Source: RFI
« Propriété palmée », « Pas de bénéfices sans responsabilités », ce sont les slogans que l’on pouvait lire sur les banderoles des manifestants, ce vendredi matin, devant le siège du groupe Bolloré en banlieue parisienne. Manifestations aussi aujourd’hui au Liberia, en Sierra Leone, au Cameroun dans les plantations de la Socfin pour dénoncer l’accaparement de terres. La Socfin est une holding dont Bolloré est actionnaire et possède des plantations de palmiers à huile et d’hévéas dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie.
Une centaine de manifestants brandissent des pancartes sur lesquelles on lit « Bolloré partout, justice nulle part ». Parmi eux, Désiré, il vient de République démocratique du Congo et il a un message à faire passer : « Nous ne refusons pas les investissements, mais pas au détriment de la population. Les gens qui sont dans le coin sont chassés, délogés de leur territoire. Or ils vivent de l’agriculture. Après où iront-ils ? Comment sera la scolarité de leurs enfants et tout ? »
Lors de l’acquisition des plantations, le groupe Socfin a pris plusieurs engagements vis-à-vis des populations. Le premier est celui de respecter leur espace vital : 150 hectares aux alentours des villages doivent rester vierges.
Une promesse déjà trahie pour Nicolas qui représente le Réseau pour l’action collective transnationale (ReAct) : « Aujourd’hui dans certains villages comme où on est, on a des palmiers à huile qui viennent jusqu’à l’arrière des maisons des gens. Ensuite en termes de compensation, au moment de la privatisation et du rachat par la Socfin de ces plantations, il y avait un certain nombre d’engagements, un certain nombre d’accès à la santé, d’accès à l’eau potable pour les communautés locales. Et aujourd’hui, ce sont des droits qui ne sont pas respectés, qui sont bafoués ».
Depuis 2008, les plantations de la Socfin ont continué de s’étendre et ont augmenté de plus de 40%. Elles représentent aujourd’hui plus de 185 000 hectares
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[Alerte] Africains,nos terres cultivables ne nous appartiendront plus et elles nous seront loués
Source : Grain.ORG
Dans plusieurs pays africains, selon une tradition multiséculaire, « La terre ne se vend pas ». L’accaparement des terres apparait alors comme un phénomène brutal qui remet en cause les pratiques ancestrales traditionnelles, et qui hypothèque l’avenir des générations futures. Ce phénomène d’acquisition de terres à grande échelle est surtout en expansion depuis la crise alimentaire de 2008. Elle s’inscrit dans la logique de l’agrobusiness qui ne vise que le profit, comme le démontrent les nombreux cas signalés en Afrique de l’Ouest et du Centre.
Cette recherche de profit est incompatible avec les objectifs de la souveraineté alimentaire qui milite pour la survie des populations, surtout celles rurales qui sont les plus nombreuses en Afrique. De ce fait, l’accaparement des terres sape les bases de la souveraineté alimentaire.
Le Continent africain, qui possède à lui seul un quart des terres fertiles mondiales, concentre 41% des transactions foncières, sur un nombre total de 1 515 transactions à travers le monde, selon un récent rapport de l’ONG ActionAid International, datant de fin mai 2014. « Depuis l’an 2000, plus de 1 600 transactions de grande échelle ont été documentées, soit une superficie totale de 60 millions d’hectares », a avancé l’ONG qui a précisé qu’« aussi, il est probable que bon nombre d’acquisitions de moyenne ou grande envergure demeurent à ce jour ni documentées, ni quantifiées ». Ce rapport d’une vingtaine de pages, intitulé « Hold-up sur les terres : comment le monde ouvre la voie aux accaparements des terres par les entreprises », nous révèle en effet l’ampleur de ce phénomène qui menace, non seulement la survie de millions de personnes dans le monde, mais également les écosystèmes, les forêts et les espèces animales en danger de disparition.
L’ONG s’est énormément intéressée à l’Afrique, car ce continent est devenu la nouvelle attraction des multinationales, des fonds de pensions et des grands groupes agro-alimentaires qui ont acquis, avec les complicités des gouvernements locaux, des millions d’hectares de terres arables.
Des États se sont aussi mis à acheter les terres fertiles pour satisfaire leurs besoins alimentaires et fabriquer les biocarburants. L’Arabie saoudite, le Qatar, l’Inde sont souvent cités dans les rapports de ces ONG qui ont identifié aussi les grandes puissances, comme les États-Unis, certains États membres de l’Union européenne (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas), et, depuis quelques années, la Chine qui veut avoir sa part en Afrique pour satisfaire sa demande locale. En Afrique subsaharienne, région à forte instabilité politique et sécuritaire, l’accaparement du peu de terres fertiles s’est fait par les autorités qui ont privé des milliers de paysans de leur principale ressource de survie.
