Hong Kong (Chine).– Huit militants pro-démocratie, dont trois élus locaux, ont été inculpés, jeudi 17 décembre, soupçonnés d’avoir organisé ou participé à une manifestation non autorisée contre la loi de sécurité nationale imposée par Pékin pour mater la région rebelle. Ils risquent la prison ferme, comme des milliers d’autres opposants hongkongais.
Le jeune élu Cheung Ho Sum, représentant dans le district de Tuen Mun (nord-ouest de la mégapole), sait qu’il pourrait être une cible future. Ce jeune diplômé de philosophie, petites lunettes rondes et mèche longue sur le front, continue néanmoins de distribuer des calendriers à ses administrés, une manière comme une autre de « maintenir l’élan contestataire » né en 2019 puis étouffé par la pandémie et le texte draconien promulgué par Pékin.
Niché au premier étage d’un centre commercial populaire de San Hui, à deux pas d’un marché névralgique, son « bureau reste un lieu d’échanges où les gens se savent en sécurité ». « C’est comme un phare dans la tempête », assure Cheung Ho Sum.
Le jeune homme de 27 ans est l’une des jeunes pousses non encartées élues au suffrage universel en novembre 2019, lors d’un scrutin aux airs de référendum contre le régime central. Organisé après six mois de contestation antigouvernementale intense, le scrutin a vu les démocrates ravir 17 des 18 conseils de district.
Ce succès leur a fait espérer décrocher la majorité tant convoitée au Parlement local pour peser dans un système verrouillé. L’ancienne colonie britannique jouit, en vertu de la formule « un pays, deux systèmes », d’un système légal et législatif distinct du reste de la Chine. Mais, pour autant, le petit territoire n’a jamais réellement goûté au suffrage universel et les modes de scrutin rendent l’opposition peu audible dans les institutions. La nouvelle loi semble compromettre définitivement toutes les ouvertures démocratiques.
Pourtant, « nous essayons tous, les localistes, les radicaux ou les modérés, de taire nos divergences politiques pour parvenir à notre but commun : utiliser la démocratie au niveau local pour l’enraciner dans les mentalités », explique Kelvin Lam, 41 ans, conseiller du district d’Aberdeen, dans le sud de l’île de Hong Kong.
« Nous ne nous critiquons pas, et c’est là tout le changement par rapport à 2014 [et au mouvement de désobéissance civile en faveur du suffrage universel – ndlr], et c’est bien ce qui fait peur à Pékin, qui pensait que nous n’étions qu’une société apolitisée et mue seulement par des considérations économiques. Nous sommes une société post-matérialiste et nous aspirons à une société remplie de justice et de transparence, ce que le Parti communiste chinois ne comprendra jamais. »
Il s’évertue, en effet, à étouffer ces aspirations. Le gouvernement de Hong Kong a, par exemple, reporté d’un an les élections législatives prévues en septembre 2020, officiellement à cause de la pandémie. Pékin a, par ailleurs, obtenu le 30 juillet la disqualification de candidats aux législatives, puis, le 11 novembre, de quatre députés « non patriotiques », ce qui a eu pour effet de faire passer le camp pro-démocratie sous la barre des dix-huit sièges nécessaires pour pouvoir rejeter des motions et des projets de loi proposés par la majorité. En réaction, les autres députés de l’opposition ont tous démissionné, faisant des conseils de district de l’opposition les derniers remparts démocratiques.
« Tout le monde est en danger aujourd’hui, le scénario du gouvernement est de disqualifier plus de candidats à l’avenir », glisse Kelvin Lam, par ailleurs ex-économiste à HSBC. Mais, selon lui, « peu importe aux conseillers élus en novembre 2019 de perdre ou non leur mandat : nous agissons dans et pour la société, nous sommes là pour écouter les gens, dont beaucoup sont persuadés que seuls les intérêts des promoteurs immobiliers et de Pékin sont entendus par le gouvernement ».
« Notre principal rôle n’est pas un pouvoir légal », renchérit Cheung Ho Sum. Les conseillers de districts sont cantonnés aux affaires locales et ont un rôle essentiellement consultatif. Mais dans ce contexte où le pouvoir central tente d’imposer sa grille de lecture, être en contact quotidien avec les 7,5 millions d’habitants représente un atout certain. « Nous avons été élus à un moment précis de l’histoire », avec un taux de participation record de 71 %, « et notre rôle est avant tout de cristalliser cet espoir démocratique ».
