat’s Une Affaire de Negres or Black Business (2008).
Now, Me Momo is suddenly a very enthusiastic supporter of a man who does not deserve the kind of moral virginity Me Momo is bringing to the table. To understand this kind of symbolic and material castration resulting in political impotence, the work of Catherine Malabou on the wounded brain is very informative here. She describes expertly how the post traumatic subject is no longer aware of pre-existing traumatic conditions and how new forms of external shocks, brutal unexpected encounter or intrusions as traumatic events create a context of zero subjectivity where the post traumatic subject is no longer capable of subjectivity and therefore transformed into a living dead. Something that Cameroonian scholar, Achille Mbembe, has described as the condition of the postcolonial which is a landscape of concentration camps as examples of “necropolitics”, which is the creation of “death-worlds” in which people are kept in such conditions that they are made into the “living dead.”
In that “death-world,” politics turn into naturalized catastrophe. The post traumatic subject only know catastrophe; a mentality that enables and rationalizes all forms of atrocities. Precisely, this explains why Me Momo now has no “choice” but to support Biya or the reason the writer Patrice Nganang see tribal politics everywhere. When people with such clear, deep unresolved psychological problems makes such nonsensical statements, the CL2P is very concern about the propagation of these unresolved psychological problems on to the rest of society. Ordinary Cameroonians expose to them with their own issues can be highly susceptible to mirror such negative views. The CL2P is aware that this continued negativity only continues to perpetuate the tyrannical systems we so publicly decry.
Hence, these forms of naturalizing catastrophe is a byproduct of a traumatic violent political culture where after surviving through so much damage to ordinary Cameroonians, either physically or mentally, the idea that the Biya’s regime will finally take responsibility for their actions is a macabre joke and an evidence of post traumatic behaviors.
The CL2P is a human right organization which believes in self-care and self-love and refuse anyone else to define his mission. The CL2P is also a call to action for people to get involved, to remind them that being a citizen is no longer a spectator sport. Being involved matters. It’s a call to action that we try to pollinate with hope, encouragement, courage, healing and on the ground organizing.
As a result, the capacity to achieve what Michael Herzfeld defines as cultural intimacy as ‘the recognition of those aspects of a cultural identity that are considered a source of external embarrassment but that never- theless provide insiders with their assurance of common sociality’ and this is how, he argues, a national identity is constituted. That embarrassment is the humility to recognize that we are not very special and it is because we are not very special that we have no choice but to build a country based on social justice and democracy. Thus, the humility not to claim extravagant privileges be it based on power, tribalism, pride and so on to give way to collective self-examination on the country’s legendary institutional weakness as a learning opportunity and not a natural catastrophe.
By Olivier J. Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P