La saisie des terres a été facilitée par l’absence des actes de possessions que ces paysans n’ont jamais pu établir, dans une région où les biens sont gérés par les chefs de tribus.
Quelles relations entre accaparement des terres et souveraineté alimentaire ?
La souveraineté alimentaire est un concept développé par La Via Campesina à partir de 1996, comme alternative aux politiques néolibérales et au modèle de production industrielle. C’est le droit des populations, des États ou Unions d’États à définir leurs politiques agricoles et alimentaires sans intervention de l’extérieur, avec tous les acteurs nationaux concernés par la question alimentaire.
La Souveraineté Alimentaire inclut :
La priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population, l’accès des paysan(ne)s et des « sans terres » à la terre, à l’eau, aux semences, au crédit. D’où la nécessité de réformes agraires, de la lutte contre les OGM, pour le libre accès aux semences ;
Le droit des paysan(ne)s à produire des aliments et le droit des consommateurs à pouvoir décider de ce qu’ils veulent consommer;
Des prix agricoles liés aux coûts de production: c’est possible à condition que les Etats ou Unions d’Etats aient le droit de taxer les importations à trop bas prix, et s’engagent pour une production paysanne durable, et maitrisent la production sur le marché intérieur pour éviter des excédents structurels;
La participation des populations aux choix de politiques agricoles ;
La reconnaissance des droits des paysans qui jouent un rôle majeur dans la production agricole et l’alimentation. (La Via Campesina, Porto-Alegre, 2003)
Toutes les composantes de la souveraineté alimentaire ci-dessus énumérées sont remises en cause par l’accaparement des terres, car « les terres accaparées » sont destinées principalement à l’agriculture industrielle, qu’il s’agisse des acquéreurs internationaux ou ceux nationaux. Les exemples suivants suffisent à le démontrer :
Au Cameroun, en 2006, IKO une filiale de la Shaanxi Land Reclamation General Corporation (connue également sous le nom de Shaanxi State Farm), a signé un accord d’investissement de 120 millions de dollars US avec le gouvernement du Cameroun, qui lui a donné la ferme rizicole de Nanga-Eboko et un bail de 99 ans sur 10.000 hectares supplémentaires : 2.000 à Nanga-Eboko (près de la ferme rizicole), et 4.000 ha dans le district voisin de Ndjoré. La société a débuté ses essais pour le riz et le maïs et prévoit également de cultiver du manioc. Parallèlement, des plantations industrielles de palmier à huile sont installées par Bolloré pour produire de l’huile de palme.
En Guinée, la société américaine Farm Lands Guinea Inc (FLGI, désormais Farmlands of Africa) contrôle plus de 100.000 ha pour la production du maïs et du soja destinés à l’exportation ou à la production de l’agrocarburant. Des investisseurs britanniques (AIMI) contribuent au financement de l’affaire. De plus, FLGI est responsable, pour le compte du gouvernement, de la prospection de 1,5 millions d’ha pour la concession de baux à d’autres investisseurs. Contre quoi FLGI touchera une commission de 15% sur les ventes.
En Côte d’Ivoire, SIFCA, détient 47.000 hectares de plantations de palmiers et de canne à sucre : en 2007, Wilmar et Olam (agrobusiness transnationaux de Singapour) ont créé une joint venture, Nauvu, pour prendre une participation de 27% dans SIFCA, le plus grand producteur de canne à sucre et de palmiers à huile de Côte d’Ivoire. La famille Billon détient la majorité du capital de la société; mais toutes les parties ont l’intention d’utiliser SIFCA comme base pour l’expansion de leurs plantations de palmiers à huile en Afrique de l’Ouest.
En Sierra Leone, en 2010 : Addax, une firme suisse, a pris le contrôle de 10.000 ha pour produire du sucre pour l’éthanol à partir de 2013. En 2011, Sofcin, une filiale du groupe français Bolloré loue 12.500 ha pour la production de l’huile de palme. Des firmes vietnamiennes se préparent à se lancer dans de grands projets de production de riz et de caoutchouc. En 2012 des capitaux chinois vont s’y associer également. Dès 2011, une gamme de banques européennes de développement (de Suède, d’Allemagne, des Pays Bas, et de Belgique) participent au projet. Selon un participant de Sierra Leone à l’atelier de Ouidah (février 2012), là où on cultivait du riz pour l’alimentation des Sierra Léonais dans le temps, aujourd’hui, on cultive de la canne à sucre pour produire de l’éthanol. Dans ce pays également, FLG essaie d’acquérir 11.900 hectares à l’Ouest de la rivière Taï pour y produire du riz à grande échelle.
