Il est inconnu de la jeune génération. Ne cherchez pas son nom dans les livres d’histoire de l’indépendance du Cameroun. Et pourtant, Matthieu Djassep a milité pour la libération du Cameroun aux cotés de Ruben Um Nyobe, Roland Felix Moumié, et d’Ernest Ouandié dont il a été le secrétaire particulier.
Aujourd’hui, cet homme survivant d’une troupe de militants tous exécutés dans les années 60 et 70, vit dans une promiscuité totale au quartier Ndogpassi à Douala.
Pour trouver son domicile à la périphérie de la capitale économique du Cameroun, il faut user de beaucoup de patience. Et demander son chemin plusieurs fois.
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“Le vieux de l’UPC là ? Regarde, wouaaah le vieux là aussi. Tu vois le couloir qui descend ci là, tu prends ça, vers la fin là, dès que tu descends là, il y a la petite piste là, bon il y a un peu les petites flaques d’eau comme il a même plu le matin-là, tu vas essayer de jongler comme tu peux hein, il y a une petite maison en planche au fond là, c’est là qu’il réside“
Chrono à la main, il faut une dizaine de minutes pour arpenter les dédales de Ndogpassi pour retrouver au détour d’un couloir, sur une véranda d’une maison en matériaux provisoires, un homme.
Assis sur une chaise qu’il ne quitte que pour aller au lit, c’est le poste d’observation quotidien de Matthieu Djassep, depuis sa sortie de prison le 17 septembre 1985.
“Je ne vois pas. J’aiopéré les deux yeux depuis là. Ça n’a pas tenu. Je n’ai pas la force. Les pieds là, les articulations, je sens mal aux articulations, aux pieds là, chevilles genoux, quand je veux marcher c’est ça qui me casse“.
Né le 20 mai 1939 à Moya, dans l’arrondissement du Nord-makombé, région du littoral, Mathieu Djassep rejoint les rangs de l’UPC alors qu’il fait la classe de troisième au collège de son village.
“Quand on m’a pris sous le maquis avec certains des nôtres, c’était en 60. Ernest est rentré de l’exil, en 61, le 11 juillet 1961. Et quand j’étais déjà sous maquis, c’est en ces temps qu’il a demandé les enfants qui étaient déjà un peu lettrés. Pour les former quoi. Et puis j’étais parmi les combattants qui étaient à mesure de lire et d’écrire. Donc il m’a pris chez lui. J’ai trouvé certains qui étaient déjà des secrétaires Adolphe Makemba Ntolo, qui est déjà décédé, donc on est resté avec lui, de 61 là jusqu’à 70 quand on l’arrêté“.
Le combattant Djassep va vite se faire un nom dans les troupes de résistants. Il se fera appeler « Ben Bella », encouragé par Ernest Ouandié qui le prend sous son aile
“J’ai appris l’histoire de Ben Bella, ce qu’il a fait pour son pays l’Algérie, et je voudrais en faire autant pour le Cameroun. Et il était très content. Il m’a dit du courage de Ben Bella. Fait du Cameroun ce que Ben Bella a fait pour son pays. Et puis je suis devenu son secrétaire“.
À ce poste , Matthieu Djassep participe à la vie du parti, avec comme fil conducteur, les enseignements de Ruben Um Nyobe.
“J’ai su que Um Nyobe était un bon nationaliste comme ceux qui ont créé le parti pour demander l’indépendance. Le programme minimum, c’était ses trois points : l’indépendance véritable, la réunification réelle, et puis le bien-être des populations. Um Nyobe était un grand nationaliste. Et on a envoyé les Roland Pré ici en 1954. Et en 55 alors, le 25 mai, ils ont chassé les Um Nyobe, ils ont commencé à les arrêter, ils ont commencé la guerre. Et alors Um est parti chez lui à Boumnyebel“.
Les jours passent et se ressemblent pour le jeune Djassep, désormais aguerri à la vie dans la clandestinité.
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“La vie au maquis c’est difficile. On vivait comme ça. Au départ comme on avait pris au village, en 60, ce sont les populations qui s’occupaient de nous, en nourriture, en vêtement, en médicament, en tout hein. Mais en 60, au sixième mois, les militaires sont venus, amené toutes les populations dans les camps de concentration, et ils ont commencé maintenant à nous chasser du village. Nous avons gagné alors la brousse. La nourriture était finie, donc la vie était devenue difficile. Il y avait des moments où on mangeait seulement le cœur des palmiers là. Et quand tu coupais c’était pour te vendre aux militaires. Puisque ça faisait des bruits et ça laissait des traces“.
Arrêté avec Ernest Ouandié en 1971 et condamné à mort, les autres sont exécutés 10 jours plus tard, le 15 janvier 1971. Matthieu Djassep ne sait toujours pas pourquoi il a eu la vie sauve.
“Si Dieu ne le veut pas, je ne vais pas passer par les armes. Je l’ai dit publiquement, sans même craindre que les gens là pouvaient entendre. Quand ils sont venus, ils ont commencé à faire sortir les gens de leurs cellules. J’ai entendu, on a appelé Ouandié et les autres. Ils sont partis avec eux. C’est le soir que le commissaire m’a appelé, il m’a dit qu’on venait de tuer les gars-là“.
Il sort de prison le 17 septembre 1985 et retrouve les rangs de l’UPC où il transmet aux militants les enseignements de Um Nyobe.
Parmi eux, Alexis Samé Ndema, membre du bureau politique de l’UPC dite des fidèles.
“L’Upc a été créée pour que notre pays soit libre. Les choses qu’on voit aujourd’hui, il y a une partie qui apparemment sera anglophone et l’autre francophone, anglophone c’est parce que le combat de l’UPC a été saboté. Il nous le rappelle donc tout le temps. Deuxièmement la souveraineté de notre pays. Nous ne sommes pas obligés de singer une souveraineté qui n’est pas la nôtre. Il faut que nous ayons nos propres choix économiques, politiques, sociaux et culturels“.
Aujourd’hui Matthieu Djassep vit grâce au soutien de sa fille, Nonheu djassep tenancière d’une étale de cigarette au quartier Makepe à l’autre bout de la ville de Douala.
“Je veux un bâton de cigarette. Quel gout ? Le LB bleu. C’est trois à cent. Donnez-moi pour cent franc. Voilà ça“
Pour la jeune femme de 31 ans, mère de 04 enfants, son père est un modèle.
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“Vraiment je suis comblée hein, c’est une grâce. Ce n’est pas donné d’être l’enfant d’un héros comme mon papa“.
A Ndogpassi ou la petite famille vit dans un deux pièces, tout le monde connait l’histoire de Matthieu Djassep.
Comme Flore Jocelyne, la voisine de palier.
“Il est pour moi comme un papa. Parce que quand j’ai un problème, je pars le voir et il me donne la solution et ça marche“.
Père, grand père, conseiller, soixante ans après l’assassinat de Ruben um Nyobe, Mathieu Djassep n’a pas de revenus, mais il dit continuer de militer pour un Cameroun juste, libre, équitable.
Il dit ne rien attendre de l’Etat; pour que Ruben Um Nyobe et ses compagnons qui ont donné leur vie pour une cause noble ne soient pas morts pour rien.