Pour y parvenir, ces élus démocrates votent des résolutions, même symboliques, comme celle du 6 juin pour s’opposer à la loi de sécurité nationale.
Ils s’appuient également sur les affaires courantes, autant de leviers pour diffuser leurs valeurs et révéler les failles de la classe dirigeante. Ils aident par exemple des gens à remplir leur formulaire pour obtenir des passeports spéciaux pour le Royaume-Uni. En février, certains ont acheminé des centaines de milliers de masques, alors en pénurie sur le territoire. « Nous les avons distribués dans nos quartiers et avons montré très clairement les manquements du gouvernement », explique Kelvin Lam.
Les problèmes du quartier donnent, par ailleurs, lieu à des débats, des sondages, des explications, autant de moments où les échanges d’idées peuvent jouer en la faveur des démocrates et de leur volonté de « cultiver la démocratie au niveau local ».
La critique peut être plus frontale, comme cette campagne qui vient d’être lancée contre « le cheval de Troie numérique » qu’est, selon l’opposition, l’application gouvernementale de traçage contre le Covid-19. Les élus à l’origine de cette campagne redoutent que Hong Kong ne finisse comme la province chinoise du Xinjiang, « où les musulmans doivent s’enregistrer au moindre déplacement », comme ils l’expliquent sur les réseaux sociaux.
Ils distribuent aux commerçants et restaurateurs des affiches flanquées de cochons roses, symbole de la contestation anti-régime, et de codes QR conduisant à des pages décryptant « les dangers de la surveillance digitale ».
Les conseillers de district disposent, par ailleurs, d’une visibilité certaine dans le tissu urbain : bureaux, espaces d’affichage sur des trottoirs, possibilité de distribuer des tracts dans la rue. C’est ainsi que, depuis fin août, se sont étalés en grosses lettres des messages pour « sauver les douze » et obtenir leur rapatriement à Hong Kong.
Il s’agit de militants pro-démocratie âgés de 16 à 33 ans et partis clandestinement pour Taïwan en bateau. Ils ont été interceptés en mer et sont incarcérés depuis en Chine continentale pour « entrée illégale » et sont qualifiés de « séparatistes » par Pékin. « La police, par endroits, a estimé que le contenu de nos banderoles était “trop sensible” et les a détachées », assure Cheung, selon qui « ces espaces ne peuvent plus être utilisés au motif qu’on violerait prétendument des régulations qu’ils sont, de toute façon, en train d’écrire au fur et à mesure ».
Les élus d’opposition tissent aussi leur maillage démocratique sur les réseaux sociaux, même si la loi de sécurité nationale prévoit le contrôle des communications et qu’une application a été lancée pour permettre la délation des actes « non patriotiques ».
Ils vont également lancer en janvier une plateforme qui se veut une assemblée délibérative alternative et une coordination de représentants pro-démocratie. Elle fonctionnera avec une structure à deux niveaux : l’un à l’échelle de la mégapole et l’autre avec cinq assemblées régionales.
« Personne ne sait si la plateforme sera une dernière tentative avant que le mouvement d’opposition de Hong Kong ne s’éteigne ou ne soit contraint de passer complètement à la clandestinité, ou si elle entrera dans l’histoire comme le syndicat polonais Solidarnosc l’a fait il y a quarante ans », écrit le conseiller de district Timothy Lee dans une tribune publiée sur le site Hong Kong Free Press. « Mais, maintenant, nous sommes à la croisée des chemins dans le cours de l’histoire. Nous ne devons jamais abandonner les mandats qui nous ont été confiés, même sans poste à l’intérieur du système », écrit l’élu, récemment interpellé comme plusieurs autres conseillers de districts et en attente d’un probable procès.
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En exil, les activistes hongkongais poursuivent la lutte
Au Royaume-Uni, pays d’accueil de la majorité des Hongkongais qui fuient la répression, Simon Cheng est à la tête d’un groupe visant à construire un « Parlement fantôme ».
Taipei (Taïwan).– « La démocratie ne peut pas s’éteindre. » C’est le message que les activistes hongkongais de l’étranger veulent faire passer à la Chine.