Au Sénégal, l’Arabie Saoudite cultive du riz destiné à l’exportation en Arabie Saoudite, et une firme italienne produit du biocarburant à exporter en Europe. « La proposition ne donne pas les noms des investisseurs saoudiens ni sénégalais. Pressé par les demandes répétées de GRAIN, le coordonnateur du projet, Amadou Kiffa Guèye, conseiller spécial auprès du ministre des mines, de l’industrie, de l’Agro-industrie et des PME, s’est contenté de dire que la famille royale saoudienne était impliquée dans le projet, ainsi que de riches hommes d’affaires sénégalais. Il a aussi précisé que c’était le gouvernement sénégalais qui l’avait chargé de développer la proposition de projet, mais à la requête des investisseurs saoudiens. » Foras est impliqué dans un grand projet de production rizicole et est également en train de mettre en place un projet d’élevage de volaille verticalement intégré près de Dakar; cette ferme devrait produire 4,8 millions de volailles par an. Foras est la branche investissement de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) ; ses principaux actionnaires sont la Banque Islamique de Développement et plusieurs conglomérats de la région du Golfe, notamment le Sheikh Saleh Kamel et son Dallah Al Barakah Group, le Saudi Bin Laden Group, la National Investment Company du Koweït et Nasser Kharafi, le 48ème homme le plus riche du monde et propriétaire de l’Américana Group.
Au Mali, la Libye et l’Arabie Saoudite cultivent du riz destiné à l’exportation, et l’on cultive du tournesol et du jatropha pour produire de l’agrocarburant. – (Libye): En mai 2008, le gouvernement malien et le gouvernement libyen de Kadhafi ont signé un accord d’investissement, donnant à Malibya, une filiale du Libyan African Investment Portfolio du fonds souverain de Libye, un bail de 50 ans renouvelable sur 100.000 hectares de terres dans l’Office du Niger. La terre a été donnée gratuitement contre la promesse de Malibya de la développer pour y faire des cultures irriguées. Malibya a également reçu un droit d’accès illimité à l’eau, aux tarifs appliqués aux petits utilisateurs. En 2009, Malibya avait terminé un canal d’irrigation de 40 kilomètres pour la production de riz hybride, mais le projet a été suspendu, à la chute du régime de Kadhafi en 2011. En janvier 2012, les représentants du nouveau gouvernement libyen, le Conseil National provisoire (NTC), ont déclaré qu’ils maintiendraient les «bons» investissements au Mali et poursuivraient des projets agricoles en Afrique, en ne faisant référence qu’au Soudan et aux pays « proches de la Libye ». – (Arabie Saoudite) Foras a terminé une étude pilote sur 5.000 hectares obtenus dans le cadre d’un bail à long terme dans l’Office du Niger. Foras prévoit désormais de s’étendre sur 50.000 à 100.000 hectares, un premier stade d’un projet plus vaste destiné à la production du riz sur 700.000 hectares dans divers pays africains.
Au Congo, des groupes sud-africains cultivent du riz, du maïs et du soja dont une partie est destinée à l’élevage de la volaille. « Congo Agriculture » est une société créée par des agriculteurs commerciaux sud-africains, dans le but d’établir des fermes à grande échelle au Congo-Brazzaville. La société a obtenu 80.000 ha du gouvernement avec un bail de 30 ans, dont 48.000 se trouvent dans le district de Malolo et ont été divisés en 30 fermes qui sont proposées aux agriculteurs sud-africains participant à l’opération. La société a des liens étroits avec AgriSA, le plus grand syndicat d’agriculteurs commerciaux d’Afrique du Sud. En décembre 2010, l’AFP a fait savoir que le gouvernement du Congo-Brazzaville avait signé un accord avec Atama Plantations, une entreprise Malaisienne, lui accordant des concessions d’un total de 470.000 ha dans les régions de la Cuvette (au Nord) et de Sangha (au Nord – Ouest). Atama dit vouloir développer des plantations de palmiers à huile sur 180.000 ha de ces concessions.
En République Démocratique du Congo, le palmier à huile cultivé est destiné à la production de Biodiesel.
