Une fois de plus la présidentielle s’ouvre sous une odeur de manipulation de l’ethnie. Sous de faux airs de défense de l’unité nationale et de promotion du vivre-ensemble, certains protagonistes de la joute électorale agitent le spectre du tribalisme.
Sur un ton ratoureux, ils laissent entendre que… ils supputent… ils insinuent… ils réchauffent les haines recuites entre certaines tribus. Pire encore, ils désignent l’ennemi politique, l’affublent du tribalisme, le jettent en pâture et s’attachent à le présenter comme la figure tutélaire d’un parti n’ayant qu’une vocation clanique ou tribale. Quel meilleur bûcher, aujourd’hui, que l’insinuation de tribalisme ? Le SDF en sait quelque chose puisque le RDPC a toujours cherché à le réduire à un parti ethnique et régional.
C’est bien connu. En politique, en désignant l’impur, on laisse entendre qu’on est soi-même pur. En déclarant que l’autre est tribaliste, on se pose subrepticement comme étant rassembleur. Il faut définir l’adversaire avant qu’il ne se définisse lui-même. Ainsi, il passera le temps à se défendre sans jamais prendre le temps de présenter son programme. De la part de gens qui font carrière dans la politique politicienne et la prévarication de la fortune publique, la manipulation de l’ethnie à des fins partisanes est une excellente façon d’empêcher que la campagne présidentielle se structure autour d’un débat d’idées et d’une évaluation comparative des projets de société.
Sale temps pour le vivre-ensemble
Après observation, on aurait pu hocher les épaules et mettre ça sous le registre des camerouniaiseries politiques si cette manipulation de l’ethnie n’avait qu’un impact circonscrit au jeu électoral. Il n’en est rien. Une telle manipulation entretient une ambiance de suspicion tribale, de rivalité ethnique et de délitement social. En ce moment, la brise du tribalisme souffle fort sur le Cameroun. L’Afrique en miniature que l’on brandissait si fièrement il y a quelques années se lézarde sous nos yeux. Le vent de l’exclusion s’infiltre progressivement dans cette mosaïque riche de 230 ethnies. En déclin il n’y a pas si longtemps, les réflexes tribalistes semblent retrouver une seconde jeunesse.
Comment peut-on volontairement passer sous silence les propositions d’un homme qui aspire à gouverner pour ne retenir que son origine ethnique ? Comment peut-on sans gêne indexer une tribu entière comme étant la responsable du malheur des Camerounais? Si le tribalisme et la haine ethnique qui s’épanouissent sur les réseaux sociaux témoignent de réalité la camerounaise, il y a de quoi s’alarmer pour l’avenir de ce pays. Il y a lieu de craindre que le 7 octobre, ce pays ressorte plus divisé que jamais. Il y a surtout lieu de craindre que les identités jadis conviviales se transforment en ethnicismes meurtriers. Visiblement nous n’avons pas appris des drames rwandais, congolais ou ivoirien. Qui plus est, ceux qui manipulent politiquement la variable ethnique oublient qu’au lendemain du 7 octobre, il faudra gouverner avec l’ensemble des Camerounais. Ce pays se fera avec tous ses enfants ou ne se fera pas. Autant dire que dans un pays qui comporte autant d’ethnies, tous les coups (politiques) ne sont pas permis.
Le meilleur de notre histoire nous sauvera
Inéluctablement donc, se lève à l’horizon le temps où on verra apparaître plus que jamais les hérauts amplificateurs et décomplexés de la parole ethnocentrique. Ces entrepreneurs politiques tenteront de politiser la question ethnique à des fins partisanes. C’est aussi à ce moment-là qu’il faudra se rappeler un pan de notre histoire, celle que consigna entre autres Mongo Beti, dans Main basse sur le Cameroun. Ce livre n’est pas seulement un portrait au vitriol du système colonial, c’est aussi par la bande, un vibrant témoignage de la capacité des Camerounais à transcender leurs clivages pour agir dans l’intérêt du bien commun.
En lisant Main basse sur le Cameroun de Mongo Beti, on comprend que le tribalisme (ou rivalité ethnotribale) si présent dans le discours et les pratiques de notre époque n’est pas une fatalité, une sorte de nécessité historique, de déterminisme sociopolitique. L’UPC historique tel que majestueusement décrit par Mongo Beti nous montre que d’autres rapports ont existé. En lisant Main basse sur le Cameroun, on comprend enfin que le génie camerounais (Um Nyobè, Afana, Ouandié, Moumié, Ndogmo, Mongo Beti, Abel Eyinga, etc.) ne s’encombre pas des considérations tribalistes. Bien au contraire, un peu à l’image du Lion spirit lorsqu’il est à son meilleur, seul l’intérêt général importe.
Somme toute, le tribalisme véritable qu’il convient de mettre hors d’état de nuire est parfois là où l’on s’y attend le moins. Aux jeunes à qui les tribalistes parlent sans cesse d’ethnie et de tribu, comme dirait l’estimable Georges Dougeuli, opposez-leur le progressisme, c’est-à-dire la communauté nationale plutôt que le communautarisme ; la protection sociale universelle, la gratuité de la césarienne plutôt que les évacuations sanitaires sélectives ; l’égalité des chances plutôt que le népotisme ; le féminisme et la parité effective plutôt que les beuveries grivoises des 8 mars.
Par Christian Djoko