Exilés au Royaume-Uni, à Taïwan, au Canada, aux États-Unis ou en Allemagne, des figures du mouvement pro-démocratie à Hong Kong comme Simon Cheng, Nathan Law – il a annoncé dans le Guardian lundi demander l’asile au Royaume-Uni –, Ray Wong, Brian Leung ou encore le libraire Lam Wing-kee coordonnent leurs actions à distance pour continuer de faire vivre la démocratie hongkongaise hors de ses frontières.
Au centre de plusieurs initiatives prises à la suite de la promulgation de la controversée loi de sécurité nationale le 1er juillet dernier, le projet phare réside dans l’organisation d’un « shadow Parliament », que l’on pourrait traduire par « Parlement fantôme », en référence aux « cabinets fantômes » formés par l’opposition au Royaume-Uni, ainsi que dans les autres pays appliquant le système de Westminster.
La loi de sécurité nationale vient compléter la loi fondamentale, qui régit l’ancienne colonie britannique, et attribue de lourdes peines, pouvant aller jusqu’à la prison à vie, aux accusés de terrorisme, subversion, sécession ou encore collusion avec des forces étrangères. Selon plusieurs experts, cela implique que les manifestations, l’expression publique des opinions et les élections soient désormais très surveillées ; ce qui fait des militants prodémocratie les premiers visés.
La loi permet pour la première fois aux agences sécuritaires du continent chinois d’opérer à Hong Kong. Elle autorise par ailleurs l’extradition des suspects et leur jugement dans les cours chinoises, où le taux de condamnation atteint 99,9 %.
En réaction, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France et le Royaume-Uni ont suspendu leur accord autorisant l’extradition de criminels vers Hong Kong, permettant ainsi d’accueillir les citoyens que la nouvelle loi peut inquiéter. En tant qu’ancien colonisateur, le gouvernement britannique est celui qui a poussé le plus loin ces mesures adoptées en matière d’accueil des ressortissants de Hong Kong : à partir de janvier 2021, les individus disposant d’un passeport British National Overseas (BNO), soit trois millions de Hongkongais nés avant 1997, pourront librement immigrer au Royaume-Uni accompagnés de leur famille.
« La loi de sécurité nationale est un point décisif », affirme Johnny Patterson, directeur de Hong Kong Watch, une organisation londonienne visant à orienter le débat international sur Hong Kong et qui a joué un rôle notable auprès du gouvernement britannique pour l’adoption de cette nouvelle régulation concernant les détenteurs d’un passeport BNO.
Selon l’ONG, qui mène par ailleurs des recherches sur les violations des libertés dans l’ancienne colonie britannique, une centaine d’activistes hongkongais auraient pris le chemin du Royaume-Uni depuis la proclamation de la loi. « Il est important de s’assurer que l’histoire de Hong Kong ne s’oublie pas, mais aussi que les Hongkongais qui souhaitent partir aient un point de chute », soutient M. Patterson.
« Quand on s’attarde sur la proposition du Royaume-Uni pour les passeports BNO, elle ne s’applique pas aux jeunes [nés après 1997, année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine – ndlr]. C’est pourquoi nous plaidons auprès des autres pays, dont la France, pour qu’ils étudient des possibilités de visa et s’assurent que ceux qui ont participé aux manifestations aient un endroit où aller. »
Ancien employé du consulat britannique à Hong Kong, Simon Cheng est exilé au Royaume-Uni depuis novembre 2019. D’abord porté disparu en août 2019 lors d’un déplacement en Chine continentale, il devient une figure publique de la révolution hongkongaise après avoir révélé s’être fait interroger et torturer par la police secrète chinoise.
Le lanceur d’alerte, aujourd’hui sous mandat d’arrêt à Hong Kong depuis la proclamation de la loi sur la sécurité nationale, a décidé de parler sur sa détention et de réclamer le soutien de la société civile pendant un court séjour à Taïwan, avant de demander l’asile, qu’il a obtenu, au Royaume-Uni.
Pour Mediapart, il décrit les trois différents projets lancés par la communauté hongkongaise au Royaume-Uni après le passage de la loi de sécurité nationale : une plateforme Internet nommée Haven Assistance, permettant aux Hongkongais qui souhaitent immigrer dans des pays tiers d’obtenir des informations et de l’aide ; une communauté d’expatriés, Hongkongers in Britain, destinée à souder la communauté hongkongaise au Royaume-Uni et, enfin, le « Parlement fantôme ».