Au Gabon, des investisseurs étrangers cultivent du riz destiné à l’exportation dans les pays du Golfe et les plantations de palmier à huile assurant la production d’huile de palme, destinée à l’exportation pour la production de biodiesel à Singapour.
Au Bénin, les chinois cultivent d’une part, des légumes et du maïs pour leur consommation en Chine, selon Bodéa Simon (Secrétaire Administratif de Synergie Paysanne), et d’autre part, ils cultivent de la canne à sucre pour la production de sucre destiné à l’exportation en Chine. Le China National Complete Import and export Corporation Group (COMPLANT) a fonctionné comme un bureau d’aide étrangère pour la Chine jusqu’en 1993; il négocie aujourd’hui à la bourse de Shenzhen et son principal actionnaire est le State Development & Investment Corporation, le plus important holding appartenant au gouvernement chinois. En 2010, une filiale de COMPLANT, Hua Lien International, a annoncé son intention d’établir une collaboration entre COMPLANT et le Fonds de développement Chine-Afrique (5 milliards de dollars US) pour mettre en place une production d’éthanol dans divers pays africains. Les trois sociétés prévoient de lancer leur collaboration au Bénin et de se déployer dans d’autres pays dans les années à venir. Cette collaboration s’appuiera sur les nombreux récents investissements de COMPLANT dans la production de canne à sucre et de manioc, dont une plantation de 18.000 ha en Jamaïque, une plantation de 4.800 ha de canne à sucre et de manioc au Bénin, une plantation et une usine de canne à sucre de 1.320 ha en Sierra Leone ; COMPLANT avait aussi annoncé en 2006 son intention d’agrandir ses terres de la Sierra Leone à 8.100 ha pour y démarrer la culture du manioc.
Un constat s’impose
Le plus souvent, les investisseurs travaillent dans la discrétion pour ne pas dire dans le plus grand secret, car le sujet est politiquement et socialement sensible. De ce fait, il n’est pas toujours facile d’avoir des informations y relatives, surtout aux niveaux local et national. L’ONG Nature Tropicale et le syndicat Synergie Paysanne en ont fait les frais auprès des accapareurs Chinois et Koweitiens au Bénin. En effet, il y a quelques mois, ces derniers ont refusé de recevoir les premiers, lors d’un tournage de film sur la question dans ce pays.
Sur les 416 cas d’accaparement de terres que nous avons identifiés, 228 cas sont en Afrique. Ainsi,
Certains veulent protéger les flux financiers et le modèle agricole qu’ils perpétuent, en rendant les contrats et les accords « gagnant-gagnant » pour les deux parties contractantes. Si les accapareurs gagnent avec leur business, que gagnent les petits agriculteurs dépouillés des terres qui ont nourri leurs ancêtres, leurs grands-parents et parents, et qui les ont nourris jusqu’ici ?
D’autres considèrent qu’il n’y a rien de positif pour les nationaux dans ces affaires d’accaparement de terres. De ce fait, ils mobilisent des résistances pour arrêter cette tendance, et mettre en avant la souveraineté alimentaire comme vraie solution à la crise alimentaire.
Tableau 1: Pourcentage des terres agricoles déjà sous contrôle des intérêts étrangers pour la production agro-alimentaire dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Pays concernés Taux par pays
(pourcentage)* Surface louée ou vendue aux investisseurs étrangers pour une production alimentaire
Bénin Terres arables:10%
Terres agricoles: 3%
Superficie totale: 2% 236 100 ha
Gabon Terres arables: 128%
Terres agricoles: 8%
Superficie totale: 2% 415 000 ha
Ghana Terres arables: 21%
Terres agricoles: 6%
Superficie totale: 4% 907 000 ha
Guinée Terres arables: 56%
Terres agricoles: 11%
Superficie totale: 7% 1 608 215 ha
Liberia Terres arables: 434%
Terres agricoles: 67%
Superficie totale: 16% 1 737 000 ha
Mali Terres arables: 6%
Terres agricoles: 1%
Superficie totale: 0.3% 372 167 ha
Nigeria Terres arables: 2%
Terres agricoles: 1%
Superficie totale: 1% 542 500 ha
République du Congo Terres arables: 134%
Terres agricole: 6%
Superficie totale: 2% 670 000 ha
République Dém. du Congo Terres arables: 6%
Terres agricoles: 2%
Superficie totale:0.2% 401 000 ha
Sénégal Terres arables: 12%
Terres agricoles: 5%
Superficie totale: 2% 460 000 ha
Sierra Leone Terres arables:46%
Terres agricoles 15%
Superficie totale: 7% 501 250 ha
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)