« Avec d’autres activistes, nous avons créé un podcast sur les différentes politiques d’asile [des principaux pays d’accueil – ndlr]. Quiconque recherche de l’aide peut nous laisser un message en veillant à ne pas révéler trop d’informations, par mesure de sécurité. Nous pouvons leur recommander des avocats, des logements et donnons des conseils gratuitement », soutient M. Cheng, en référence au premier projet. Ce dernier est né d’une prise de conscience : « Nous ne sommes plus en mesure d’encourager les gens à continuer la lutte à Hong Kong. »
Quant au deuxième projet, M. Cheng souligne l’importance de former une communauté « forte et dynamique », d’encourager ceux qui se mobilisent pour la survie de la démocratie à Hong Kong à travers des conférences sur les affaires publiques de l’île et d’organiser des réunions physiques.
Enfin, Simon Cheng décrit le projet de « Parlement fantôme » comme une organisation civile qui « essaiera de représenter le peuple hongkongais, qu’il soit à l’intérieur ou en dehors des frontières de l’île, et de lui permettre d’exercer son droit de vote », un Parlement symbolique, destiné à contrecarrer la propagande chinoise. « Le discours public du Parti communiste chinois fait beaucoup d’efforts pour faire croire que la majorité des gens de Hong Kong soutiennent le gouvernement. Nous voulons montrer au monde entier que ce n’est pas vrai. Cela va les effrayer, car tout se fera par des moyens démocratiques. »
Simon Cheng estime qu’au minimum 600 000 personnes seront à même de s’engager avec le « Parlement fantôme ». Un chiffre qui fait référence au nombre de participants aux primaires tenues les 11 et 12 juillet 2020 par les partis prodémocratie à Hong Kong, en dépit d’un rebond de l’épidémie de Covid-19 et de l’avertissement du gouvernement hongkongais, qui les considère comme illégales. Le scrutin était organisé en vue des élections parlementaires, initialement prévues pour septembre, finalement reportées d’un an par le gouvernement en raison de la crise sanitaire, bien que les opposants estiment que la décision était destinée à empêcher les gens de voter.
Pour l’activiste, l’engagement d’un million de personnes (Hong Kong compte sept millions d’habitants) permettra au « Parlement fantôme » de gagner en légitimité. « Je pense qu’il y aura plus de 600 000 participants, car les citoyens vivant en dehors de Hong Kong pourront voter. » Le lanceur d’alerte ajoute que le système du « Parlement fantôme » sera sécurisé : « La base de données sera en dehors [de Hong Kong], nous allons recruter une équipe technique avec de bonnes connaissances en cybersécurité. Nous essaierons de ne pas enregistrer les informations personnelles des votants. »
Le vote en ligne permettra aux électeurs de voter plus prudemment que lors des primaires du mois de juillet, où ils se sont rendus aux urnes physiquement. « Plus il y aura de votants, plus ce sera sûr », renchérit M. Cheng.
« C’est le moment opportun pour des activistes de se rencontrer », poursuit Johnny Patterson, de Hong Kong Watch. Le « Parlement fantôme » contribuera à entretenir la mémoire de la démocratie hongkongaise. « Des événements comme le massacre de Tiananmen ne seront plus commémorés à Hong Kong », soutient le porte-parole de l’ONG.
Mais il aura aussi pour objectif de maintenir la question hongkongaise dans le débat politique des démocraties occidentales. « On compte sur les activistes pour influencer le débat sur le régime chinois dans leur pays d’accueil. Il y avait beaucoup d’ignorance à propos de la Chine au Royaume-Uni, les opposants ont contribué à changer cela. »
Pour expliquer son choix de demander l’asile à Londres plutôt qu’aux États-Unis, Nathan Law a jugé que l’Union européenne, contrairement aux États-Unis, maintenait l’illusion de la possibilité d’une collaboration avec Pékin. « J’espère que ma présence pourra sonner l’alarme pour rappeler aux gens à quel point le PCC [Parti communiste chinois – ndlr] est un danger pour nos valeurs démocratiques communes. Vos yeux ne doivent pas se poser uniquement sur les gains économiques – nous avons tant à perdre. » Pour lui, le combat se mène désormais à des milliers de kilomètres de chez lui, tout au bout de ce continent eurasiatique qui l’a vu naître.